– Je pars en Ukraine! Je suis prise pour un service civique avec l’association Echanges et Partenariats !

– c’est génial la Russie !

– non, non, pas la Russie, l’Ukraine…

– ah oui bien sûr l’Ukraine, mais ils parlent pas russe la-bas?

Comment se fait-il que pour certains d’entre nous la distinction ne soit pas si évidente? Malgré sa médiatisation, le conflit en Ukraine semble avoir été mal compris en Europe et surtout très vite oublié. Encore aujourd’hui, il semble que dans l’imaginaire européen, l’ancienne république soviétique reste fortement affiliée à son voisin russe. Les analyses trop simplistes et bipolaires du conflit en Ukraine ont participé à l’incompréhension globale d’une situation complexe, ayant plongé le pays dans la guerre et générant une importante crise humanitaire.

Depuis le printemps 2014, on compte plus de 8 000 morts. Près de trois millions de personnes ont été forcées de quitter leur foyer pour fuir les combats. En Ukraine, ils seraient plus d’un million et demi à avoir trouvé refuge dans d’autres régions du pays, et vivent pour la plupart dans des conditions très précaires. Face à cette situation, la société civile fortement mobilisée depuis les premiers rassemblements sur la place de l’Indépendance (Maïdan Nézalejnosti) à Kiev, s’emploie à apporter une aide humanitaire, logistique, et psychologique aux victimes du conflit, et agit pour la défense des droits et des libertés de chacun.

Quelques repères historiques

Au cours de son histoire, l’Ukraine a connu de nombreuses influences. Au Xème siècle, Kiev est désignée première capitale de la Rus’, l’Etat des Slaves orientaux qui regroupait alors les territoires actuels de l’Ukraine, la Biélorussie, la Russie ainsi qu’une partie de la Pologne et de la Slovaquie. Sous domination de l’Empire Polono-Lituanien entre le XVème et le XVIIIème siècle, le territoire ukrainien se voit ensuite partagé entre les Empires Austro-Hongrois et Russe, pour finalement connaître une courte indépendance à la suite de la Première Guerre Mondiale. Partie de l’Union des Républiques Soviétiques Socialistes (URSS) au cours du XXème siècle, la République d’Ukraine retrouve finalement son indépendance en 1991 avec la chute de l’Empire Soviétique. À la croisée des chemins entre l’Europe et l’Asie, l’Ukraine a su conserver une identité propre. Pourtant la république reste encore fragile, partagée par des influences diverses qui poussent une partie de sa population à regarder vers l’Europe et l’autre partie vers la Russie.

Rappels sur le conflit

En 2004 que l’Ukraine va connaître un début de crise suite à l’élection jugée frauduleuse de Viktor Ianoukovitch. La « révolution Orange » sur la place Maïdan, menée par le candidat malheureux Viktor Iouchtchenko et son alliée Ioulia Timochenko va porter au pouvoir des forces politiques pro-occidentales.

A cette période, l’Union européenne (UE) propose à l’Ukraine de rejoindre le Partenariat Oriental (PO), un accord d’association conclu en 2009 entre l’UE, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, l’Ukraine et la Biélorussie, et qui vise à accélérer l’association politique et économique entre ces pays et favoriser un rapprochement législatif et commercial avec l’UE, voire à terme, une éventuelle adhésion à l’Union.

C’est en réponse à ce PO que le président russe, Vladimir Poutine, développe son projet d’Union Economique Eurasiatique (UEEA), dont il veut faire de l’Ukraine la pièce maîtresse, et lance précipitamment la signature de l’Union douanière avec la Biélorussie et le Kazakhstan en janvier 2010.

Le 21 novembre 2013, après des années de négociations, Viktor Ianoukovitch annonce brusquement l’arrêt des négociations avec l’Union européenne et choisit de se rapprocher de la Russie.

La déception est lourde pour une partie de la population ukrainienne qui considère cette décision comme un nouvel échec à s’émanciper de son voisin russe. Des centaines d’Ukrainiens vont se rassembler sur la place Maïdan à Kiev, pour manifester leur mécontentement. Progressivement, l’objet de la contestation se mue en une mobilisation contre la corruption du pouvoir politique. Dans la nuit du 30 novembre, une première répression étatique contre les manifestants, provoque la colère des Ukrainiens, et sera le déclenchement du mouvement Maïdan.

La situation s’aggrave entre janvier et février 2014 lorsque Viktor Ianoukovitch promulgue de nouvelles lois, votées par le Parlement, restreignant le droit de manifester. 
Des émeutes, encore plus importantes éclatent alors, faisant 3 morts à Kiev. La prise du ministère de la Justice à Kiev par les manifestants poussera le gouvernement à abandonner ces lois liberticides et le Premier ministre Mykola Azarov à démissionner.

Le 21 février 2014 un accord de sortie de crise est signé avec l’opposition sous la médiation de l’UE. Malgré cela, les tensions s’accentuent dans les régions de Donetsk et Lougansk à l’Est du pays, ainsi qu’en Crimée. Plusieurs Chefs d’Etat Occidentaux se rendent sur place dans le but d’aider à former un nouveau gouvernement, mais la fuite de Viktor Ianoukovitch dans la nuit du 21 au 22 février 2014 précipite les choses et un gouvernement d’intérim se met en place avec une équipe pro-européenne. Le 25 mai, des élections ont lieu et le nouveau président de l’Ukraine est élu : Petro Porochenko.

Les populations de Crimée et du Donbass à l’Est de l’Ukraine ne se retrouvent pas dans ce nouveau gouvernement. Elles n’ont pas participé aux révoltes et sont historiquement plutôt tournées vers la Russie. Le fossé entre l’Est et l’Ouest s’exacerbe et des manifestations commencent à Sébastopol, base maritime militaire russe en Crimée. Pendant ce temps, des forces pro-russes prennent le contrôle de la péninsule et s’emparent de son Parlement le 27 février 2014, puis des aéroports de Belbek et de Simferopol. Le 6 mars 2014, le Parlement de Crimée demande le rattachement de la péninsule à la Russie et annonce une consultation populaire le 16 mars. Les électeurs ont du choisir entre le rattachement à Moscou ou une autonomie renforcée au sein de l’Ukraine. Les résultats se montrent en faveur du rattachement de la péninsule à la Russie, à 97%. Le Président Vladimir Poutine signe alors le traité rattachant la Crimée à Moscou le 18 mars en violation du droit international et du principe de non-ingérence.

Dans les autres régions comme à Lougansk et Donetsk, l’instabilité gagne le terrain. Les bâtiments administratifs passent sous le contrôle des séparatistes et les Républiques populaires de Donesk et de Lougansk s’auto-proclament avec le soutien puissant de la Russie. Des référendums d’auto-détermination sont organisés donnant suite à la victoire du « oui » le 11 mai 2014.

Malgré les efforts entrepris pour stopper la guerre en Ukraine orientale, les combats se multiplient et sont particulièrement meurtriers à l’Est du pays. Les cessez-le-feu conclus lors des accords de Minsk I en septembre 2014 et Minsk II en février 2015 ne sont pas respectés et les populations sont prises au piège dans le conflit. Elles subissent la violence quotidienne et la pénurie des biens de consommation courants et de première nécessité. Beaucoup choisissent de fuir et de se réfugier dans les régions de l’Est épargnées par le conflit ou dans d’autres villes plus à l’ouest comme à Kiev.

Zoom sur Maïdan

Soutenu au départ par une population plutôt jeune et ouverte sur le monde, le mouvement Maïdan se constitue progressivement et rassemble de plus en plus de personnes venant d’horizons bien différents.

Militants pour les droits humains, salariés, étudiants ou retraités, féministes, artisans ou encore chefs d’entreprises victimes du système corrompu ; tous ont participé d’une manière ou d’une autre au mouvement Maidan, qu’ils soient de gauche comme de droite, russophones ou non, ultranationalistes ou libéraux.

Lieu d’échanges et de partages, le Maïdan a offert un espace pour la société civile ukrainienne, afin qu’elle puisse exprimer sa frustration. De jour comme de nuit, le mouvement s’est géré de lui-même grâce à l’aide de nombreux bénévoles et associations. Des artistes sont venus encourager tous ces êtres humains en quête de solidarité et de liens. Parmi eux, le groupe DakhaBrakha « la bande-son de l’Ukraine » titrait le magazine Les Inrocks en juillet 2014. En voici un extrait :

La diversité que représente Maïdan est une force indéniable. Pourtant elle a également participé à discréditer le mouvement. Ultranationalistes et fascistes regroupés autour du mouvement « Pravy Sector » ( secteur de droite) se sont souvent retrouvés au cœur de la violence lors des affrontements avec les forces de police. Pourtant minoritaires au Maidan, ces derniers ont été surreprésentés par les médias, faisant le jeu de la désinformation et brouillant ainsi les pistes de compréhension du conflit à l’intérieur du pays comme à l’extérieur.

Et moi dans tout ça ?

Étant donné mon intérêt pour les questions de solidarité internationale et mon goût pour l’Europe de l’Est et la Russie, je me sens concernée par la situation en Ukraine. Depuis la France, je me suis documentée et j’ai consacré la plupart de mes écrits (mémoire, travaux de recherches, exposés) à la guerre en Ukraine. Maintenant que je suis diplômée, c’est l’occasion pour moi de m’engager pleinement et de partir découvrir ce pays et son histoire. Pendant sept mois, je vais travailler avec l’Assemblée Européenne des Citoyens (AEC) basée à Paris, et le Visual Culture and Research Center (VCRC) à Kiev, dans l’objectif global de construire un lien fort entre ces deux structures et d’engager du dialogue au sein de la société civile ukrainienne.

L’Assemblée Européenne des Citoyens

L’Assemblée Européenne des Citoyens est une branche française du réseau international Helsinki Citizens’ Assembly (HCA), constitué en 1990. Le réseau HCA est un réseau d’individus, de mouvements et d’organisations entretenant des relations partout dans le monde. Il est constitué de militants de la paix et des droits de l’homme d’Europe (orientale et occidentale), du Caucase et d’ailleurs. Il a constitué une activité importante de solidarité avec les démocrates des pays issus de la Yougoslavie, des régions des Balkans, du Caucase, la Russie, l’Asie centrale et le Maghreb. L’AEC est née dans les années 1990 par l’initiative de plusieurs groupes et personnalités. Sur le plan international, l’AEC participe à de nombreuses initiatives concrètes pour la citoyenneté, l’intégration européenne, la paix, la justice sociale la démocratie et les droits de l’Homme. Elle est également active dans les différents Forum Sociaux Mondiaux (FSM). Avec le réseau Initiative Pour un Autre Monde (IPAM), l’AEC a lancé un grand nombre d’actions de soutien et de solidarité en Europe de l’Est.

Le Visual Culture and Research Center / Центр візуальної культури

Le VCRC a été créé en 2008 en tant que plate-forme de collaboration entre différents groupes universitaires, artistes et militants de la société civile ukrainienne. Le centre est un lieu de rencontre interdisciplinaire offrant un espace de dialogue à l’occasion de divers événements (conférences, discussions, rencontres publiques, expositions, etc.). Dirigé par un groupe dynamique et engagé, le centre réussit à relier divers publics ukrainiens et internationaux afin de développer une compréhension plus complexe et complète de la façon dont l’art et la pensée culturelle critique peuvent contribuer à éveiller les esprits de chacun, nourrir notre imagination, et lutter contre la fermeture d’esprit, des compétences vitales dans nos sociétés démocratiques progressives. À travers ses actions, le VCRC rappelle la force que peuvent avoir des initiatives culturelles indépendantes, même dans des pays connaissant une situation politique et économique difficile.