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Allemagne / Droits des étrangers /

Expulsions à la crème, la nouvelle recette des autorités
10 février 2011 par Marine

A Hambourg et dans toute l’Europe, les autorités mettent la pression sur les Roms afin de leur faire accepter l’idée d’un "retour volontaire". Menace, pression, isolation : comment parler de retour volontaire quand on est obligés de partir ?

Vivre comme un chien, la peur au ventre

Pour se rendre à Billstieg, il faut vraiment le vouloir. Il n’y a que ceux qui y habitent et qui y travaillent qui y vont. Je crois que personne n’aurait l’idée d’aller se balader dans le coin. A la sortie du métro, il faut prendre un bus (qui ne passe qu’une fois par heure), passer au dessus de l’autoroute et longer les immenses entrepôts d’une zone industrielle en déclin. Alors on aperçoit les barres d’habitations en brique foncée au bout de la rue. Des appartements tous similaires les uns aux autres, des balcons croulant sous le poids d’objets inutiles, des poubelles renversées, des tags sur tous les murs et des trous aux fenêtres. Un ghetto de pauvres comme on peut se l’imaginer. Billstieg, c’est un des lieux d’hébergement où l’on rassemble les demandeurs d’asile une fois les trois mois au camp de Nostorf/Horst écoulés. Il y a aussi des gens qui habitent là depuis des années et qui enchaînent les titres de séjour provisoires en espérant que leur expulsion ne soit jamais mise en œuvre.

Durant l’été 2010, de nombreuses familles Roms sont arrivées en Allemagne pour y demander l’asile. Au camp de réfugiés de Horst où étaient jusqu’alors surtout maintenus des hommes seuls d’origine africaine, afghane, palestinienne, les cris des enfants ont soudain envahi les cours et les couloirs vides. Venant de Serbie, de Macédoine, du Kosovo, ces familles sont venues dans l’espérance de trouver une vie meilleure, d’envoyer les enfants à l’école et d’avoir un vrai toit pour l’hiver s’approchant à grands pas. Un certain nombre de famille n’est pas venu par hasard à Hambourg : ils connaissent la ville mieux que moi pour y avoir déjà vécu plusieurs années. Leurs enfants y sont nés et sont allés à l’école aux côtés des petits allemands. J’ai rencontré plusieurs jeunes âgés de 14 à 18 ans qui parlaient un allemand parfait : pour cause, ils avaient passé les dix premières années de leur vie à Hambourg.

C’est donc ainsi que cela se passe : on arrive à Hambourg, on pose sa demande d’asile, on est transféré au centre de réfugiés de Horst et on attend pendant trois mois que les autorités se penchent sur son dossier. Pour les Roms des pays cités précédemment, c’est vite vu. L’asile est refusé directement, ils viennent d’un pays sûr. Au bout de deux à trois mois, le transfert a lieu et les familles reçoivent un appartement à Hambourg. A Billstieg, à Bergedorf ou encore à Ohlsdorf. A chaque fois des sortes de ghettos, des barres d’immeubles où les familles s’entassent jusqu’à 8 personnes dans un deux pièces. Enfin sorti du bois, on se retrouve dans un trou urbain. L’isolation continue : peu de lignes directes vers le centre, peu d’habitations normales autour, des appartements peuplés d’étrangers et d’immigrés, des appartements dégradés, un gardien pour 600 personnes [1]. On regroupe les étrangers, les gens qui ont peu de moyens. La ségrégation sociale s’opère merveilleusement par une mise à l’écart géographique. Et après on hurle au scandale : les étrangers ne font aucun effort pour s’intégrer à la société d’accueil. Bref on connaît ça dans toutes les villes. C’est le premier message qu’on adresse aux migrants, demandeurs d’asile, réfugiés. Vous n’êtes pas les bienvenus, on préfère ne pas vous voir même s’il faut bien vous caser à Hambourg.

D’un côté, l’isolation sociale fait son chemin. De l’autre, les autorités alimentent la peur de l’expulsion, du renvoi à la maison. Les familles que j’ai rencontrées à Billstieg et à Horst étaient dans une sorte de tension constante. Ils me montrent la date inscrite sur leur Duldung (Tolérance, titre de séjour provisoire en attente de l’expulsion qui varie d’une semaine à 6 mois) en sachant qu’il faudra à nouveau se rendre aux bureaux des autorités des étrangers, attendre des heures dans l’angoisse sans savoir si le départ sera pour aujourd’hui, pour la semaine prochaine ou dans quelques mois. La plupart d’entre eux reçoivent généralement des titres de séjour ultra courts, d’une semaine, de dix jours. Une famille a reçu trois mois le mois dernier et tout le monde les enviait. Quand on les reçoit au deuxième étage des autorités des étrangers, on leur fait clairement comprendre qu’il va falloir rentrer, qu’il n’y a aucune chance pour qu’ils restent ici. L’asile est refusé à tous les coups, à moins peut-être d’avoir un avocat d’enfer et des raisons humanitaires solides. Mais même ces cas là se font très rares. Les familles à Billstieg ont des femmes enceintes en fin de grossesse, des hommes et femmes âgés qui nécessitent des opérations, des enfants scolarisés qui ne pourront pas aller à l’école au Kosovo. Tout cela ne suffit plus. Peut-être à gagner quelques semaines, à grignoter le temps en priant pour que cela suffise jusqu’à l’été.

Quelque fois, certains Roms m’ont demandé comment c’était en France, s’ils pouvaient tenter leur chance là-bas. L’été dernier, le président français a merveilleusement montré à quel point la France n’avait justement aucune envie d’accueillir, de donner une chance aux Roms. Elle a montré à quel point l’état pouvait institutionnaliser la discrimination envers une population ciblée, qui ne rentre pas dans une case prédéfinie [2]. Trop pauvre, trop mobile, trop apatride. Au-delà de la France, ces évènements ont mis en lumière les échecs de l’Union Européenne en termes de lutte contre les discriminations et les politiques d’intégration des populations roms. Les discussions houleuses sur la levée des visas pour les nouveaux entrants dans l’UE et pour les candidats soulignent la volonté des anciens Etats-membres (au premier rang desquels la France et l’Allemagne) de protéger leurs frontières même à l’intérieur de l’espace européen [3] En décembre dernier, la région allemande de Rhénanie Palatinat a expulsé une famille Rom originaire du Kosovo par voie aérienne alors même que la mère âgée de 47 ans était gravement malade. L’expulsion du couple et de leur enfant de 14 ans avait eu lieu sans consultation médicale préliminaire. Seulement un mois après son expulsion vers le Kosovo, la malade est décédée d’une hémorragie cérébrale [4]. Depuis le père et le fils ont reçus l’autorisation de revenir en Allemagne. Faut-il en vraiment en arriver à là pour obtenir un droit de séjour ?

Le retour volontaire, un euphémisme scandaleux

Les expulsions sont mal vues de l’opinion publique ? Elles coûtent très chères et requièrent un accompagnement ? Très bien, tentons une nouvelle formule : le retour volontaire. Les autorités des étrangers évoquent l’idée du retour volontaire avant même que la demande d’asile n’ait été officiellement rejetée. Quand on reçoit les familles Roms, on leur demande immédiatement de fournir leurs passeports. Puis on leur explique qu’il va falloir rentrer puisqu’ils n’ont aucune raison de rester ici. Les familles avec qui nous échangeons régulièrement nous on expliqué qu’elles étaient constamment mises sous pression lorsqu’elles se rendaient aux bureaux officiels. Elles ressentent le discours de l’administration contre une réelle menace : soit tu pars volontairement et nous te payons le billet de retour, soit tu seras expulsé de force. La vraie carotte pour faire accepter le retour volontaire c’est l’ombre de l’interdiction d’entrée sur le territoire européen pendant plusieurs années (entre 5 et 10 ans selon les cas…). Une expulsion est suivie d’un enregistrement de la personne dans la banque de données européenne et d’une interdiction formelle de passer la frontière direction Union Européenne. Chaque garde frontière européen pourra voir s’afficher l’interdiction sur son ordinateur en tapant le nom de la personne. Les gens avec qui nous nous sommes entretenus avaient vraiment peur de cela : être fichés pour de nombreuses années sans possibilité de revenir.

Au-delà de l’interdiction d’entrée, la menace d’une expulsion de force, de la violence policière et peut-être même de la rétention suffit à nouer l’estomac. I.S habite à Billstieg depuis quelques mois maintenant. Il connaît déjà Hambourg pour y avoir séjourné plusieurs années dans les années 90. Il est déjà passé par la case rétention et expulsion. Pour lui il est hors de question de renouveler l’expérience, ça a été trop dur. Il préfère partir de lui-même mais il doit se faire opérer de l’oreille et ne sait pas comment il pourra supporter l’hiver en Serbie où il ne trouve pas de travail.

Les personnes se retrouvent face à un agent de l’administration qui leur parle comme à des enfants en leur disant « Il faut que tu rentres volontairement, maintenant ! Tu signes ce papier et on en parle plus. » Beaucoup de Roms qui ne parlent pas allemand, qui n’ont pas toujours conscience de leurs droits se laissent impressionner et signent les feuilles de papier qui s’étalent sous leurs yeux sans forcément comprendre de quoi il s’agit. Parfois il y a un traducteur, mais jamais en Romanès, toujours en Serbe ou en Turc. Pendant que les autorités des étrangers organisent la paperasse et les laissez-passer nécessaires, les organisations caritatives prennent en charge l’organisation logistique du retour. A Hambourg c’est le Centre des Réfugiés (attention ne pas confondre avec le Conseil des Réfugiés où je travaille !) et Caritas qui mettent en œuvre le retour. Certaines familles nous ont avoué que le discours que ces organisations tenaient n’était pas très éloigné de celui de l’administration. Avant les programmes allemands de retour volontaire offraient aux personnes un dédommagement afin de payer un loyer pendant les premiers mois, afin de se réinstaller. Sous les noms de REAG et GARP on trouve des conditions bien spécifiques à remplir pour toucher de l’argent. Depuis quelques mois les Roms n’y ont plus droit : on leur paye seulement le billet de retour. Sur le site du Ministère de l’Immigration, on trouve un programme spécial pour les personnes retournant au Kosovo. A savoir si celui-ci aide vraiment les gens à se réinstaller, c’est une autre question.

Ce qu’on observe en tous cas sur le terrain, c’est que le retour volontaire n’est qu’une simple mascarade. On expulse des gens, on les renvoie consciemment dans la misère et dans un environnement de discriminations assez incroyable mais on le fait désormais sur un mode politiquement correct : on fait signer des papiers puis on paye le retour. On cache une réalité, on étouffe les besoins des gens et on les renvoie dans des pays qui jusqu’à présent n’ont pas été capables de leur garantir des droits à part entière.

Un droit de séjour pour les Roms, partout et tout de suite !

Plusieurs Roms de Billstieg et de Horst ont décidé de réagir et de se révolter contre ce qu’ils ont ressentent comme des « expulsions à la crème ». Ensemble avec les organisations locales de défense des droits des étrangers, un rassemblement a été organisé devant les bureaux des autorités des étrangers le mardi 8 Février, jour où curieusement, de nombreuses familles étaient convoquées. De 8h à 12h, les militants ont affiché leurs banderoles, tenu des discours et exprimé leur désaccord avec une politique qui expulse, qui isole, avec ce système qui rend malade. C’était loin d’être une manifestation de masse, mais le plus important était, il me semble, de montrer qu’il y avait un refus, une réaction, une mobilisation de la part des Roms et des associations locales.

Les élections pour la région d’Hambourg ont lieu dans une dizaine de jours et c’est également le moment de faire entendre sa voix, de porter ses revendications auprès des potentiels responsables politiques. Le 16 Février prochain est organisée une discussion sur la politique hambourgeoise d’accueil des migrants et réfugiés. Y seront représentés des candidats des principaux partis politiques, ainsi que des membres d’associations et des Roms directement concernés par la question des expulsions. Il sera intéressant de voir comment les futurs élus se défendent.

Dans la cadre de ces mobilisations, une exposition sur le thème des « expulsions à la crème » a été montée. Avec M. Stroux, photographe et militante de longue date, j’ai pu interviewer une dizaine de familles de Billstieg, directement menacées par la question du retour volontaire [5]. Pour en lire quelques extraits c’est par ici.

Enfin la mise en réseau nationale et européenne est plus que nécessaire pour une mobilisation effective sur le long terme. En Allemagne, l’organisation Alle Bleiben a déjà commencé un travail de mise en réseau important au niveau allemand en montant des groupes locaux dans différentes villes, en développant une argumentation réfléchie, en organisant des actions et des rassemblements régulièrement [6]. Il semble aujourd’hui plus qu’urgent que les Roms fassent entendre leurs voix et puissent revendiquer leurs droits en Europe, et tout particulièrement en Allemagne où leurs parents et grands-parents ont été pourchassés et tués par centaines de milliers sous le troisième Reich [7].


Famille P. dans leur appartement Famille A. sur un des lits de la chambre Famille A. chez eux Avant - Maintenant Restes d'enfance en Macédoine Restes d'enfance en Macédoine 2 Restes d'enfance en Macédoine 3 Restes d'enfance en Macédoine 4 Souvenirs flous Restes d'enfance en Macédoine 5 I. J. et sa paperasse Attente Famille S. à 5 dans une chambre Famille B. Papa N. et ses deux derniers Famille D devant chez eux Billstieg vu du ciel Déjà réfugiée à Hambourg il y a 20 ans... Tampons et frontières Famille M. Ghetto Billstieg Ghetto Billstieg 2 Ghetto Billstieg 3
Notes

[1] Voir le porte-folio en fin d’article : photos de familles Roms à Billstieg réalisées par Marily Stroux et Marine De Haas en janvier 2011.

[2] Voir à ce sujet le dossier du Gisti qui s’intéresse à différents aspects de la question des Roms et aux évènements de l’été 2010.

[3] A ce sujet voir ici l’article de Morgane, volontaire Echanges et Partenariats en Bulgarie. Migreurop et d’autres associations ont également pris position dans une lettre commune sur la levée d’obligation des visas Schengen pour la Bosnie-Herzégovine et l’Albanie et la protection du droit d’asile. C’est par ici.

[4] Déclaration de presse de Pro Asyl à ce sujet.

[5] Le pdf de l’exposition Du musst freiwillig ausreisen est trop lourd pour être attaché en pièce jointe mais l’exposition sera prochainement en ligne

[6] Alle Bleiben (Tous restent !) a produit un flyer qui résume en 9 arguments pourquoi les Roms ont un droit au séjour en Allemagne.

[7] Le Conseil des Réfugiés de la région de Basse-Saxe a travaillé sur la question. Voir ici le flyer en langue allemande réalisé sur ce thème.



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