C’était un soir du mois de juin, un soir où l’on sort profiter du beau temps en terrasse, un gilet sur les épaules. Nous étions un grand groupe assis à prendre un café sur la place Pietri, dans la capitale marocaine.

C’était une réunion comme on en fait après les manifestations, pourtant bien singulière. Plus tôt dans la soirée, Florie m’avait proposée de venir avec elle à la commémoration pour les victimes de la tuerie d’Orlando. Nous avions donc rejoint un petit groupe rassemblé devant le Parlement à Rabat, autour de lampions au sol, d’un drapeau arc-en-ciel. Les personnes présentes prenaient des photos, répondaient aux quelques journalistes, dans une atmosphère empreinte d’un peu d’émotion, de défiance et la fierté d’accomplir un geste de bravoure dans un pays où les rassemblements non déclarés sont un délit et l’homosexualité un crime. Les gens présents affirmaient être en train de réaliser le premier rassemblement LGBT au Maroc.

Assis à présent à la terrasse de café, nous bavardions les uns avec les autres. Les chaises et les tables manquaient, nous partagions les chaises à deux. J’étais assise ici, étrangère à ce groupe qui s’était rassemblé pour pouvoir dire qui ils étaient, heureuse de pouvoir être témoin de ce moment de solidarité et de respect.

Plus loin était assis un garçon au regard captivant. Il s’est assis près de nous, nous a saluées et nous a raconté son histoire. Sourd, il n’entendait pas nos questions, mais cela ne le dérangeait pas, c’était comme s’il déroulait un récit écrit quelque part dans un livre de contes ou de cauchemars.

Il disait garçon pour parler de lui, mais nous expliquait qu’il était femme née dans un corps d’homme. Il nous racontait sa famille, sa fuite et la vie dans la rue, la prostitution, l’amour de sa mère qui avait accepté sa différence, la prison, la violence et l’humiliation jusqu’à la folie, son rêve de partir au Canada où il pourrait enfin vivre sa vie. Il s’était fait pousser une barbe parce que pour lui, dans la société marocaine, c’est cela qui signifie que tu es un homme.

Son récit sonnait faux tant il avait été travaillé, calibré entre la présentation des personnages, le récit des péripéties, les descriptions. Les mots étaient si justement choisis et articulés sans hésitation, comme testés des centaines de fois pour s’accorder enfin.

Il nous parlait des sacrifices qu’il faisait chaque matin en choisissant ses vêtements et j’étais fascinée par ses yeux, ses cils, ses gestes. Il avait le visage très fin, la peau lisse, de longs cils tirés au mascara, des doigts très soignés, longs, les ongles faits. Il portait une barbe et une coupe masculine taillées avec une finesse et une féminité invraisemblable.

Puis nous sommes parties et je suis restée avec le sentiment d’avoir rencontrée une forme absolue de beauté, l’esthétisme parfait et sans défaut, au point d’être irréel.