Migrations forcées, « déportation » des paysans, exploitation des ouvriers agricoles : ces situations que dénoncent la Via Campesina n’existent pas qu’en Europe. Nous partons aujourd’hui pour la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, découvrir les conditions de vie et de travail des ouvriers agricoles,  un réel système d’esclavagisme moderne pour le ramassage des fruits et des légumes… qui se retrouvent où ? Dans nos assiettes : le moment de se poser et réfléchir à nos moyens d’agir.

Les jornaleros mexicains ou les nouveaux esclaves agricoles :

En avril 2016, VICE news poste en ligne un reportage réalisé par Anna, reporter rencontrée à plusieurs reprise dans le cadre des actions de la Via Campesina en Italie. Son reportage réalisé dans les états de Sinaloa et de la Baja California au Mexique est assez révélateur et le titre vous en dira déjà beaucoup « Là où les légumes sont mieux traités que ceux qui les ramassent ». Pendant 22 minutes, elle nous emmène dans ces exploitations où des milliers de travailleurs sont exploités chaque année pour le ramassage des fruits et des légumes à destination des Etats-Unis.

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Photo : Carte du Mexique, extrait du reportage réalisé par Anna

Si l’état du Sinaloa est tristement célèbre pour ses cartels de drogue, c’est un autre portrait tout aussi tragique qu’elle nous présente ici : la situation des ouvriers agricoles, nouveaux esclaves. On découvre le quotidien de ces travailleurs, que des camions viennent chercher chaque matin pour les emmener dans les exploitations à quelques kilomètres de là. Souvent accompagnés de leurs enfants (ne sachant où les laisser), les hommes et les femmes partent travailler sous une chaleur assommante pour 7 ou 8 $ la journée.

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Photo : les ouvriers à l’embauche, extrait du reportage d’Anna

Anna nous emmène ensuite dans une ville où selon la WalkFree Foundation, plus de 250 000 personnes peuvent être considérées comme esclaves. Dans ces exploitations, des groupes de travailleurs sont logés sur place, prisonniers de l’entreprise : ils doivent consommer dans les « tiendas » tenues par le patron, laissent leurs papiers d’identité à l’entrée, utilisent le canal pollué pour se laver et nettoyer leur vêtements imbibés des produits qu’ils aspergent à longueur de journée sur les tomates sans aucune protection. Le verdict tombe : « Les légumes sont mieux traités que nous ».

Pire encore, à Villa Juarez, Anna nous fait découvrir les nouveaux « camps » où sont entassées les familles de jornaleros. Ces hôtels illégaux appelés « quarterias » sont des sortes de cagibi de 5m² au plus loués à des familles d’ouvriers, où les enfants restent seuls la journée enfermés dans ces taudis.

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Photo : Cuarterias de Villa Juarez, extrait du reportage d’Anna

Ainsi des milliers de travailleurs sont concernés par cette situation, souvent des « déplacés internes » qui fuient les états les plus pauvres du pays, en espérant un jour traverser la frontière. Parlant les dialectes locaux, ils comprennent rarement leurs employeurs et les contrats qu’ils signent…

Grève et boycott : les moyens de lutte pour la dignité

Face à ce mépris total et ces conditions indignes, des travailleurs luttent et réagissent. Ils n’attendent plus rien des autorités locales ou nationales qui ne cessent de fermer les yeux sur les conditions de vie des ouvriers mais aussi le travail des enfants. Même la mission de l’Organisation Internationale du Travail n’a pas porté ses fruits. Ils ne comptent plus que sur eux-mêmes pour essayer de retrouver un peu de dignité : « Je ne pense pas que les autorités nationales ou internationales changeront les choses. Les choses changeront par les ouvriers agricoles qui doivent prendre conscience de leurs revendications et réclamaient la dignité du travail », témoigne un travailleur.

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Photo : les jornaleros de San Quintin en grève

A San Quintin, dans l’état de Baja California, la lutte prend forme depuis un an: grève, manifestations, boycott. Depuis le printemps 2015, des représentants agricoles négocient en permanence pour obtenir quelques concessions au goutte à goutte. Les jornaleros réclament un salaire minimum de 13$ par jour et exigent l’affiliation à la sécurité sociale. Ils doivent alors affronter la forte répression policière : dès les premiers jours de la grève de 2015, les forces fédérales sont intervenues violemment et on comptait plus 170 personnes arrêtées[1]. Mais cela n’a pas suffi pour atteindre la détermination des travailleurs qui ont organisé une marche jusqu’à Tijuana, la frontière entre les deux Californies (mexicaine et états-unienne). De nombreuses organisations américaines ont alors apporté leur soutien aux travailleurs permettant de donner une nouvelle ampleur à la lutte.

Pour plus d’information : lire l’article « Paroles du Mexique : Anna rencontre Octavio, militant défenseur des ouvriers agricoles »

Qu’y a-t-il derrière mon assiette ?

Selon un article d’El Pais[2], la vallée de San Quintin compterait 8 500 ha de cultures, majoritairement des tomates, fraises, concombres, fruits rouges et oignons. Selon Anna, la moitié des récoltes est destinée à l’exportation vers les Etats-Unis. A la frontière, une batterie de tests hygiéniques et sanitaires sont réalisés : analyses, calibrages… Mais qu’en est-il des contrôles sur les conditions de travail ? Les entreprises d’expédition ne se préoccupent absolument pas des conditions dans lesquelles sont ramassés les fruits qu’ils vendront ensuite aux grandes surfaces. Selon ces ouvriers, « les supermarchés et entreprises d’expéditions s’enrichissent, alors que nous, en bas de la chaine de production alimentaire, on vit comme des esclaves ». Mais si ces entreprises vivent, c’est bien parce que nous, consommateurs, nous achetons !

Parti de ce constat, un appel au boycott a été lancé par ces ouvriers. Il cible alors une entreprise majoritaire sur le marché d’expédition des fruits : Driscoll’s.  Sur son site internet, cette entreprise d’expédition de fruits, spécialisée dans les fruits rouges se vente de sa politique concernant la qualité de ses fruits et sa rigueur sur les questions à travers les nombreux labels et cahiers des charges qu’elle remplit : traçabilité des fruits, produits phytosanitaires, eau…  tout y est sauf : les critères sociaux et les conditions de travail !

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Photo: action de la campagne de Boycott de Driscoll’s au Nord Ouest de Washington

Tout cela se passe bien loin de chez nous ? Pas tant que ça en réalité puisque Driscoll’s s’est implantée en Europe en 2009 et gagne maintenant les marchés asiatiques et le Moyen Orient. En France par exemple, l’entreprise dit s’approvisionner en framboise de Maine-et-Loire. Pour plus d’informations concernant les zones d’approvisionnement de Driscoll’s en Europe : consultez, http://www.driscolls.eu/fr/zonesdeculture.asp
Et sachez que vous pouvez également retrouver ces fruits rouges, venus du pourtour européen, dans votre super marché local ! Les framboises en barquette ci-dessous, produites au Portugal, ont par exemple été retrouvées dans un magasin Cora en France…

 

framboise portugaise

Photo : Framboises commercialisées en France par Cora

Citoyens, consommateurs… notre premier pouvoir n’est-il pas notre pouvoir d’achat ?

[1] Ximenez de Sandoval P., « Un conflicto laboral en el campo de Baja California salta la frontera », El Pais, 31 mars 2015

[2] Ximenez de Sandoval P., « Un conflicto laboral en el campo de Baja California salta la frontera », El Pais, 31 mars 2015.