« on estime aujourd’hui que les paysans produisent 70% de la nourriture dans le monde et 90% d’entre eux font eux-mêmes leurs semences. Malheureusement, si les législations continuent à privilégier les entreprises agro-alimentaires et rendre le travail du paysan toujours plus compliqué, ce sont 75% des variétés agricoles qui vont disparaître dans les 50 ans à venir au profit de quelques semences standardisées. »

 

 

Avant de débuter, il semble opportun de définir ce concept de semences paysannes qui sera plus qu’à son tour utilisé au cours de cet article.

« Les semences paysannes sont des semences issues d’une population ou d’un ensemble de populations dynamiques reproductibles par le cultivateur, sélectionnées et multipliées avec des méthodes non transgressives de la cellule végétale et à la portée du cultivateur final, dans les champs, les jardins, les vergers conduits en agriculture paysanne, biologique ou biodynamique. Ces semences sont renouvelées par multiplications successives en pollinisation libre et/ou en sélection massale, sans auto-fécondation forcée sur plusieurs générations. Elles sont librement échangeables dans le respect des droits d’usage définis par les collectifs qui les font vivre. »¹
Cette parenthèse faite, interrogeons-nous sur le parcours historique qui fait que nous devons aujourd’hui défendre le droit des paysans à exister alors qu’il n’y a pas un siècle, la paysannerie était la seule méthode d’agriculture présente dans le monde. De manière tout à fait fortuite, ce parcours commence avec la création de la Belgique… quel heureux hasard.

Le Royaume de Belgique trouve les origines de son territoire dans la réunion des grandes Nations du début du XIXe siècle qui voulaient créer des zones tampons en cas de retour du dictateur Napoléon. La Belgique a alors été créée et placée sous le contrôle du Royaume des Pays-Bas. Cependant la différence fondamentale de culture entre les deux entités géographiques fait qu’en 1830, les Belges démarrent une révolution qui aboutira à l’indépendance du territoire et à la création en 1831 du Royaume constitutionnel de Belgique.

Cependant la jeune Belgique, malgré la volonté de mettre son empreinte dans l’Histoire grâce à des révolutions économiques et industrielles notables, est vite confrontée à la dure réalité : elle est petite.
Si petite qu’il est dur de se faire entendre par ses voisins qui montrent des ardeurs belliqueuses à peine voilées. Si petite que par deux fois ont été piétinées et souillées ses timides demandes de neutralité (une première fois en 1814 et à nouveau en 1940).

Mais ce serait faire peu de cas de l’opiniâtre Belgique que de penser qu’elle n’allait pas apprendre de ces événements et trouver une nouvelle idée pour assurer ses arrières. Et l’idée qui résulta de ces intenses réflexions fut la mise en place du BENELUX au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le BENELUX – constitué de la BElgique, des NEderlands et du LUXenbourg – est la première alliance économique entre pays européens qui donna les prémices de l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui ainsi que de l’espace Schengen.

 

Vers l’organisation de l’union des Etats européens

 

Alors que L’Union s’organise, et que la reconstruction des Etats européens, laissés exsangues par la dernière guerre, est rendue possible par l’arrivée massive des ressources importées des colonies et par les nouvelles techniques industrielles, une nouvelle priorité est ajoutée à l’agenda de la jeune Union européenne : supprimer la faim en Europe.

Et c’est à partir de cette volonté qu’en 1962 la « Politique agricole commune » – ou simplement PAC pour les intimes – est mise en place. Initialement prévue comme outil de contrôle des prix et de subventions.

L’idée était de permettre aux agriculteurs d’augmenter leur rentabilité pour passer d’un système d’autosubsistance paysan à un modèle de surconsommation copié sur l’industrie traditionnelle.  Pour ce faire, tous les moyens ont été mis en œuvre : mécanisation accrue, augmentation de la taille des parcelles, utilisation de fertilisants, etc.

Et si ces nouvelles manières d’envisager l’agriculture ont effectivement permis d’augmenter la production de denrées alimentaires, les résultats ne sont pas idéaux.

  • La politique de subvention de la PAC, pour les plus gros agriculteurs, a forcé ceux-ci à s’étendre au détriment des petites exploitations et par conséquent au détriment de la paysannerie et des circuits courts.
  • L’utilisation intensive de fertilisants et de pesticides a rendu les sols de moins en moins riches en nutriments forçant, de facto, les agriculteurs à racheter toujours plus de ces fertilisants. En outre, les objectifs de rendement fixés par la PAC n’ont plus laissé de place aux périodes de jachère des terrains. Ce qui a accentué la dévalorisation nutritive de ceux-ci.
  • Au XXème siècle, dans les pays occidentaux, les semences paysannes ont été progressivement remplacées par des semences industrielles dépendantes des engrais et des pesticides chimiques.  On estime que 75 % de la biodiversité cultivée a ainsi disparu en 50 ans au profit de quelques variétés standardisées.
  • Ces variétés « améliorées » par l’industrie (hybrides F1, lignées pures) sont le pivot de cette révolution qui fut qualifiée de « verte »: sélectionnées et standardisées pour les monocultures industrielles, les paysans sont obligés de les adopter. Elles sont protégées par un droit de propriété (le COV) qui interdit aux paysans de ressemer une partie de leur récolte ou les obligent à payer des royalties.

Pour couronner le tout, en 1989, la chute du mur de Berlin signait la victoire du libéralisme et alors que les pays de l’Est intégraient petit à petit les bancs de l’Union européenne, les frontières douanières tombaient et les pays étaient mis en concurrence ; ceux qui s’en sortiraient le mieux seraient ceux qui pourraient produire le plus pour moins cher.

 

Un cadre légal qui privilégie les grosses infrastructures

 

Parallèlement, un cadre juridique s’est développé pour réglementer la commercialisation des semences. Le concept est le suivant : seules les semences inscrites au Catalogue officiel peuvent être commercialisées.

Naturellement, vous allez maintenant me demander : mais qu’est-ce donc que ce Catalogue ?
Je vous répondrai de ne pas être trop impatients, j’y arrive :

Le Catalogue officiel des espèces est un outil créé en 1932 par les Etats pour garantir la qualité des semences vendues sur le marché. Il s’agit d’une liste mise en place par chaque Etat qui comporte le nom de tout un tas de légumes, fruits, céréales, etc. A partir de 1949, seules les semences inscrites dans ce Catalogue peuvent être commercialisées et d’année en année, les conditions d’inscriptions deviennent de plus en plus strictes ce qui eu pour conséquence une nette dégradation de la diversité semencière (pour le cas du blé, par exemple, 400 variétés étaient certifiées dans les années 30 contre seulement 65 variétés en 1965).

L’inscription d’une variété au Catalogue doit respecter plusieurs critères dont la distinction (la variété doit être différente des autres listées), la stabilité (une variété doit pouvoir répéter les mêmes caractéristiques à chaque utilisation) et l’homogénéité (les plantes composant la variété présentent de fortes similitudes).
De plus, l’inscription au catalogue coûte cher (6000€ pour une première inscription et environ 2000€ de plus pour le maintien au catalogue les 10 premières années).

Les industries semencières qui inscrivent une variété dans ce Catalogue ont donc tout intérêt, pour rentabiliser leur investissement, à émettre un droit de propriété intellectuel (ou COV) dessus. Ces semences deviennent alors la référence de vente et pendant  25 ans, toute personne ou entité qui voudrait utiliser ces semences doit payer des royalties à la société. Une fois les 25 ans passés, les semences tombent dans le domaine public, et il n’y plus de royalties à payer.
Il est évident que cette méthode privilégie grandement les grandes firmes pour qui ces coûts sont abordables tandis que les paysans, au vu du nombre de variétés de semences qu’ils produisent et du peu de quantités qu’ils ont, ne pourront jamais envisager l’inscription d’une de leurs variétés. De plus, puisque les paysans conservent leurs semences in situ (c’est-à-dire dans les champs), celles-ci           co-évoluent avec leur environnement et par définition vont changer d’année en année.

 

La réactions des paysans

 

Face à cette situation, en 1993 les paysans du monde se sont réunis à Mons en Belgique pour défendre leurs droits et leurs pratiques de l’agriculture. Ce ne sont pas moins de 164 organisations réparties dans 73 pays du monde qui se sont unies sous la dénomination « Via Campesina » pour faire entendre une voix unie aux dirigeants du monde face aux décisions qui impactent leur vie et leur travail, faisant retentir la volonté de ne pas voir se généraliser l’industrialisation de l’agriculture ni de voir se normaliser les semences standardisées.

Ce mouvement a gagné en crédit, à tel point qu’il est maintenant un partenaire incontournable dans les débats sur l’agriculture et l’alimentation au sein de l’Organisation des Nations Unies. Il a creusé la voie pour la création de nouveaux mouvements nationaux. C’est ainsi qu’, en 2003 le réseau Semences paysannes est créé en France à l’initiative d’organisations de l’agriculture biologique, biodynamique et paysanne. Ce réseau, qui compte aujourd’hui 80 organisations à travers le pays, vise à rassembler tous les collectifs français de paysans afin de faire connaitre les semences paysannes au niveau national et partager les pratiques paysannes pour que le savoir perdure. Le but est d’assouplir la législation française et européenne pour permettre aux paysans de travailler dans un cadre légal moins asphyxiant. Une des premières victoires notables fut la création d’un catalogue pour variétés anciennes (autre dénomination des semences paysannes) dont les modalités d’inscription sont moins rigoureuses mais qui n’est cependant pas encore optimal.

Pour réaliser ces objectifs, une enquête a été réalisée par le réseau auprès des paysans français pour mettre en avant leurs manières de travailler et ainsi montrer qu’il n’existe pas une manière de faire, mais bien un éventail de possibilités, mettant en exergue la diversité des savoirs et des méthodes paysannes.

Inspirées par cette initiative française, 1 organisation luxembourgeoise et 3 organisations belges ont décidé d’émuler ce réseau pour le BENELUX.
Si la législation est moins restrictive en Belgique quant à l’échange de semences qu’en France et que jusqu’à présent aucune association commercialisant des semences non inscrites au catalogue n’a été inquiétée par la justice, il n’en est pas moins que les fermes paysannes disparaissent tous les jours et que l’on dénombre une diminution de 70% des fermes paysannes depuis 40 ans. C’est devant cette réalité que les 4 organisations ont décidé de s’unir pour faire valoir leurs droits auprès des autorités de leurs pays et pour encourager les paysans isolés à poursuivre leur travail.

Ces associations sont :

  • Nature et Progrès (BEL): association de consommateurs et travailleurs qui met en avant les circuits courts et qui a mis en place un système de labels pour produits issus de l’agriculture paysanne.
  • Le Mouvement d’Actions Paysannes (BEL): association de paysans qui ont développé une école de formation aux pratiques paysannes.
  • Li mestère (BEL): collectif informel de boulangers, meuniers, paysans qui travaillent un pain de qualité à partir de variétés anciennes et oubliées.
  • SEEDS (LUX) : représentant pour le BENELUX de la coalition « Let’s Liberate Diversity ». La Coordination Européenne Libérons la Diversité (EC-LLD) est depuis 2012 une association formelle qui a comme objectifs de coordonner les positions et actions des réseaux nationaux et autres partenaires afin d’encourager, développer, et promouvoir la gestion de la biodiversité dans les fermes et les jardins.

Les forums européens « Libérons la Diversité » sont une des actions importantes de la Coordination et existent depuis plus de dix ans.

 

Pour résumer,

 

on estime aujourd’hui que les paysans produisent 70% de la nourriture dans le monde et 90% d’entre eux font eux-mêmes leurs semences. Malheureusement, les normes pour la commercialisation des semences restreignent fortement la diffusion des semences paysannes et le droit d’échanger des semences entre paysan-ne-s est mis à mal notamment par les revendications industrielles sur le vivant. Aujourd’hui on assiste à la multiplication de demande de brevets sur les traits natifs des plantes et à l’émergence de nouvelles techniques OGM. Ces dernières reposent sur des techniques récentes abusivement qualifiées par l’industrie « d’édition de gènes » permettant d’activer ou d’inactiver une partie du génome ou d’insérer un fragment d’ADN de la même espèce ou d’une autre espèce. Arguant que ces techniques ne laisseraient pas de traces détectables et seraient plus précises que la transgénèse, les industriels font pression pour que les plantes ainsi modifiées ne soient pas considérées comme des OGM et réglementées comme tels.

C’est pourquoi il est important de mettre en réseau toutes les initiatives paysannes afin que les revendications auprès des hautes instances aient le poids nécessaire et que l’Europe se tourne vers une agriculture respectueuse des travailleurs, des consommateurs, de l’environnement et de la biodiversité.

 

 

 

¹  définition du RSP