« Leïla, veux-tu travailler avec la confédération paysanne sur les travailleurs migrants saisonniers ? »

« oui, je le veux »

C’est à peu près ce qu’il s’est passé. A peine le temps de déglutir ou de douter que l’aventure commençait. Bienvenue dans ce nouveau monde, pleins de gens qui luttent, qui se battent et débattent !

En quelques semaines j’ai rencontré plus de gens et lu plus de choses que pendant mes 6 derniers mois de vie (j’exagère à peine…). J’ai été amené à me présenter plusieurs fois et voila ce que je répète et ce qui va définir mon action à l’aune de cette aventure :

Confédération paysanne – Travailleurs migrants saisonniers – France et Europe – Volontaire – Point d’étape/Bilan – Enthousiasme

Une brève contextualisation de la mission s’impose :

Agriculture maraîchère intensive, Serres, Loiret, France, Photographie aérienne (Pascal LE DOARÉ)

Agriculture maraîchère intensive, Serres, Loiret, France, Photographie aérienne (Pascal LE DOARÉ)

Un contexte agricole européen divisé qui favorise le développement de l’agriculture intensive

Le contexte agricole européen et international a subi de nombreuses mutations ces dernières décennies et tend à faire disparaître et émerger certains modèles. Le système industriel basé sur la compétitivité, la maximisation de la production et la minimisation des coûts de production se développe et se voit favorisé par la Politique Agricole Commune. Face à ce phénomène, l’agriculture paysanne familiale peine à subsister et tend à disparaître tant au niveau local qu’au niveau international. Se créé alors un dualisme agricole de plus en plus marqué engendrant une précarisation croissante des petites exploitations peu favorisées par ce système.

Cette industrialisation massive de l’agriculture va entrainer plusieurs pratiques et dérives notamment : une utilisation intempestive des OGM, une diminution de la biodiversité et de la qualité des produits agricoles ainsi qu’une détérioration des droits des ouvriers agricoles.

A l’échelle européenne, apparaissent des grands bassins de production à l’Ouest : dans le sud de la France et le sud de l’Espagne notamment. Les petites exploitations, principalement à l’Est de l’Europe, elles, disparaissent un peu plus chaque jour. Dans ce contexte, la mobilité des personnes à travers l’Europe se développe de plus en plus, en particulier de l’Est vers l’Ouest. Cette situation a plusieurs conséquences : paupérisation des petits agriculteurs et des ouvriers agricoles, exode rurale massive à l’Est, surexploitation des terres agricoles à l’Ouest.

C’est suite à ce phénomène qu’on observe une augmentation des migrations de travailleurs saisonniers sur les grandes exploitations en demande de main d’œuvre.

Des travailleurs agricoles migrants de plus en plus nombreux et des conditions de travail de moins en moins dignes

L’emploi de travailleurs saisonniers étrangers date du début du XXème (NAURIEL, 1994). C’est un phénomène ancien qui va subir la mutation de notre société (évolution des modèles agricoles, des politiques d’immigration, de la dérèglementation du travail etc.).

Dans cette logique de minimisation des coûts, les agriculteurs ont de plus en plus recours à de la main d’œuvre peu chère représentée par les travailleurs migrants souvent ignorants des droits locaux. De nombreuses dérives s’en suivent qui, dans l’ensemble, vont préférer une minimisation des coûts au détriment du respect des travailleurs.

Ces migrations ont tout d’abord été possible grâce à des accords bilatéraux entre la France et le Maroc et la Tunisie sous forme de contrat d’une durée allant de 6 à 8 mois (contrats de l’Office de Migration Internationale). Désormais une autre pratique est possible : le détachement de travailleurs (Pour en savoir plus) appartenant à l’Union Européenne. Les exploitants ne payeront alors que les charges sociales propre au pays d’origine (ces contrats vont souvent être préférés). Ces derniers contrats vont faire l’objet de dérives et s’apparenteront parfois à de l’esclavagisme.

Pour aller plus loin : les articles des anciens volontaires

Les consciences ne s’éveillent cependant que depuis une dizaine d’année suite à plusieurs évènements rendus publics :

-En 2000-2001 en Espagne lors des émeutes racistes d’El Ejido

-En 2003, Médecins Sans Frontières dénonce les conditions déplorables dans lesquelles vivent les travailleurs migrants de la province italienne de Foggia.

Il n’existe alors aucun syndicat défendant les travailleurs agricoles en France. La confédération paysanne va alors se saisir de cette thématique. Plusieurs choses vont découler de cette prise de conscience et notamment : la formation de CODETRAS (Collectif de défense des travailleurs étrangers saisonniers dans l’agriculture) et le programme « Agriculture Paysanne & Travailleurs migrants Saisonniers » par la Via Campesina en s’appuyant sur le soutien d’Echanges et Partenariats.

Entre échanges et partenariats : une collaboration

La confédération paysanne

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La Confédération Paysanne (CP) est un syndicat agricole né le 20 avril 1987. La CP dénonce la Politique Agricole Commune (PAC), elle milite pour la reconnaissance du travail des paysans et elle prône, entre autre, le principe de souveraineté alimentaire.

La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes durables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires.

CP est reconnue comme syndicat représentatif en 1990 et peut depuis 1999 prendre part à des commissions paritaires sur divers sujets.

Elle s’implique dans des débats locaux (foncier, installation, transmission…), nationaux (régulation des marchés, quotas, retraites…) mais aussi internationaux (traités de libre-échanges, Politique Agricole Commune). La CP s’engage également dans les mouvements sociaux de solidarité internationale. Elle a participé à la fondation de mouvements comme la Via Campesina (né en 1993). La via Campesina rassemble des millions de paysans, de petits et de moyens producteurs, de sans terre, de femmes et de jeunes du monde rural, de migrants et de travailleurs agricoles. Elle défend l’agriculture durable et s’oppose clairement à l’agriculture industrielle et aux entreprises multinationales. Elle regroupe plus d’une centaine d’organisations locales et nationales du monde entier (La Via Campesina).

Echanges & partenariats

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EP est une association créée en 2003 et qui lutte pour le droit pour tous et qui a comme leitmotiv de remettre au centre et réaffirmer le partenariat comme instrument de solidarité. EP est au cœur de plusieurs réseaux et favorise le renouvellement associatif en accompagnant et encourageant les jeunes à s’engager au sein de ses réseaux. L’envoi et le suivi des missions de volontariat vont permettre alors une mutualisation des connaissances, des expériences et un renforcement des liens entre les structures partenaires du réseau.

 

Ensemble contre la domination d’un modèle unique et pour la défense des travailleurs

La problématique des travailleurs migrants et de leurs conditions de travail découle directement d’un système en déséquilibre et incontrôlable. Au delà des problèmes éthiques clairs que ce phénomène pose, c’est une conséquence directe des effets néfastes du contexte libéral européen. C’est à travers cette lutte contre le modèle néo-libéral et pour le respect des droits des travailleurs que EP et la confédération paysanne vont collaborer.

Au sein de son pôle « social » la CP va traiter de la thématique des travailleurs migrants saisonniers et va documenter cette question durant 10 ans à travers l’envoi de volontaires sur le terrain (voir leurs témoignages).

Ce programme « agriculture paysanne et travailleurs migrants saisonniers » se veut multiacteur et est essentiellement porté par la CP avec l’aide de nombreux autres acteurs : volontaires, chercheurs, paysans, associations dont E&P fait parti.

Les premiers volontaires envoyés en 2006 ont eu pour principal objectif de faire un diagnostic de la situation : conditions de travail, processus de recrutement des travailleurs, impacts économiques des flux financiers etc.

De plus, un volet mobilisation des acteurs locaux et internationaux était un objectif. En effet, la problématique des saisonniers en agriculture mobilise difficilement. Pour les organisations agricoles traditionnelles, cette question n’est pas centrale. De même, pour les associations spécialisées dans les droits des migrants, la dimension « agricole » n’est pas un élément déterminant dans leur démarche d’appui ou de dénonciation. Or, cette problématique se situe sur une remise en cause de la Politique Agricole Commune qui favorise la concentration des bassins de production à l’Ouest, la disparition programmée de milliers d’exploitations à l’Est et la paupérisation croissante des populations qui génère une migration forcée.

Il est donc nécessaire d’ancrer cette démarche dans une nouvelle perspective de diversification des partenaires, car cette question est symptomatique des dérives néo-libérales des politiques agricoles en Europe.

Plus concrètement, une description approfondie des situations dans plusieurs zones géographiques a été effectuée (en Andalousie, au pays bas, en Italie, en France dans la Drôme etc.). Quelques actions concrètes en ont découlé : des réunions d’information auprès des travailleurs migrants, une amélioration du niveau d’information sur les conditions de travail des migrants auprès de tous les acteurs concernés (élus, associations, syndicats, administrations et institutions), une structuration du réseau d’acteur local.

Le projet est désormais à une période charnière : la documentation et l’analyse de la situation a été nourrit durant 10 années d’enquêtes, de témoignages etc. et ponctué récemment par la perte d’un des symboles de la lutte, Nicolas Duntze. Et maintenant comment on continue ?