Simple plat de légumes ? Petit Etat à la situation géographique imprécise ? Ou encore : ça existe ça ? Annoncer un départ pour la Macédoine peut provoquer des réactions pour le moins diverses et variées ! Mais pourtant, dans un mois, ce petit Etat d’environ 2 millions d’habitants, partageant ses frontières avec la Grèce, l’Albanie, le Kosovo, la Serbie et la Bulgarie, sera ma prochaine destination !

Arrêtons-nous donc un instant sur ce petit Etat porteur de toute une série d’imaginaires, de représentations et d’enjeux d’actualité.

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Commençons par le commencement : petit détour historique sur la Macédoine[1]

Partir sur le terrain macédonien nécessite tout d’abord de revenir sur quelques points historiques. Nous voilà alors embarqués dans un retour dans le temps nous ramenant jusqu’à Alexandre le Grand. C’est en effet lui qui sera le premier à évoquer la Macédoine en tant que concept géographique, faisant alors référence à un territoire plus étendu que l’Etat macédonien actuel, incluant une partie du nord de la Grèce et une partie du sud de la Bulgarie. Par la suite disputé entre les Grecs, les Bulgares et les Serbes, ce territoire sera soumis à la domination ottomane à partir du XIVe siècle, période au cours de laquelle une minorité albanaise s’y installe également. Objet de multiples tensions, il faudra attendre l’implosion de l’empire ottoman et la fin de la Seconde guerre mondiale pour poser les contours de l’Etat macédonien tel que nous le connaissons aujourd’hui. La République populaire de Macédoine, une des six République constituant la Yougoslavie de Tito, est née. Et, en 1991, la République de Macédoine proclame son indépendance. Cependant, les conflits sont tenaces et l’histoire de ce petit Etat traversé par différentes populations le rattrape rapidement. C’est notamment la présence d’une importante minorité albanaise qui cristallisera ces tensions dès le début des années 2000. Mais ce n’est pas qu’en interne que la République de Macédoine doit affronter son histoire. Ses relations avec ses voisins s’en trouvent aussi affectées, notamment avec son voisin grec. Depuis l’indépendance de l’Etat, la Grèce refuse en effet de reconnaître la Macédoine sous l’appellation de République de Macédoine (ainsi que son drapeau), craignant que cette dernière ne revendique la région macédonienne, dans le sens géographique du terme, du nord de la Grèce. Il faut donc attendre 1993 pour que l’Etat soit reconnu par la communauté internationale sous le nom d’Ancienne République Yougoslave de Macédoine (AMYR). Cependant, l’appellation de l’Etat pose toujours problème avec la Grèce, révélant plusieurs enjeux pesant sur la situation actuelle de l’Etat.

 

Minorités, économie, politique, Union Européenne (UE)… ou comment décrypter l’actuelle « recette » macédonienne

Un « mille-feuille » de minorités

Principalement slave, de religion chrétienne orthodoxe, la population macédonienne comporte également une forte minorité albanaise, de religion musulmane en majorité, ainsi que des Turcs ou encore des Roms. Si cette diversité est une richesse pour le pays, c’est aussi une source de tensions et d’enjeux pour ce petit Etat. Ainsi, la question d’une « identité » macédonienne a souvent été reprise et instrumentalisée dans les discours et les politiques menées. A leurs paroxysmes au début des années 2000, en lien avec le conflit au Kosovo, ces tensions demeurent latentes. Récemment, le projet « Skopje 2014 », projet architectural visant à reconstruire des références au passé et les inscrire dans la ville, a ainsi fait resurgir un certain nombre de tensions, notamment de la part de la minorité albanaise, ne se sentant pas représentée dans ce projet. Ainsi, selon Laurent GESLIN et Jean-Arnault DERENS « la Macédoine est un petit pays dans lequel vivent deux sociétés parallèles qui s’ignorent mutuellement : la société macédonienne et la société albanaise, qui inclut les autres minorités musulmanes (Turcs, Roms, Torbesi ou « Macédoniens musulmans », Bosniaques, etc.). »[2]

Or, ces tensions ne sont pas sans conséquences sur la situation économique et politique du pays.

Une situation économique et politique tendue

Pays parmi les plus pauvres de la région des Balkans, la Macédoine doit en effet affronter des difficultés économiques depuis son indépendance : privatisation, fort taux de chômage, rattrapage économique difficile, etc. Or, les liens avec le politique ne sont pas loin. Ainsi, selon l’économiste Zoran Ivanovski : « L’économie de marché ne peut fonctionner qu’en s’appuyant sur les principes des démocraties libérales matures : à savoir le respect de l’État de droit et des droits de l’Homme. Cela reste le principal défi à surmonter pour les responsables politiques »[3]. En effet, la situation politique est particulièrement difficile en Macédoine. Au printemps 2015, les révélations d’un scandale d’écoutes massives d’environ 20 000 citoyens mises en place par le gouvernement actuel de Nikola Gruevski, du parti nationaliste VMRO-DPMNE (Organisation révolutionnaire intérieure de Macédoine-Parti démocratique pour l’unité nationale macédonienne), au pouvoir depuis 2006, ont provoqué l’effet d’une « bombe » dans la vie politique du pays. Révélant des manipulations d’élections, des pressions politiques, de la corruption, le pouvoir actuel a été perçu comme un gouvernement clientéliste, corrompu et autoritaire par la population. L’année 2015 a été ainsi marquée par une série de manifestations qui ont conduit à la mise en place d’un gouvernement d’intérim et des élections anticipées. Après plusieurs débats sur la date, c’est finalement le 11 décembre dernier que ces élections anticipées ce sont tenues avec, pour principaux opposants, le parti au pouvoir et le SDSM (union sociale-démocrate de Macédoine)[4]. Le lendemain, c’est le parti nationaliste qui était proclamé vainqueur de l’élection avec une courte majorité sur l’opposition sociale-démocrate[5]. Cependant, plusieurs plaintes ont été déposées. Aujourd’hui encore, le résultat définitif du vote n’est toujours pas connu et les controverses perdurent[6]. Ainsi, alors que l’Etat fête les 25 ans de son indépendance, ces célébrations se déroulent dans un climat politique tendu.

Enjeux régionaux : une impossible adhésion à l’UE ?

Les tensions sont d’autant plus palpables que le voisin européen n’est pas loin. Officiellement candidate à l’adhésion à l’UE depuis 2005, la Macédoine a dû prendre en compte un certain nombre de mesures imposées par l’UE dans le cadre du partenariat conclu en vue de l’adhésion du pays. Cependant, les tensions entre la Macédoine et son voisin grec (qui continue de refuser de reconnaître l’Etat macédonien) expliquent en partie un blocage des discussions à ce sujet. Entre pressions politiques d’une part et tensions, cette candidature de la Macédoine est donc à repositionner dans le contexte européen plus large d’extension de l’UE vers les Balkans avec toutes les contradictions et les enjeux posés par cette politique.

 

Des enjeux nationaux, régionaux et européens aux enjeux internationaux : la Macédoine face aux migrations

Ces enjeux à la fois internes, régionaux et européens se retrouvent cristallisés autour des migrations.

La Macédoine se retrouve en effet au cœur des « routes des Balkans ». Par conséquent, la Macédoine est au cœur d’un ensemble de pressions politiques internes et externes qui ont pris une tournure nouvelle à partir de 2015, faisant la « une » des journaux. Ainsi, en 2015, se sont plus d’un million de personnes en migration qui ont traversé ce pays[7]. Si, au départ, la Macédoine laissait les personnes transiter par son territoire, les politiques européennes, notamment allemandes, autrichiennes et hongroises, avec leurs répercussions sur les politiques serbes, bulgares et grecques, ont peu à peu conduit l’Etat macédonien à radicaliser lui aussi sa politique à l’égard des migrants. Assez rapidement, le camp d’Idomeni à la frontière gréco-macédonienne est devenu le symbole du retour aux « principes fondamentaux » des politiques migratoires et d’asile de l’UE : le refus de toute liberté de circulation pour les demandeurs d’asile et la volonté de maintenir les exilés toujours plus loin du cœur de l’espace Schengen, et si possible enfermés. En effet, en lien avec la mise en œuvre de l’ « approche hotspot »[8], la possibilité de quitter la « nasse grecque » par cette frontière a été d’abord restreinte sur la base des nationalités. Ensuite, en mars dernier, la frontière a été officiellement fermée, à la fois au sud, avec la Grèce, mais aussi au Nord, avec la Serbie. Pourtant, des centaines de réfugiés continuent d’avancer sur les routes de la région, malgré les contrôles frontaliers, les murs de barbelés et les frontières fermées. Enfin, l’état d’urgence, qui a été décrété dès août 2015, a été prolongé jusqu’au 30 juin 2017, au moins. Dès lors, bien que ne souhaitant pas rester en Macédoine, des centaines de personnes en migration se retrouvent bloquées dans cet Etat et enfermés dans des camps, aux formes évolutives, allant de camps de transit à des camps de plus en plus semblables à des centres de rétention administrative. De plus, cette fermeture des frontières a entraîné une multiplication des risques pris par les personnes en migration afin de pouvoir continuer leur route[9]. Par ailleurs, pour les personnes souhaitant demander l’asile, elles subissent les déficiences d’une législation toute récente sur le droit d’asile en Macédoine, provoquant de nombreuses violations des droits des demandeurs d’asile et ce, bien que la Macédoine ait ratifié la Convention de Genève de 1951.

De pays de transit à pays de blocage, la Macédoine se voit donc assignée dans le rôle de « gendarme » et contrôle des frontières extérieures de l’UE sans être membre de l’UE pour autant. Mais la Macédoine demeure par ailleurs un pays d’émigration, devant faire face à un important départ de sa population pour rejoindre l’Europe de l’ouest ou du Nord, du fait de raisons économiques[10]. Or, aujourd’hui, les journaux semblent moins traiter de cette situation macédonienne, demeurant pourtant complexe et porteuse d’un ensemble de questions quant au respect des droits humains et de leur liberté de circulation.

 

Et la mission dans tout ça ?

C’est alors qu’intervient la mission d’Echanges et Partenariats[11]. Avec d’un côté Migreurop[12] comme structure d’envoi et l’association Macedonian Young Lawyer Association (MYLA)[13] comme structure d’accueil, les cinq prochains mois permettront de découvrir un peu plus ce pays qu’est la Macédoine, tout en observant les routes migratoires et récoltant des informations sur les enjeux qui s’y présentent en termes de contrôles aux frontières, enfermement des étrangers, violations des droits des étrangers et liberté de circulation.

Mais ça, c’est une autre histoire…

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[1] Pour plus d’informations sur l’histoire de la Macédoine, voir également : PLASSERAUD Yves, « La Macédoine : le défi de l’environnement », in L’Europe et ses minorités, Collection Europa, Presses Universitaires de Grenoble (PUG), 2012.

[2] Laurent GESLIN et Jean-Arnault DERENS, « Macédoine : la dérive autoritaire », Politique internationale, n°138, hiver 2013. http://www.politiqueinternationale.com/revue/edito.php?id=138

[3] Radio Slobodna Evropa, « La Macédoine fête les 25 ans de son indépendance en pleine crise », Le Courrier des Balkans, 10 septembre 2016. http://www.courrierdesbalkans.fr/articles/la-macedoine-fete-les-25-ans-de-son-independance-en-pleine-crise.html

[4] Benoît Vitkine, « La Macédoine, une candidate à l’UE aux abois », Le Monde, 10 décembre 2016. Disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/12/10/la-macedoine-un-candidat-a-l-ue-aux-abois_5046843_3214.html

[5] Benoît Vitkine, « Les nationalistes au pouvoir remportent les élections en Macédoine », Le Monde, 12 décembre 2016. http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/12/12/les-nationalistes-au-pouvoir-remportent-les-elections-en-macedoine_5047835_3214.html

[6] Laurent Geslin, « La Macédoine dans l’impasse après des élections législatives controversées », Libération, 15 décembre 2016. http://www.liberation.fr/planete/2016/12/15/la-macedoine-dans-l-impasse-apres-des-elections-legislatives-au-resultat-controverse_1535394

[7] Rapport inter-associatif, « Closed Borders ». Programme report on the impact of the borders closures on people on move, with a focus on women and children in Serbia and Macedonia, septembre 2016

[8] Pour plus d’informations sur les hotspots : Migreurop, « Des hotspots au cœur de l’archipel des camps », Les Notes de Migreurop, octobre 2016. En ligne :

[9] Jean-Arnault DÉRENS, Laurent GESLIN et Simon RICO, « A la frontière gréco-macédonienne, le «tri» des migrants profite aux réseaux mafieux », Médiapart, 1 février 2016. https://www.mediapart.fr/journal/international/010216/la-frontiere-greco-macedonienne-le-tri-des-migrants-profite-aux-reseaux-mafieux

[10] Jaklina Naumovski, « Deux millions d’habitants en Macédoine ? Un mythe ! Emigration : La catastrophe démographique qui menace la Macédoine », Kapital, 26 octobre 2015. http://www.courrierdesbalkans.fr/articles/la-macedoine-se-vide-de-ses-habitants-plus-de-20-500-departs-en-un-an.html

[11] http://ep.reseau-ipam.org/e-et-p/

[12] http://www.migreurop.org/rubrique378.html

[13] http://myla.org.mk/en/