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Les murs sont authentiques à Lisbonne. On y voit d’immenses villas respirant l’histoire, de vieux immeubles aux rebords sculptés. Et l’on s’interroge : pourquoi sont-ils vides ? Tous ces espaces de vie abandonnés, ces fenêtres à moitié barrées par de vieilles planches ternies par le temps, une végétation sauvage dans les cours intérieures, des arbres qui percent à travers les façades en décrépitude. Les lisboètes doivent avoir trop d’espace, trop d’habitat, à ne plus savoir quoi en faire. A Lisbonne, on estime à 8000 le nombre de bâtiments vides, 50 000 maisons inhabitées et 1 million au total au Portugal… Pour une population d’environ 500 000 habitants à Lisbonne, 2,8 millions dans l’agglomération de Lisbonne et 10 millions dans tout le pays.

 

Bâtiments et maisons abandonnées à Lisbonne:

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Pourtant Habita (www.habita.info), collectif pour le Droit au Logement et à la Ville, est complètement débordé. Cette surcharge de travail est notamment liée à la politique de rénovation de la ville qui, depuis 2007 a consisté en la démolition des bidonvilles en périphérie de Lisbonne tel que la ville d’Amadora (voir l’article de Morgane) et l’éviction des indésirables chômeurs, prostituées, familles précaires, bref des pauvres, qui entravent la gentrification, comme dans le quartier de Intendente à Lisbonne. Cette politique est le fruit des mandats municipaux du Partido Socialista, parti pas du tout socialiste mais tout à fait corrompu, dévoué aux intérêts des banques et des grands groupes et ayant signé le mémorandum de la Troïka.

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Sur le mur d’un bâtiment abandonné: « Ici des gens pourraient vivre »

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« Nous voulons Lisbonne ! Plus Habitée, plus Vivante, plus Solidaire »

 

Il y a donc d’un côté la spéculation immobilière à laquelle se livrent, avec le soutien des municipalités, les banques et les compagnies d’assurance pour qui l’habitat est un actif financier comme un autre ; et de l’autre les familles sans logement, sans travail, sans allocations. On estime que 1000 personnes sont à la rue à Lisbonne, dont la moitié sont des diplômés. Au-delà de ce chiffre, le plus gros problème concerne la surpopulation dans les logements de l’agglomération de Lisbonne. En effet, les familles, et cela est d’autant plus vrai pour celles issues de l’immigration,  ne sont pas accompagnées dans leur recherche de logement. C’est donc la solidarité entre familles, assez répandue au Portugal, qui prend le relais et permet de limiter le nombre de personnes à la rue. En contrepartie, cela abouti à un problème de surpopulation. Alors les familles se serrent dans les chambres et les salons pendant que des immeubles vides prennent l’air et que les bulldozers écrasent les habitations trop laides.

Les membres d’Habita et de l’association des Precarios Inflexíveis (« Précaires Infléxibles » – Association de lutte contre la Précarité) ainsi que les habitants délogés, mal logés militent pour arrêter les évictions, habiter les maisons vides et faire valoir le droit au logement pour tous. L’occupation de locaux sans droit ni titre révèle la contradiction entre deux droits reconnus comme fondamentaux par l’Union Européenne: le droit au logement et le droit de propriété. La jurisprudence de chaque pays membre permet un arbitrage entre ces deux droits, et dans certain cas la reconnaissance d’un certain droit d’occupation ou de squat, comme en France. Toutefois, force est de constater que c’est souvent le droit de propriété qui prime sur le droit à un logement décent. Au Portugal, la tendance n’est pas vraiment à la souplesse envers les « squatteurs », quelle que soit leur situation, et lors des rassemblements ou des occupations de bâtiments vides, la répression de la police est sévère.

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Fresque sur le mur du « Mob », espace culturel et de mobilisation dans le quartier de Intendente, à Lisbonne (voir article de Lucie)

 

Voilà donc une belle illustration de la machine à absurdités intolérables qu’est un État vendu aux intérêts du capitalisme. Certaines personnes diront qu’il est normal que l’État ne dépense pas d’énergie ou d’argent pour assurer le confort et la stabilité de familles venues d’ailleurs, de chômeurs flemmards, de prostituées et de dealers qui parasitent les rues de la ville. Mais ce raisonnement, en plus d’être inhumain, est trompeur. Derrière la politique  menée par un parti, un dirigeant, une entité d’État tel que les municipalités PS de Lisbonne et d’Amadora, il n’y a pas de pseudo valeurs morales, il n’a y pas de pseudo projet social, il n’y a pas d’ambitions pour un peuple, quelles qu’elles soient. Il n’y a qu’une ambition de pouvoir et d’argent. Et comment s’assure-t-on cela ? En vendant aux « investisseurs » l’espace de vie des « minorités » sans argent, sans soutien, sans défense. Ces personnes-là, et tous ceux qui pourraient être qualifiés de précaires, n’ont rien à voir avec des parasites. Ils sont au contraire une incroyable source de profits et sont le charbon de l’incroyable locomotive capitaliste. Ce sont ceux dont on peut prendre et vendre la maison en toute impunité; ceux sont eux qui « acceptent » les emplois les plus pénibles et les plus précaires, sans paiement des heures sup, sans congés, sans sécu (sur ce sujet, les Precarios Inflexivéis font un superbe travail de décorticage juridique et de mobilisation contre l’esclavage moderne perpétué par les entreprises de travail temporaire -ETT); ceux sont eux à qui l’on vend des crédits subprimes et tant d’autres produits menteurs. Qui fait tourner l’économie capitaliste ? Eux. Eux que l’on retrouve partout, dans les mines, dans les champs, sur les chantiers, dans les supermarchés, dans les ghettos, dans les « Nords » et les « Suds ». Et ceux sont eux les plus nombreux sur cette planète. Une seule question donc: comment s’unir et créer le rapport de force nécessaire pour renverser la balance ? Pour qu’enfin les richesses soient partagées, et qu’enfin l’État soit le garant de ce partage. Pour qu’enfin il n’y ait plus de maisons sans familles ni de familles sans maisons…