Il fait frais ce lundi après midi, il n’y a pas de chauffage dans ces espaces communs où les portes sont rarement fermées au vue du monde qui les emprunte régulièrement. Et puis, ici, l’hiver est une saison courte, du moins dans l’imaginaire collectif, puisque chacun semble attendre le retour du printemps.

 Ils peuvent empêcher les fleurs de pousser, ils n’empêcheront jamais le printemps d’arriver   »  

écrivait Pablo Neruda. 

 

Tous les lundis, nous tenons le petit magasin C_rise avec Giulia. C’est le nom d’un magasin de seconde main installé au rez de chaussé d’un des trois bâtiments du SMS, l’espace de secours mutuel de Milan (SMS pour Spazio di Mutuo Seccorso). Nous « tenons » le magasin comme une sorte de tour de garde, qui, puisque nous sommes nombreuses à le faire, permet d’ouvrir cet espace chaque jour de la semaine. Passé la porte, Giulia accueille avec un grand sourire, une chemise à la main le temps de la plier. Elle trie ce qui est en bon état, choisi ce qui peut plaire (en jetant systématiquement ce qui provient de l’armée, ce qui promeut les marques capitalistes, ou le conseil régional), range sur les portants ou dans les armoires. 

Ce marché anti-crise car solidaire est un simple couloir où chaque porte mène à une pièce, lesquelles étant remplies de vêtements jadis chéris, offerts puis donnés, qui semblent chargés d’instants de vie. Instants de vie chéris puis donnés.

 

 

Tout au fond du couloir sont exposés ce qu’on peut nommé le mixte : kimono de judo côtoient la combinaison de ski type 90’s aux couleurs fluos. Je suis sûre qu’elle passerait incognito sur les pistes de Courchevel à la vitesse où va la mode. 

Sur la droite, l’espace Femme est une grande pièce où les robes, jupes, pulls et chaussures sont éclairés par le soleil d’hiver qui percent les deux grands fenêtres. Vers 16h, ces rayons de soleil laissent apercevoir la poussière volante s’échappant des vêtements. On pourrait imaginer un.e photographe exalté.e par l’expression vivante de tant de nostalgie. 

Les minis jupes côtoient les jupes lourdes en laine d’octogénaires. Une robe tout droit sortie des années disco semble se reposer au côté d’une autre qui a du voir la guerre. Sur les imposants portants, manteaux et pantalons, prennent place et nous rappelle qu’il faut fouiller pour trouver. 

La pièce en face est l’espace Homme, un peu plus petite, comme c’est l’habitude hélas pour la mode masculine. Deux portants regorgent de vestes, manteaux, pantalons à faire frémir les nouveaux férus de mode vintage, médiatiquement nommés hipster. Des chemises à n’en plus finir, des bleus de travail encore en bon état, sans doute acheté la veille de la fermeture de l’usine. 

Enfin, deux autres pièces sont réservées aux enfants. La première est remplie de jouets et sert de salle de jeu aux bambins de passage. La seconde est destinée à la maternité et la petite enfance, le genre de lieu où l’on peu s’extasier sur la petitesse des chaussures le tout englobé de mignonitude verbale. 

Le couloir, lui, abrite une vitrine où s’expose les originalités : une paire de lunettes à la Isabelle Huppert, un service à thé avec ses petites assiettes. 

 

Entre 15h et 18h, hommes et femmes de tous âges passent déposer des vêtements et en prennent d’autres en échange. Ici, il n’y a pas d’argent. Le troc est roi, sans regarder si le nombre d’affaires pris correspond au nombre amené. Les cartons pleins de vêtements apportés débordent, il n’est alors pas question d’être regardant sur les échanges. Confiance et réponse aux besoins. Les sourires sont réguliers, les gens se connaissent. Dans le quartier, le SMS est connu pour les habitants et c’est un lieu où l’on revient souvent. C_rise notamment est un des espace les plus ouverts sur l’extérieur.

Un couple d’octogénaire font affaire. La femme se sert d’un mètre de couturière pour prendre les mesures de son mari. A l’ancienne. S’en suit un jeune militant passe récupérer ce que Giulia lui a mis de côté. A 17h, une femme doit passer récupérer des cartons de vêtements qui partiront en Erythrée. 

Ce petit magasin de quartier est basé sur l’échange et la réutilisation comme autant d’outils pour résister à la crise. Mis ensemble, ces vêtements permettent de se soutenir mutuellement et  de construire des espaces de solidarité et sociabilité. Ils nous rappellent qu’il suffit de changer de regard sur les choses pour les considérer. Elles, elles restent les mêmes, sans bouger, dans l’attente d’être portée puis redonnée. Elles sont le témoin d’instants personnel à qui veut bien les voir. Ou seulement imaginer.

 

Lien C_RISE : Facebook et site Il Cantiere

 


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