Dans le cadre de ma mission sur le droit au logement en Grèce, j’ai eu l’occasion de participer à la troisième rencontre de la Coalition européenne pour le droit au logement et à la ville. Après Londres et Athènes, c’est à Milan qu’avait lieu cette rencontre, du 1er au 5 juin.
L’opportunité pour moi de me rapprocher du milieu militant européen et de me rendre compte un peu mieux de la situation du logement et le droit à la ville dans les différents pays. Une semaine riche en débats et discussions autours des questions d’accès au logement et à la ville, dans un contexte d’austérité politique généralisé à l’échelle de l’Union Européenne, mais aussi de l’organisation des diverses actions militantes à venir. Et autant dire que le programme de fin d’année est chargé !

La rencontre se tenait entre le Cantiere, centre social ouvert depuis 15 ans, et le SMS (Spacio de Mutuo Soccorso), deux espaces occupés, situés dans le quartier de San Siro ; elle était articulée autours de trois sujets principaux : Mutuo Soccorso (concept Italien, que l’on peut traduire en français « aide mutuelle », à mi chemin entre vie en communauté et échanges de services), la financiarisation de l’habitat et du foncier et la question des migrants.

L’aide mutuelle a bien sûr était présentée par nos hôtes, mais également par un groupe venu d’un centre social de Parme : ART Lab (ART pour Autogestisci Rivendica Trasforma). J’ai donc pu découvrir le fonctionnement de ces lieux, l’impact sur la vie sociale et militante de leur quartier. 

Mes camarades Caterina et Charlotte ont la chance d’effectuer leur mission au Cantiere, elles en parlent donc bien mieux que moi à travers leurs articles.

Pour ma part je suis toujours surprise par ces squats auto-gérés que l’on peut trouver en Italie ou en Grèce. Ces lieux sont autant des espaces de vie, où s’organise une vie en communauté, que d’échanges et de partages entre groupes militants, ou encore un espace de vie sociale (librairie, bar, cantine, concerts, conférences…). Nous n’avons pas cette culture du squat aussi développée et communément admise en France, où ils sont souvent cachés, pas forcément très ouverts, autant pour des raisons idéologiques que des raisons politiques. 

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Spacio de Mutuo Soccorso

La coalition est aussi l’occasion de discuter de grandes préoccupations communes à l’échelle Européenne. La question de la financiarisation de l’habitat et du foncier menace directement le droit au logement et à la ville, en s’attaquant aussi bien au logement et donc au concept même de l’habitat – et au foncier, le tout aussi bien du secteur public que du privé. Est abordé bien sûr l’exemple du MIPIM, foire du foncier, où se rencontre divers acteurs : architectes, urbanistes, promoteurs mais aussi politiciens élus locaux -, et où se vendent de grands projets d’aménagements pour la plupart inutiles, tout en reniant tout principes démocratiques (aucune discussion citoyennes en amont sur l’implantation de ces projets). Les activités du groupe de spéculation immobilière Blackstone sont également exposées. Ce fond vautours – pour sa faculté à se jeter sur ce qui est « pourri » et en faire son gagne pain –, s’est attaqué à l’Espagne en 2008 en rachetant des crédits immobiliers aux banques. S’en suit une vague d’expulsion, le groupe n’hésitant pas à augmenter les crédits afin de récupérer les biens immobiliers pour cause de défaut de paiement, laissant les ménages sans logement et toujours endettés.

De ma courte expérience grecque, cela fait écho aux activités du TAIPED. Cet organisme au fonctionnement opaque et créé à l’initiative de la Troïka, morcelle le foncier grec et le vend à des entreprises privées étrangères, officiellement dans le but de rembourser la dette. Des immeubles et infrastructures de services publics sont également concernés par ces transactions. Pour rembourser une dette privée, on vend donc à prix cassés le patrimoine public aussi bien économique que culturel (les 14 aéroports régionaux se sont vendu à 10% de leur valeur). Comble de l’absurde, les immeubles publics vendus à des entreprises privées (tels que des ministères) seront ensuite loués par l’État grec pour pouvoir continuer à les utiliser.

Je ne peux également m’empêcher de penser au contrôle social par la dette, mécanisme qui a été construit à coups de politiques d’incitation aux crédits pour l’acquisition de biens immobiliers. Les individus endettés contraints de rembourser leurs crédits sont donc soumis au système financier. Une réalité d’autant plus frappante actuellement avec les difficultés rencontrées par l’ensemble de la population européenne pour honorer leur traites ; elles représentent une part de plus en plus importante du budget des ménages, empiétant sur leur vie sociale, culturelle et leur loisir.

Enfin la question de l’hébergement des migrant-e-s, qui avec la fermeture des frontières connaît une nouvelle dimension : il ne s’agit plus d’héberger des populations en transit mais bien de loger des personnes qui vont rester sur le territoire. La Grèce et l’Italie sont particulièrement touchées par cette problématique, mais la question des migrant-e-s et réfugié-e-s n’en reste pas moins une préoccupation commune à l’ensemble des pays Européen, qui doivent aujourd’hui montrer leur soutien. Deux militant-e-s du Notara26 (squat situé rue Notara dans le quartier d’Exarchia) sont venu-e-s présenter l’initiative. C’est un des premiers squats ouverts pour l’accueil des réfugié-e-s, et qui a donc était confronté à cette transition entre population de passage et population qui reste. Le Notara26, comme les autres squats, s’organise autours d’assemblées traduites parfois en quatre langues différentes. Tout y est décidé collectivement sur un principe d’horizontalité, et tout contact avec les ONG ou l’État est catégoriquement refusé afin de ne se retrouver sous aucune emprise que ce soit. Après huit mois d’ouverture, les militant-e-s ont réussi a intégrer pleinement les réfugié-e-s qui y vivent dans les prises de décisions. Un pari qui n’était pas gagné d’avance, beaucoup viennent de pays où le mot même « squat » n’existe pas et dont les principes leur échappent. Un des derniers squats ouvert dans une école du même quartier a été occupé à l’initiative des réfugié-e-s eux mêmes, une belle avancée dans l’empowerment des réfugié-e-s et migrant-e-s. Car c’est aussi de ça dont il s’agit, intégrer pleinement ces populations dans les décisions qui les concernent, donc être acteurs de leur destinée et leur intégration, et non plus seulement subir des décisions politiques.

Les squats de réfugié-e-s sont, de fait, une solution alternative aux camps, où les conditions d’hébergement en tentes ou préfabriqués sont déplorables, et où les population sont totalement dépossédées de leur pouvoir de décision (à l’exception de camps auto-gérés sur les îles). Leur localisation en centre ville permet aux occupant-e-s de s’insérer dans la vie du quartier (proximité commerces, réseaux urbains…) et participe donc à faciliter leur intégration.

J’ai pris l’habitude d’aller de temps en temps donner un coup de main au City Plaza et de participer à ses assemblées ouvertes. Ce squat a deux particularité. Premièrement il occupe un bâtiment privé, il est situé dans un hôtel laissé à l’abandon depuis 6 ans. De plus, le City Plaza souhaite également faire de cet espace un lien de rencontre pour militants, associations, ou toute personne ayant un projet de solidarité à partager. De fait, les squats luttent contre la racisme, la xénophobie, le sexisme, les accords entre la Turquie et l’EU, et plus généralement pour le droit à une vie digne pour tous et toutes et l’ouverture des frontières, mais tous ne se revendiquent pas comme un espace de convergence de lutte tel que le City Plaza.

On discute également de la définition même du migrant, et des différenciations qui sont souvent faites entre « migrant-e-s économique », « réfugié-e-s», afin de répartir et traiter les demandes d’asile. Un militant prend la parole sur ce sujet et conclue « Il n’y a pas de migrant-e-s économique, il n’y a que des victimes du capitalisme ». Une réflexion qui pour moi peut s’appliquer à l’ensemble des problèmes discutés au cours de cette rencontre, et bien plus encore. Prendre conscience que l’on vit dans un système économique qui laisse pour compte une partie de la population, bien au delà de nos frontières européennes. Concernant les victimes des hypothèques la PAH tient le même discours : nous ne sommes pas responsables de notre endettement, nous sommes des victimes d’un processus construit par nos politiques.

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La coalition s’organise également autours de présentations, débats, exemples d’actions menées, de partage de compétences en groupes. Sous forme de jeux ou discussions plus ou moins formels les militant-e-s profitent de la rencontre pour échanger sur leurs expériences et s’inspirer des différentes luttes et actions menées dans d’autre pays, sur des sujets variés : mobiliser autours d’une lutte, stopper les expulsions, échanger des compétences à l’intérieur même d’un mouvement… La force de la coalition est là : considérer que malgré des situations propres et différentes de chaque pays, des ponts peuvent -et doivent- être créés entre les mouvements pour gagner en rapport de force. Des appels solidaires ont également été lancés, souvent pour la libération de militant-e-s, mais aussi pour participer à des actions locales. Des rendez-vous ont été pris pour des actions communes ou de prochains meetings.

Ce fut quatre jours riches en savoirs mais aussi en émotion. La colère, la frustration, l’indignation face à certaines situations ou réalités, qui paraissent nous dépasser. Mais aussi l’espoir, la confiance et la motivation, car des réponses existent. Des forces vives luttent au quotidien. La coalition est une rencontre assez jeune (autant par sa date de création que par les militant-e-s qui y sont présents) : la relève est assurée.

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