Le logement est un concept essentiel du quotidien des individus. On parle de notion d’habiter, de foyer, considéré comme base de construction et d’émancipation personnelle. Le logement revêt autant une dimension économique, que sociale ou même symbolique.

Pour ma part, parler logement revient à parler de plans locaux d’urbanisme et d’habitat, de schémas directeurs, de logement social, d’accession à la propriété, et aussi bien-sur de bien être. Mais aussi malheureusement de sans abris et mal logé-e-s. Qu’en est-il de la Grèce ? Comment parle t-on logement ici ?

Avant toute chose, il faut avoir en tête quelques chiffres

Il est difficile de trouver des statistiques concernant le logement en Grèce. Peu de chiffres récents donc, mais quelques indicateurs tout de même. La part des propriétaires est élevée, 80% jusqu’en 2012, elle baisse un peu ensuite, crise oblige, nombre de propriétaires vendent leur logement pour vivre avec l’argent issu de la vente.

Aujourd’hui, si les grecs sont majoritairement propriétaires ce n’est pas parce qu’ils vivent au-dessus de leur moyens. Les politiques de sécurités sociales ayant toujours étaient faibles en Grèce, être propriétaire est historiquement un moyen d’assurer une certaine sécurité à ses pairs. Ainsi il est courant de posséder plusieurs propriétés pour y loger ses enfants ou parents. Jusque dans les années 1990 cette accession à la propriété s’est faite à l’aide de systèmes informels et d’économies personnelles, afin d’acheter mais surtout de construire. A partir des années 1990 les banques et les gouvernements ont mené une campagne pour encourager les ménages au recours au crédit. De plus les prix du marché ayant augmenté, ceci devient peu à peu nécessaire. On estime que 50% des grecs sont aujourd’hui endettés (dette publique et/ou privée).

Autre information importante, l’intervention de l’État est minime dans ce domaine. Malgré son rôle économique important, les investissement concernant le logement ne représentent que 0,5% du PIB. Il n’y a par exemple pas de logement social en Grèce. Ce qui pourrait s’en rapprocher est l’Organisme du logement des travailleurs, dissout en 2012, sous la pression de la Troïka1. Les travailleur-ses (secteur public et privé) cotisaient à cet organisme et pouvaient donc à terme obtenir des prêts préférentiels pour l’achat d’un logement. La part de ces logements représente aujourd’hui 2,8% du parc. Autre exemple, les aides aux logements n’existaient pas jusqu’en 2015, nous y reviendrons.

Une situation bien différente de ce que l’on peut voir en France donc. Quelques points de comparaison : en 2016 l’État consacre 17,68% de son budget à l’Égalité des territoires et au logement, le logement social en France représente 19% du parc et la part des propriétaires est estimée à 58%.

Les Grecs ont de plus en plus de mal à assumer les coûts liés au logement

Le taux de surcharge des coûts concernant le logement élevé, en 2014, on estime que 40,7 % de la population vivait dans un ménage dont les coûts totaux liés au logement représentaient plus de 40% du revenu total disponible du ménage.2 Coté finance, les prêts « non performants » sont passés de 3,6% en 2007 à 28,1% en 2014.3 Ces difficultés de paiement entraînent des dettes privées (remboursement prêts) mais aussi publiques (taxes, électricité, eau).

Face à ce constat les divers gouvernements mettent en place à partir de 2009 une succession de lois plus ou moins protectrices contre les expulsions et ventes aux enchères. En fonction du montant de la dette et des revenus et actifs des ménages, les expulsions sont suspendues pour une partie de la population. Jusqu’en 2013 les ménages ayant une dette inférieure à 200 000 € sont protégés, ainsi que l’ensemble de leur bien. Cependant, peu de ménages en bénéficient, de plus au fil des années les conditions vont être de plus en plus restrictives. Depuis 2013, seules les propriétés principales ne peuvent être saisie, sous certaines conditions : revenu inférieur à 35 000 €, valeur du logement inférieur à 200 000 €, valeur des propriétés mobiles et immobiles inférieures à 270 000 €, et dépôt de banque inférieur à 15 000 €. Le reste des biens immobiliers est mis aux enchères. Cependant, comme vu plus haut, il est très commun en Grèce d’avoir plusieurs biens immobiliers à un seul nom pour loger sa famille, ces derniers ne sont donc pas protégés et potentiellement en danger d’expulsion.

En novembre 2015, une nouvelle loi est votée, c’est actuellement celle en vigueur (à priori jusqu’en 2018). Les ménages sont maintenant protégés si leur dette est inférieure à 250 000 € (valeur du bien calculé en fonction de sa valeur de liquidation), il existe cependant trois cas de figures en fonction des revenus.

Les ménages ayant les revenus les plus faibles (13 000€/an pour un couple) négocient un accord devant le tribunal. La cour peut leur demander de continuer à rembourser une part de leur prêt (plus ou moins importante, parfois symbolique), l’État couvre le reste, durant trois ans. Ces ménages restent redevables à l’État. Les ménages aux revenus intermédiaires (entre 13 000€ et 25 000 €/ an pour un couple), peuvent eux aussi obtenir un arrangement au tribunal pour rembourser leur prêt. Enfin, les autres doivent trouver un arrangement directement avec les banques.

Durant leur négociations, les ménages se retrouvent parfois bien seuls face aux banques. En effet, aucun encadrement n’est prévu par la loi, seulement par deux directives. L’une, part du postula que chaque famille doit avoir un minimum de ressources pour vivre correctement, et donc ne doivent pas payer leur traites si leur revenus en ressort inférieur à ce minimum « vital ». Cependant, en l’absence d’une réglementation, les banques estiment au cas par cas de la somme dont les ménages ont besoin pour vivre. Ensuite, les banques évaluent le caractère « collaboratif » des ménages dans les négociations, selon des critères totalement arbitraires. Si elles estiment qu’ils ne le sont pas, ou pas assez, les ménages sont envoyés devant le tribunal.

De manière général, les banques ne se montrent pas conciliantes, en particulier si la dette peut être couverte par l’expropriation, dans ce cas elles vont faire en sorte de récupérer le bien immobilier. À l’inverse si ce dernier ne suffit pas, elles vont se montrer plus arrangeantes, dans le but de récupérer le plus d’argent possible.

Ceux qui réussissent à négocier avec les banques, restent dans une situation très précaire. S’ils ne peuvent pas honorer les traites trois mois sur une année, les banques lancent le processus de mise aux enchères des biens immobiliers.

Malgré cette relative protection, on estime qu’aujourd’hui en Grèce 900 000 ménages sont sous la menace d’expulsion et/ou d’expropriation endettés, et donc susceptibles de perdre leur propriétés. *

De plus, pour aider les ménages à supporter le coût du logement, le gouvernement vote en mars 2015 l’allocation d’une aide financière. Ainsi 30 000 ménages reçurent entre 70 et 220 € par mois jusque la fin de l’année 2015 (avec possible reconduction en 2016). Cette allocation peut être utilisée en compensation d’impayé de taxes ou d’assurance. Une mesure aux effets limités comparé au nombre de ménages incapables de rembourser leur prêt et menacés d’expulsions.

Une autre conséquence de la hausse des coûts du logement est l’augmentation de la précarité énergétique. En 2013, l’électricité aurait été coupée dans 350.000 foyers grecs, touchant de l’ordre de 8% des ménages du pays. Toujours en mars 2015, le Gouvernement met également en place une mesure concernant l’électricité. Ainsi, tout ménage dont l’électricité a été coupée doit être reconnectée gratuitement pour les résidences principales. Pour les ménages estimés dans le besoin (enfants en bas âges, chômage sur long terme, menace d’expulsion, coût du logement surchargé), 300 khw est fournit gratuitement jusque fin 2015.

L’augmentation des sans abris depuis la crise est alarmante

Le sans abrisme est relativement récent en Grèce, et a été fortement accentué par la crise. Le nombre de personnes sans abris a augmenté de 25% entre 2009 et 2011. On estime aujourd’hui qu’il y aurait plus de 20 000 personnes vivant à la rue. Là encore les mesures ne sont à la hauteur du problème, cependant les municipalités ont mis en place des programmes d’hébergement d’urgence, financés en partie par l’UE et l’ONG grecque Action Homeless. Il existe quatre types de programmes. Une aide financière tout d’abord, avec la possibilité de demander à la mairie de sa ville une aide ponctuelle. De plus, des centres de soins sont ouverts et permettent aux sans abris de s’y laver, de laver leur linge ou de recevoir un repas. Des centre d’accueils d’urgence en dortoir sont également ouverts, ces centre offre une capacité d’accueil plus que limitée : sur Athènes seulement 400 places en hébergement d’urgence sont proposées. Et enfin un programme d’insertion par le logement : les individus sont pris en charge et accompagnés par les services sociaux pour une année, durant laquelle ils font des démarches pour trouver un travail et gagner en autonomie.

Je ne peux évidemment pas conclure cet article sans mentionner les problématiques concernant les réfugié-e-s. Depuis la fermeture des frontières, plus de 50 000 personnes se retrouvent aujourd’hui bloquées sur les terres grecques. Ce phénomène vient s’ajouter aux défis en terme de logements que va devoir relever la Grèce. Un futur article sera consacré à ce sujet.

Ce bref état des lieux n’est que la partie visible de l’iceberg. En effet une partie importante de la population vit dans des conditions préoccupantes et est occultée, autant dans les statistiques que dans les politiques mises en place, car « invisible ». Tel que les gens en situation précaire de logement car hébergés par des ami-e-s ou la famille, qui ne constitue qu’une solution instable et provisoire. Je pense aux jeunes adultes obligé-e-s de retourner vivre chez leurs parents faute de moyen pour payer un logement personnel. Il s’agit aussi des personnes aujourd’hui internées (centres psychiatriques), les mineur-e-s en orphelinat ou encore les personnes incarcérées, qui auront à terme besoin d’un logement.

Le droit au logement est inscrit dans la Constitution Grecque de 1975, art.21 : « L’obtention d’un logement par les sans abris ou ceux qui sont logés de façon inadéquate constitue un objet d’attention spéciale de la part de l’État ». Cependant il n’existe actuellement pas d’outils juridique ni de mécanisme mis en œuvre par le pouvoir exécutif dans ce sens. Sans une réelle politique concernant le logement, et alors que les aides sociales diminuent encore et encore, il paraît compliqué d’apporter des réponses sur ces problématiques par le biais des voies institutionnelles.

Le gouvernement a voté le dimanche 22 mai, sous la pression de l’Union Européenne, un ensemble de mesures visant à augmenter de nouveau les taxes, notamment sur les biens de consommations, et bien-sur réduire encore le budget de l’État afin de débloquer la dernière tranche de prêt. Dans la foulée, j’apprends que la position officielle du gouvernement concernant le logement est qu’il n’y a tout simplement pas de problème. Mauvaise foi ou déni face à l’impossibilité d’agir significativement dans ces conditions ? En tout cas cela ne présage rien de bon pour l’accès au logement pour tou-t-e-s dans des conditions dignes, et promet, tristement, encore une longue vie à la lutte.


1La Troïka désigne les experts de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fond monétaire international, chargés d’auditer l’économie grecque depuis l’accord passé pour le refinancement négocié en mai 2010.

2 Eurostat, communiqué de presse sur les conditions de logement en 2014, Nov. 2015

3Bank of Greece. Summary key short-terme indicator for the real estate market, 2015

* Précision : On estime que 900 000 ménages sont actuellement endettés en Grèce, dont 170 000 ménages ayant fait une demande de protection par la loi Katseli (loi ayant pour but de protéger les résidences principales) et sont en attente de réponse.