Centre Social Cantiere: « quartier général » du mouvement »

cantiereQuartier San Siro, nord-ouest de Milan, mai 2001. Un groupe d’étudiants et travailleurs précaires occupe un immeuble privé et abandonné depuis 16 ans en via Monte Rosa, au carrefour avec Piazza Lotto, nœud important de la ville. A partir de ce moment, un nouveau mouvement sociale citoyen commence à construire sa place dans la métropole, sans jamais arrêter de grandir. Ce premier immeuble occupé, nommé Centre Social Cantiere, représente le « quartier général » du mouvement. C’est ici que les décisions politiques sont prises et les assemblées les plus importantes et les principales activités d’autofinancement sont organisées. Le lieu est organisé physiquement sur deux étages : au rez-de-chaussée il y a deux grands espaces communs, la librairie (nommée Don Durito) qui donne sur la rue et le restaurant populaire (« taverna sociale »), ouverte au public du lundi au vendredi.

Lutter contre les expulsions: le « Comitato Abitanti San Siro »

comitatoMeme quartier, meme ville, année 2009: le Comité des Habitants de San Siro voit le jour. Il s’agit d’un mouvement de lutte pour le droit au logement fondé sur la participation active des habitants du quartier. Le Comité se réunit chaque mardi soir en assemblée afin d’informer tout le monde sur les nouvelles les plus importantes (en termes de situations individuelles ou citoyennes) e d’organiser les activités futures. Pendant l’heure précédant l’assemblée, les coordinateurs du Comité accueillent les personnes présentes pour la première fois, ils en recueillent l’histoire et leur expliquent le fonctionnement du mouvement. Au même temps, des femmes du Comité s’occupent de préparer à manger, l’assemblée termine ainsi avec un diner populaire pour tous ceux qui le souhaitent. Le comité a son siège principal dans un espace de quartier nommé « Spazio Micene », du nom de la rue où il se situe. Cet endroit n’est pas exclusivement du Comité, il s’agit d’un lieu traversé par différentes réalités du quartier. Une activité très importante du Comité est celle des « petits déjeuners anti-expulsion » : chaque matin vers 8h, un groupe de membres du Comité se retrouve sur le trottoir ou dans la cour de certains des immeubles sous risque d’expulsion et, sous prétexte de prendre le petit-déjeuner ensemble, ils surveillent le territoire pendant quelques heures afin d’alerter tout le monde en cas d’arrivée de la police pour expulser quelqu’un dans le quartier. Si cela se passe, tous les membres du Comité sont alertés à travers un groupe Whatsapp : qui peut rejoint les autres pour essayer de comprendre la situation et, si possible, d’intervenir en défense de la personne/famille à expulser. Les caractéristiques les plus fortes et positives du fonctionnement du Comité sont la participation active des ses membres et l’importance donnée aux moments de socialité. Le groupe présente une forte hétérogénéité culturelle, linguistique et d’âge. Néanmoins, il s’agit d’un groupe cohésif et solidaire qui fait de ses différences une ressource. La voix prépondérante de certaines personnes, avant tout les militants du Cantiere mais aussi certains membres avec une personnalité plus marquée et une plus longue histoire de présence au sein du Comité, permet une organisation plus ordonnée et rapide des différentes activités et la démocratisation de certaines mots d’ordre. Cependant, tous les membres sont constamment invités à exprimer leurs opinions, à faire des propositions et à partager leurs expériences. Bien que l’expression orale de certaines revendications et des besoins principaux ne soit pas facile pour la plupart des membres, ils participent activement à la majorité des activités organisée en en partageant les idéaux et les objectifs. Une très grande importance est donnée aux moments de socialité et convivialité : c’est pendant les diners, les fêtes, les petits déjeuners que les gens se connaissent, se racontent, commencent àse faire confiance les uns aux autres. Gonzalo le répète souvent en assemblée : le Comité ne signifie pas seulement lutter pour le droit au logement, mais aussi s’engager à créer une communauté alternative et solidaire qui s’oppose au logiques aliénantes de l’individualisme capitaliste, qui valorise les différences et qui revendique une façon de vivre collective et métisse.  Malgré toutes les énérgies positives, il faut aussi souligner quelques criticités. D’une part, l’action du Comité doit faire face à la présence en quartier de ce qu’ils appellent le « racket » : il existe un système de vente et mise en location des logements populaires vides par des individus qui s’occupent de les ouvrir et de les gérer comme s’ils étaient à eux. Il faut dire qu’on n’a pas la sensation qu’il s’agisse d’une organisation criminelle organisée. Il s’agit plutôt de petits groupes ou d’individus qui spéculent sur la situation locative du quartier et sur le désespoir des gens comme stratégie de survivance. Selon Elena, chercheuse active dans le quartier, le racket s’appuie souvent sur l’ignorance des gens : quand ils arrivent à San Siro, souvent ils ne connaissent pas le quartier, ils ne savent pas que ce sont des logements publics et ils se laissent convaincre facilement à payer des loyers ou à acheter des maisons à des prix qui leur semblent avantageux. Mais le moment de l’expulsion arrive toujours, et ils se rendent compte après d’avoir payé beaucoup d’argent pour rien. La présence de ce « racket » complique le travail du Comité qui le refuse publiquement et qui ne peut pas agir contre les expulsions de qui a alimenté ce système, afin de se protéger du risque d’être assimilé à l’activité criminelle du racket. Elena affirme aussi que, pour cela, dans les zones du quartier plus intéressées par l’activité du « racket » la visibilité du Comité est moindre et leur activité moins efficace. D’autre part, le Comité doit aussi faire face aux représentations sociales qui sont véhiculées par les médias et les pouvoirs politiques en rapport avec la pratique d’occuper les logements. Une forte campagne médiatique et politique a été développée en désignant les occupants comme des criminels, des mystérieux abusifs, et l’occupation comme une pratique faisant prolonger l’attente de ceux inscrits aux listes pour les logements publics. La dernière loi sur les logements, le « Piano Casa », criminalise d’ailleurs l’occupation abusive des logements vides en prévoyant l’impossibilité pour les occupants de stipuler les contrats de fourniture d’eau, électricité et gaz et l’effacement de leurs droits de résidence, entre autres la possibilité d’inscrire les enfants à l’école ou de profiter du service sanitaire public. Tout cela, accompagné par un grave manque de contre-information, crée des soucis de connivence : en particuliers les nombreuses personnes âgées qui habitent le quartier depuis toujours et qui l’ont vu changer si rapidement se retrouvent perdues, ils ne connaissent plus leurs voisins et, en s’appuyant sur les informations fournies par les médias, ont un regard négatif de l’action du Comité. Ce-dernier, pour l’instant, n’a pas encore trouvé la stratégie correcte pour leur faire changer d’avis.

Vivre et lutter ensemble: SMS, l’espace de secours mutuel

smsMême quartier; même ville, année 2013: le SMS (Espace de Secours Mutuel) nait en Piazza Stuparich. Occupé avec l’idée d’en faire un lieu exclusivement dédié aux activités de secours mutuel, SMS est progressivement devenu aussi un lieu de résidence. Ils y habitent environ 70 personnes, toutes censées s’engager dans les projets actifs dans l’espace: une université populaire, qui propose surtout des cours de langues étrangères, le gymnasium populaire avec différents cours de sport, « Crise » – le marché du troc de vêtements, des activités pour les enfants l’après-midi, le « gasp » -Groups d’Achat Solidaire et Populaire. L’espace héberge aussi l’atelier de deux peintres. Deux appartements sont prévus pour les invités : la Guest-House et la Maison du Volontaire. La grande cour se prête bien à l’organisation d’évènements socio-culturels et d’autofinancement. Comme le Comité, ce projet aussi est caractérisé par la socialité et la participation.

Actuellement, Charlotte et moi, ensemble avec Manuela et Gonzalo, nous sommes en train de travailler sur la réalisation d’un guichet social de soutien à l’habiter qui se situera à l’intérieur de l’université populaire. Le mouvement de lutte pour le droit au logement s’est déjà constitué en syndicat (syndicat ASIA, qui fait partie du plus grand USB) et la création du guichet représente la deuxième étape. En se mettant dans la possibilité de gérer en personne certaines formalités administratives et légales, le Comité pourrait finalement réussir à intercepter les personnes en difficulté au début du problème en pouvant ainsi penser à des solutions gérables dans le temps et de manière collective. En fait, l’un des plus grands problèmes auquel le Comité doit faire face actuellement est que les gens l’interpellent seulement à la fin d’un parcours beaucoup plus long, quand leur situation est désormais devenue d’urgence et il n’y a pas de solution possible.

Les trois espaces présentés sont fils d’un même mouvement, né avec l’occupation du Cantiere en 2001. Ce mouvement est composé de beaucoup de personnes, toutes assez jeunes, qui travaillent sans relâche à la réalisation de plein de projets différents. Pour cela, l’atmosphère et le travail résultent des fois un peu confus et désordonnés. Néanmoins, pour ce que j’ai pu voir jusqu’à maintenant, la réalisation des projets est toujours positive.

Ensemble on est plus forts: la Coalition Européenne pour le Droit au Logement et à la Ville

coalizioneLe mouvement fait aussi partie de la Coalition Européenne pour le Droit au Logement et à la Ville, qui vient de terminer sa réunion semestrielle ici à Milan. De mercredi à aujourd’hui, une vingtaine de mouvements sociaux sur le droit au logement de différents pays européens se sont retrouvés dans les salles du SMS et du Cantiere pour discuter et partager les éxperiences de chacun et avec l’objectif de créer des actions communes de plus fort impact. C’était des jours intenses et inspirants, colorés d’énérgie et courage qui ont donné un nouveau souffle et du nouveau cran à la lutte pour que le logement soit un droit pour tout.e.s!