En décembre dernier, après un mois en Andalousie, je me suis enfin rendu à Melilla, enclave espagnole au Maroc. Pour rappel, Ceuta et Melilla sont les seules frontières terrestres de l’Union européenne avec l’Afrique. Elles constituent depuis plus de dix ans une route migratoire attractive, même si leurs frontières sont de plus en plus militarisées et fermées, avec le soutien de l’Union européenne et l’étroite coopération du Maroc.

J’ai décidé de relater ma première visite à Melilla en plusieurs articles, afin de ne pas surcharger la lecture. Voici le premier épisode. Bonne lecture !

Melilla – ou Mliliya en darija – aurait pu être une petite ville côtière tranquille du Maroc, une charmante cité méditerranéenne sans histoire. Au lever du soleil, la lumière est belle. On se laisserait presque dupé par les splendides lueurs colorées de l’aube et la mer aux reflets d’argent.

Bon d’accord, cette étendue d’eau à perte de vue est aussi un sinistre cimetière de migrants depuis bien des années, mais avouons que les couleurs sont plutôt jolies.

Melilla - Lever du soleil 2 Melilla - Lever du soleil 1

Et pourtant, l’une des premières choses que l’on aperçoit aussi, lorsqu’on pénètre dans cette ville depuis le port, c’est une statue de Franco. Bienvenue à Melilla, la seule ville d’Espagne où peut encore voir une statue de ce type !

Statut de Franco

Cette statue paraît totalement désuète et on peut s’étonner qu’elle soit encore debout et à la vue de tou-te-s.

Et pourtant, lorsque nous reviendrons un peu plus tard avec Elsa, volontaire (GADEM/Migreurop) qui m’accompagne pour cette première mission, plusieurs personnes poseront en toute légèreté devant la statue pour une chouette photo-souvenir !

Et pourtant, en juin dernier, une vingtaine de gardes civils (dont le rôle à Melilla est d’empêcher les entrées dites « irrégulières » de personnes migrantes dans l’enclave) posaient en uniforme devant la statue.

Et pourtant, Elsa raconte avoir entendu qu’il n’y a encore pas si longtemps, des habitants venaient régulièrement déposer des fleurs aux pieds du « Généralissime ».

Et pourtant, Elsa se remémore aussi sa première visite à Melilla quand, alors qu’elle prenait la statue en photo, un cycliste s’était écriée derrière elle : « Viva España! ».

Bienvenidos a Melilla

C’est la dernière statue du type en Espagne. Toutes les autres ont été enlevées en vertu de la Loi sur la Mémoire Historique (« Ley de Memoria Histórica »). Cette législation votée en 2007 prévoit entre autres que soient retirés les symboles franquistes des espaces publics. Faut-il rappeler que le régime dictatorial de Franco a fait disparaître plus de 100 000 personnes ? Faut-il décrire dans les moindres détails macabres la Terreur blanche ?

Et pourtant, malgré les requêtes répétées de l’Etat et la demande récente de la section locale du parti politique Podemos, le gouvernement local refuse catégoriquement de retirer la statue et menace de la réinstaller ailleurs si on le force à l’enlever. Selon le Gouvernement de Melilla, cette statue ne célèbre pas le dictateur mais plutôt le commandant de légion qui aurait glorieusement sauvé la ville de Melilla face à « l’invasion » rifaine de 1921.

Bon, on ne voit pas très bien l’intérêt de glorifier ce moment de l’histoire espagnole, vu que la bataille d’Anoual est tout de même connue comme le désastre d’Anoual. Ce fut en effet une défaite cuisante pour l’Espagne. Mais soit, admettons. Eh bien, comble de la mauvaise foi du gouvernement local, ce dernier soutient que, puisque le monument ne se réfère pas explicitement à la période du franquisme, la Loi sur la Mémoire Historique n’a pas vocation à s’y appliquer.

La statue de Franco n’est pas le seul symbole célébrant directement ou indirectement le franquisme à Melilla. Ainsi, un monument fasciste domine la place des « Héros d’Espagne », place publique dont le seul nom (dans le contexte de Melilla) semble annoncer la couleur… Sur la statue, on lit « Una, Grande y Libre », un slogan franquiste sans équivoque. On distingue également plusieurs symboles de la Phalange. L’allure de la statue n’est pas non plus sans rappeler certains éléments de la symbolique nazie…

Monument fasciste - Plaza Héroes de España

Comme vous pouvez le voir sur la photo, des travaux sont en cours sur la place, et il est apparemment question d’opérer un certain nombre de changements sur la statue pour en éliminer les références franquistes. Au vu de l’historique de la statue, il serait probablement plus sage de s’en défaire purement et simplement. Et moins cher : le coût des travaux de rénovation de la place est estimé à un million d’euros.

D’autres symboles franquistes persistent à Melilla : les noms de rues. Il y a par exemple l’Avenue du Généralissime. Rien de plus banal à l’époque du franquisme (toutes les villes espagnoles avaient une telle avenue), rien de plus choquant en 2015. A Madrid et Barcelone, les avenues du Généralissime ont été renommées il y a plus de 30 ans (respectivement « Paseo de La Castellana » et « Avinguda Diagonal »). Certes, Madrid est encore en train de renommer certaines de ses rues aux résonances franquistes, mais en tout cas, l’avenue du Généralissime – le plus évident hommage au franquisme – a disparu depuis fort longtemps.

Vous l’aurez donc compris : Melilla, c’est une véritable bulle fasciste. Une bulle qui sert aujourd’hui à réprimer la circulation de personnes qui tentent, bien souvent en vain et parfois en le payant de leur vie, de rejoindre l’Europe. Une bulle dont le rôle est officiellement de « contenir l’invasion étrangère ». Sauf que contrairement aux conséquences extrêmement néfastes des politiques migratoires européennes qui sont bien réelles, la prétendue « invasion des migrants » n’est qu’imaginaire.

La seule invasion que nous risquions aujourd’hui, la vraie, c’est celle des idées xénophobes et racistes dans nos sociétés européennes. C’est celle que nous observons de plus en plus et c’est celle qu’il nous faut absolument arrêter avant qu’il ne soit trop tard.

MOBILISONS NOUS ! EXPRIMONS NOUS ! INDIGNIONS NOUS !