Le Maroc semble être un pays vécu différemment par chacun. Destination de séjour touristique accueillante pour les uns, il est pour les autres une destination d’avenir, un avenir rêvé et âprement refusé.

Externalisation des frontières de l’Union Européenne: le Maroc en première ligne

La frontière marocaine s’affirme au regard de l’Union Européenne comme un enjeu essentiel de sa politique migratoire de fermeture et d’exclusion dès la signature des accords de Schengen en juin 1985. Ces derniers en actant l’ouverture de ses frontières internes, déplacent l’enjeu sécuritaire aux frontières extérieures de ce nouvel espace constitué.

Dans les années 2000, l’Union Européenne mais également la France et l’Espagne  de façon indépendante, débutent sur ces questions des négociations bilatérales avec le gouvernement marocain. La coopération du Maroc dans la gestion répressive et sécuritaire des frontières, et la signature d’accords de réadmissions des personnes migrantes trouvées en situation irrégulière sur le territoire de l’UE et expulsées d’Europe en sont des objectifs principaux. La mise en place du partenariat Euro- Méditerranéen en 1995 débouche sur la signature d’un Accord d’association entre l’UE et le Maroc, accord entré en vigueur en Mars 2000. Cet accord associe à la réaffirmation d’une coopération économique de longue date non seulement la création d’un espace de libre échange progressif, mais suggère également la coopération dans les affaires sociales et migratoires. Bien que le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques soit mentionné comme un élément conditionnel de la coopération politique entre les partenaires (les Accords ont la possibilité d’être suspendus dans le cas de violations majeures de droits de l’Homme) ce n’est pas l’aspect qui s’avérera le plus sollicité. L’Etat marocain signe en Juin 2013 en partenariat avec l’UE et 9 de ses États membres la Déclaration conjointe sur la Mobilité par laquelle il promet des négociations régulières au sujet des réadmissions, en échange d’une facilitation des visas UE pour les citoyens marocains. L’UE a fait de la sécurisation hermétique des frontières une priorité de son agenda : débuté en 2011, le drame syrien compte plus de 4.5 millions de déplacés à l’extérieur des frontières syriennes en 2016 et exacerbe les crispations de l’UE. En réalité, le nombre de places d’accueil promis par 26 pays de l’UE réunis correspond à seulement 0.7% du nombre de personnes réfugiées en Turquie, Liban, Qatar, Jordanie et Irak. L’Allemagne et la Suède ont à elles deux reçu 57% des demandes d’asile de Syriens en UE entre Avril 2011 et Juillet 2015.

Les partenariats de coopération interétatiques recherchés par l’UE avec le Maroc, similaires dans ses objectifs à l’accord signé avec la Turquie très actuellement, deviennent pour les gouvernements européens le moyen d’assurer la sous-traitance des politiques migratoires hors de son territoire et de faire porter logiquement la responsabilité des drames humains aux Etats frontaliers. Des contreparties économiques et financières sont engagées en échange d’une militarisation croissante des frontières matérialisées, dont la « gestion » est ainsi déléguée à des Etats dont le caractère démocratique demeure fragile.

L’alignement du Maroc sur la ligne définie par l’UE : une coopération politique mortifère

Le Maroc joue avec zèle le rôle de gendarme aux frontières que l’UE lui attribue : l’Etat a volontairement durci les termes de sa législation interne en matière de lutte contre l’émigration afin de répondre aux exigences posées par l’UE. Il est devenu l’un des pays qui criminalise le plus l’émigration (Loi 02/03 de Novembre 2003 «relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc et à l’immigration et l’émigration irrégulière ».) en établissant comme délit sévèrement puni l’acte de « quitter ou d’aider à quitter le territoire marocain d’une façon clandestine ». Ce processus de criminalisation des migrants contribue à les vulnérabiliser alors que le passage migratoire de la frontière terrestre et maritime séparant l’UE du Maroc est le théâtre renouvelé d’un large éventail de dénis des Droits Humains fondamentaux, de non-respect par les autorités marocaines et espagnoles des conventions internationales et de l’institutionnalisation de leur impunité. L’accès au droit d’asile ainsi qu’à la protection internationale des personnes souhaitant en faire la demande sont non effectifs aux frontières des enclaves, les autorités démontrent un usage disproportionné de la force à l’égard des migrants tentant le passage, les expulsions dites « à chaud » et arrestations collectives se font à l’encontre du respect des droits, des libertés, et de l’intégrité individuelle (publication du rapport conjoint GADEM/Migreurop.)

Condamnable sur la seule base de son principe de déresponsabilisation politique, ce processus d’externalisation de la politique migratoire par l’UE et de réappropriation interne de ses principes répressifs par le Maroc est vivement dénoncé en raison des conséquences humaines dramatiques qu’il engendre. Loin d’être effectivement dissuasive, cette politique est intrinsèquement mortifère. A l’automne 2005, une vingtaine de personnes originaires d’Afrique Subsaharienne ont été tuées en tentant le franchissement des barrières séparant le Maroc des enclaves de Ceuta et Melilla (Guerre au migrants, Le livre noir de Ceuta et Melilla, Migreurop, Editions Syllepse,2007) . En 2008, une trentaine de personnes se sont noyées, après que des témoignages concordant ait établi une crevaison de leur pneumatique volontairement intentée par les forces de l’ordre (note n°6 de l’article du Monde diplomatique de Juin 2010). Le 16 octobre 2015, la juge du tribunal d’instruction de Ceuta relaxe les seize gardes civils espagnols impliqués dans la mort d’une quinzaine de personnes parties à la nage du Maroc, et sur lesquelles la garde civile a tiré le 6 février 2014 alors qu’elles arrivaient proche de la côte et du poste frontière.

Renouveau en matière de politique migratoire nationale ?

Une politique de migration et d’asile « radicalement nouvelle, globale, humaniste et respectueuse des droits de l’Homme » est annoncée en 2013. Les mesures phares sont l’octroi de la résidence légale aux réfugiés reconnus par le bureau national du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et la régularisation exceptionnelle des migrant.e.s résidant en situation irrégulière sur le territoire marocain sur l’année 2014. Dans les faits 18 000 personnes sont régularisées, un chiffre atteint grâce à l’attention infaillible des associations d’appui aux migrants et qui représente en Décembre 2014 la moitié des demandes de régularisation qui ont été enregistrées pour l’occasion. Ces régularisations exceptionnelles ne modifient pas la réalité à laquelle sont confrontés les migrants en situation régulière ou non séjournant au Maroc. Il est particulièrement difficile pour des personnes reconnues comme réfugiées au Maroc de pouvoir effectivement exercer leurs droits sur le territoire marocain. Les associations sur place s’indignent des actes discriminants dont les autorités et la population marocaine font preuve à l’encontre des personnes originaires d’Afrique subsaharienne. En Février 2015, des arrestations collectives visant les personnes abritées dans des campements proches de la ville de Nador et de Melilla, et leurs déplacements forcés vers des villes de l’intérieur du pays sont dénoncés par les associations AMDH, FIDH (Fédération Internationale des Droits de l’Homme) et GADEM (Groupe Antiraciste de Défense et d’accompagnement des Etrangers et Migrants) et CCSM (Collectif des Communautés Subsahariennes au Maroc). Des lieux d’enfermement des migrant.e.s sont localisés sur le territoire sans que les associations mobilisées ne puissent en connaître les conditions de détention. Le changement d’orientation annoncé en matière de politique migratoire interne ne s’est pas avéré initiateur d’un réel progrès. L’effet d’annonce n’a pas occulté les preuves de la continuité d’une politique de répression soutenue à l’égard des migrants, participant à la légitimation des actes de discriminations perpétués à l’égard des personnes.

Le Maroc: entre aspirations démocratiques et répression d’Etat

L’Etat marocain entreprend avec la nouvelle constitution dont il se dote en 2011, de renforcer le cadre démocratique de son système institutionnel et juridique. Cependant les effets de cette évolution constitutionnelle ne sont pas à la hauteur des aspirations nourries par les militants des droits humains.

Les associations luttant au Maroc en faveur du respect des droits humains, et a fortiori en faveur de ceux des personnes migrantes, continuent d’évoluer dans un contexte national caractérisé par le contrôle répressif des libertés démocratiques d’expression, d’association, et de réunion, contexte politique défavorable à l’exercice de leurs missions.

Selon le rapport contextuel d’Amnesty International 2015/2016, les autorités marocaines ont pratiqué une répression judiciaire constante à l’encontre des militants et journalistes. Selon ce même rapport les autorités ont également interdit des manifestations culturelles (notamment la représentation publique d’une pièce de théâtre sur les migrants africains au Maroc). Pour exemple, deux chercheurs d’Amnesty International rendus au Maroc pour enquêter sur la situation des migrants et des réfugiés à la frontière du Maroc avec l’Espagne ont été expulsés en Juin 2015. Récemment, un journaliste du Petit Journal voulant tourner un reportage à Beni Mellal au sujet des agressions homophobes violentes ayant eu lieu récemment a également été expulsé du territoire.

En relation au contexte politico-social du Maroc, il est important de noter que les femmes demeurent discriminées à différents niveaux sur la base d’un système patriarcal explicitement véhiculé par les mœurs et les institutions. Les personnes LGBTIQ, condamnées sur une base à la fois morale et juridique, sont passibles de peines d’emprisonnement. La question sahraouie demeure délicate.

MIGREUROP, l’AMDH et moi

Migreurop est un réseau transnational formellement constitué en 2005, regroupant des associations et militants œuvrant pour la promotion des droits des étrangers et migrants. Ses objectifs se spécialisent sur la lutte contre la généralisation de l’enfermement des personnes en migration, et ses activités relèvent d’un travail concerté de contre-expertise et d’information. Le réseau compte 46 associations et 53 membres individuel.le.s dans 17 pays du Moyen Orient, d’Afrique et d’Europe.

L’AMDH Maroc, créee en Juin 1979, dispose aujourd’hui de 91 sections locales. L’AMDH est une association généraliste, base historique du militantisme des droits humains au Maroc. L’association œuvre pour la préservation de la dignité humaine, le respect de tous les droits humains dans leur universalité et leur globalité et pour la protection et la promotion de ces droits. L’association mobilise une base solide de militants et utilise les modes classiques d’action contestataire : l’organisation de manifestations, de sit-in, communiqués, et la publication de supports et d’outils aux dénonciations. L’association documente les violations signalées aux droits humains au Maroc, et dispose d’un centre d’information.

Ses militants subissent des pressions constantes de la part du régime. En sus des répressions politiques d’actualité, l’impunité qui demeure suite aux atteintes aux droits humains commises entre 1956 et 1999 à l’égard des militants politiques ne permet pas une réconciliation éventuelle entre le gouvernement marocain et l’AMDH.

L’AMDH Maroc est membre du conseil d’administration de Migreurop. Leur travail commun s’inscrit dans la défense du droit à la libre circulation des personnes et au respect de leurs droits fondamentaux.

C’est dans ce contexte qu’aura lieu en Novembre 2016 la première rencontre non européenne de l’exposition Moving Beyond Borders, organisée à Rabat par le réseau Migreurop. Présentée sur une période de dix à quinze jours, l’exposition sera l’occasion de promouvoir l’interculturalité, d’échanger et de mobiliser les partenaires associatifs et citoyens autour de la question des migrations et de la Migration comme vécu, à la lumière du contexte marocain. Entre visibilisation, mobilisation et sensibilisation aux droits des personnes migrantes, cette rencontre conçue comme une étape clé de ma mission sera l’occasion de nourrir et faire vivre le réseau militant au-delà des frontières.