Bon, on va pas se mentir, qui a déjà entendu parler du NPNRU ? Et de l’ANRU ? Et qui sait ce qu’est un PLU, un PLH, un POS, une GUP ou encore un SCOT ? On est d’accord, pour les néophytes (comme on dit), les non-urbanistes tout ça c’est du chinois. On va essayer de revenir plus simplement sur l’évolution de la politique de la ville et sur les questions de rénovation urbaine (bon je vous cache pas, forcément, y’aura deux-trois sigles, on n’y coupera pas …). Allez, on se lance !

 La « Muraille de Chine » du quartier Saint-Jacques, à Clermont-Ferrand, aujourd'hui concernée par un programme de rénovation urbaine.


La « Muraille de Chine » du quartier Saint-Jacques, à Clermont-Ferrand, aujourd’hui concernée par un programme de rénovation urbaine.

La politique de la ville et les « quartiers »

Le premier « plan banlieue » est lancé en 1977 par le Premier Ministre Raymond Barre : on veut « enrayer la dégradation physique et sociale » des grands ensembles. On met alors en place la procédure « Habitat et vie sociale » (HVS) censée réhabiliter certains de ces grands ensembles très dégradés. C’est le début de la politique de la ville, ayant pour objectif (entre autres) de décentraliser certaines actions de l’État.

La politique de la ville est définie dans la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine comme étant « une politique de cohésion urbaine et de solidarité, nationale et locale, envers les quartiers défavorisés et leurs habitants ». On est clair sur ce point : cette politique s’adresse aux « quartiers » (populaires, défavorisés, sensibles, mettez-y derrière tout ce que vous voulez) et à leurs habitants.
Cette politique est principalement gérée par l’État mais déléguera aussi certaines actions sur les collectivités locales ou sur des organismes divers. L’objectif commun inscrit dans la loi est « d’assurer l’égalité entre les territoires, de réduire les écarts de développement entre les quartiers défavorisés et leurs unités urbaines et d’améliorer les conditions de vie de leurs habitants ».

La première phase de la politique de la ville coure entre 1982 et 1988, c’est la « logique DSQ » : développement social des quartiers. Elle naît après les premières « émeutes urbaines » dans les quartiers d’habitat social. Cette phase est pensée selon trois rapports majeurs :

  • le rapport Schwartz (1981) sur l’insertion professionnelle des jeunes, commandé par l’État et répondant à l’observation faite face à la dégradation de l’emploi en général et à la montée du chômage chez les jeunes en particulier. Ce rapport inscrit les « jeunes » (on va passer ici sur qui sont les jeunes et tout et tout, mais on peut s’interroger) comme des acteurs à part entière de leur insertion sociale et professionnelle, cette perspective donnera lieu à la mise en place des Missions Locales dans l’intention de mobiliser les jeunes au plus près de leur lieu de vie.
  • le rapport Bonnemaison (1982) sur la délinquance et sa prévention, s’ancrant alors dans une logique répressive afin d’ « améliorer le cadre de vie, de rendre la ville moins anxiogène, de lutter contre la misère […] [afin de] contribuer à éloigner la jeunesse des réseaux de délinquance, qui prospèrent sur l’exclusion et le désœuvrement ». Bon, OK.
  • le dernier rapport structurant les années 1980 est le rapport Dubedout (1983) intitulé « Ensemble, refaire la ville » (c’est beau!). Celui-ci pose le principe selon lequel il faut tendre vers « l’équilibre social » à travers le peuplement des villes et des quartiers. En gros, c’est un peu le principe de la mixité sociale.

On voit en filigrane de ces différentes étapes et rapports que les « quartiers » sont compris comme des entités en soi, dont il faut traiter et corriger les problèmes. Ces trois rapports identifient comme problèmes majeurs la montée du chômage et la « désafilliation » des habitants des quartiers défavorisés à la société globale (qui entraîne potentiellement une jeunesse vers les réseaux de délinquance, on a bien lu).

L’idée alors à travers la logique « DSQ » est de mobiliser et d’impliquer les acteurs locaux, de valoriser les quartiers cibles, afin d’améliorer la vie quotidienne, sous tous ses aspects. On veut « faire du quartier » en traitant toutes les dimensions : éducatives, sociales, économiques… Un Fonds social urbain (FSU) est alors créé pour financer des projets de développement social urbain. La deuxième phase de la politique de la ville est celle dite « Banlieue ’89 » et vise à « faire de la ville » : on veut « déconstruire les cités » et remettre du lien entre les périphéries et le centre. Ça revient alors à banaliser les quartiers ciblés, à les invisibiliser et à tenter de ne plus les rendre spécifiques.

À partir des années 1990, on met en place les premiers « contrats de ville ». On veut faire du social avec de l’urbain. On commence à parler de « mixité sociale » (en ces termes, parce qu’on a bien vu que même avant, l’idée sous-tendait déjà) avec la Loi sur l’orientation pour la ville (LOV) de 1991 qui fixe des objectifs en termes de diversité d’habitat et de mixité sociale. La mixité sociale est censée casser la ségrégation qui a lieu dans les banlieues et les quartiers populaires. Les premiers contrats de ville seront signés en 1994.

Le (N)PNRU : késako ?

Les années 2000 laissent place à la logique de rénovation urbaine. C’est la loi Borloo de 2003, elle-même faisant suite au rapport très critique de 2002 de la Cour des comptes sur la politique de la ville, qui réoriente vers une logique de rénovation plus que de réhabilitation. On crée alors une agence centrale : l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), afin d’instruire les dossiers de candidature et financer les projets. L’ANRU n’est finalement là que pour distribuer les fonds et laisse les projets à l’initiative des maires. Parallèlement, on lance le Programme national de rénovation urbaine (PNRU). Ses principes : « rénover et améliorer le cadre et les conditions de vie des habitants, offrir un nouvel environnement pour travailler et des espaces pour vivre, faciliter l’accès et l’ouverture du quartier ». Toutefois, cette nouvelle logique fait prévaloir la logique de bâti sur la logique sociale, bien que les quartiers prioritaires existent toujours. L’ANRU affirme que suite au programme qui s’est déroulé sur la période 2003-2013, 490 quartiers ont été rénovés. Mais comment se déroulent et se construisent ces rénovations ?, s’interroge-t-on.

On peut prendre l’exemple du quartier de la Coudraie, à Poissy, où tout commence en 2004. Tout d’abord, les habitants ne sont pas prévenus du programme de rénovation urbaine qui va affecter leur quartier dans les mois/années à venir : ils l’apprennent à une réunion publique où le maire et le préfet (et les CRS!) sont présents. Le projet implique des démolitions, justifiées par de la « délinquance » associée à ce quartier. Les habitants ne sont pas d’accord et tentent d’entamer un dialogue avec les pouvoirs locaux, afin d’être associés au projet. Ils vont jusqu’à aller voir la Ministre du logement en poste, Roselyne Bachelot, qui leur donnera (en partie) raison et fera annuler le projet d’hôpital prévu à l’emplacement du quartier. Mais dès lors, le contact avec les pouvoirs locaux est rompu, le dialogue n’est plus possible. Si l’issue de cette lutte des habitants de la Coudraie est plutôt positive, ce n’est pas le cas partout.

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La cité de la Coudraie à Poissy, en 2010

En 2012, à nouveau, un rapport de la Cour des Comptes de 2012 montre le paradoxe de la politique qui a jusque là été menée, indiquant que « la situation économique des habitants des quartiers rénovés n’a pas vraiment progressé et la pauvreté y demeure à des niveaux élevés ». Finalement, la fracture urbaine n’a pas été réduite et si le cadre de vie des habitants a été amélioré, leur quotidien n’a pour autant pas été transformé.
En 2014, une nouvelle loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine est adoptée. Elle supprime les Zones urbaines sensibles (ZUS) et remet en place de nouveaux contrats de ville. Elle cible moins de quartiers prioritaires (leur nombre est réduit de moitié) et crée les « Conseils citoyens » (les inscrivant dans la loi) dans une volonté de continuité des dispositifs de démocratie participative et démarche collaborative. Cette loi laisse place au Nouveau programme national de rénovation urbaine (NPNRU) qui s’étendra sur la période 2014-2024.

Vers une co-construction d’une ville pour et par tou.te.s ?

C’est en tout cas l’objectif inscrit dans la loi et dans ce nouveau programme de rénovation urbaine. Le NPNRU représente un investissement de 5 milliards d’euros de l’ANRU et sera réparti selon des sites d’ « intérêt national » ou d’ « intérêt régional ». Il a pour principe la participation des habitants, notamment par la mise en place de conseils citoyens. Jusque là, c’est aussi le principal reproche qui a été adressé au premier PNRU : celui-ci ne faisait pas « avec » les habitants et, en conséquent, n’améliorait pas fondamentalement leurs conditions de vie. Pire, il pouvait parfois même aller contre leurs volontés et détruire des barres d’immeubles jugées techniquement dégradées. La mixité sociale est également encore et toujours un objectif, puisque le NPNRU a pour ambition le « développement de l’habitat privé et de l’activité économique dans les quartiers ». On peut raisonnablement émettre des doutes sur la façon dont cet objectif sera réalisé. Enfin, ce nouveau programme met l’accent sur une ville durable et respectueuse de l’environnement, avec la constitution d’Ecoquartiers.

Finalement la politique de la ville pourrait se résumer comme un amas de « bons sentiments ». On a vu, elle veut rétablir l’égalité entre les territoires, rendre la vie quotidienne des habitants plus agréables, etc, mais finalement ces 40 ans révèlent un total échec. On peut se poser des questions sur les raisons de cet échec et tenter d’en tirer les leçons. On peut aussi essayer de prendre au mot les volontés politiques inscrites dans la loi, comme celle de la démarche collaborative, de la participation, de la co-construction, pour tenter de « faire une ville ensemble » (comme dirait Dubedout), une ville respectueuse de chacun.e. Affaire à suivre !

Et pour les amateurs de rap, j’vous laisse sur une chanson de Keny Arkana qui parle de la façon dont Marseille a été redessinée sans les habitants et « refaite à leur insu ».