Ça y est je suis de retour en France, actuellement sur Paris pour la capitalisation de la mission. Lors des différents ateliers de restitutions, on nous demande de rendre compte d’événements marquants. La moment le plus drôle, le plus dur, le plus représentatif… Je ne me retrouve pas dans ces exercices. C’est encore trop frais, je n’arrive pas à envisager ma mission comme une succession « d’événements marquants », mais plutôt comme un amas de questionnements, de découvertes, de rencontres, d’avis et de témoignages entre-croisés.

Lorsqu’on me demande : « Alors, la Grèce ? ». Je reste bête. Je ne sais par où commencer. Je ne veux pas réduire mes cinq mois dans ce pays à la crise, pourtant si présente. La Grèce, c’est tellement plus.

Débarquée sur la Capitale grecque au début du mois d’avril, il fait déjà soleil ici, l’air est chaud mais pas encore étouffant. Mis à part l’aéroport, la première chose que je vois d’Athènes est la place Syntagma. En sortant de la bouche de métro j’ai en tête les images médiatiques des grands soulèvements du mois de janvier 2015. C’est le calme plat, comme une fin d’après midi ensoleillée n’importe où ailleurs. T. m’accueille, souriante, et m’emmène avec elle pour ma première balade dans les rues athéniennes.

J’ai un coup de cœur pour cette ville et ses habitants. Athènes ne ressemble pas aux capitales européennes que j’ai eu l’occasion de visiter. Si l’on s’écarte un peu du quartier de l’Acropole, la ville n’a plus grand chose d’une métropole touristique, aux ruelles propres et habitations et commerces colorés .

Très vite, une autre ambiance prend le dessus. Les immeubles gris en bloc, jonchés de terrasses où le linge de chacun sèche. Les cafés enfumés, malgré la récente interdiction de fumer dans les lieux publics. J’en rigole souvent avec mon entourage, on me répond « Tu imagines, boire une bière sans pouvoir fumer tranquillement au comptoir ? ». Oui j’imagine, chez nous on n’a pas contesté. Les trottoirs défoncés, envahis par les deux-roues sur lesquels peu de grecs portent un casque, une circulation intense et bruyante. Les murs pour la plupart tagués ou ornés d’affiches collées à la va-vite. Tout ça forme pour moi un grand capharnaüm, accentué par une langue étrangère. Cependant, au milieu de tout ça des petits coins de paradis existent. Les ruelles ombragées d’Exarchia où l’on s’arrête boire un café durant des heures. Les petites Églises byzantines qui vous coupent un instant de l’agitation ambiante.

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A tout heure du jour où de la nuit les terrasses des cafés et tavernes sont remplies. J’ai tout de suite aimé cette légèreté dans l’air, l’ambiance quasi estivale égayée par l’animation qui ne s’arrête que tôt le matin pour quelques heures seulement. Les gens, connus ou inconnus, qui font tous preuve d’une bienveillance incroyable à mon égard. Les sourires, l’effort des commerçants pour parler trois mots en français. La joie de vivre et l’envie de profiter de ce que la vie peut apporter, profiter du moment présent.

Parcourir les rues du centre ville, prendre des photos pour montrer à ma famille et mes amis ce qui m’entoure. Bien-sur, ce qui transparaît ne ressemble que de loin à ce que je vis ici. A partir de quand arrête-t-on de visiter une place pour y vivre ? Peut être quand justement lorsque l’on pose l’appareil photo, et que ce qui nous entoure devient notre quotidien.

Après m’être familiarisée avec la vie grecque, son quotidien, ses problématiques, je relis mon article de contextualisation, écrit à partir d’informations grappillées dans d’autres articles et documentaires, et le trouve terriblement incomplet. Car l’essentiel n’est pas dans ce que les journalistes écrivent, et encore moins dans les journaux papiers et télévisés.

Parler de la Grèce avec les locaux, c’est bien sûr parler de la carte postale, les paysages magnifiques et la culture riche, mais aussi apercevoir une pointe de tristesse dans les regards. Au cours de mes discussions et rencontres, je comprend que tous et toutes sont touché-e-s par la crise économique. Tous et toutes ont perdu une part de leur salaire quand ce n’est pas leur emploi, beaucoup sont endetté-e-s, la plupart des gens de mon âge pensent partir à l’étranger finir leur étude ou trouver un travail. Je découvre une génération « sacrifiée » : pas de travail, peu de perspective d’avenir, difficile dans ce contexte de s’établir, fonder une famille. Et si ce n’est pas eux qui sont touché-e-s directement, c’est leurs parents, frère, sœur, ami-e-s.

La crise est bien là, elle saisi à tous coin de rue. La crise économique s’illustre sur ces grandes artères, dont des pans entiers sont plein de locaux commerciaux vides. Les rues commerçantes remplies majoritairement de touristes. Les immeubles laissés à l’abandon, et ceux aux travaux inachevés. La crise s’écrit sur les murs, parmi les tags. Le localement célèbre « Je souffre » qui a fleuri dans les différents quartiers. Elle s’immisce également dans les discussions, au cours desquelles on échappe rarement au triste constat et témoignage des habitants sur les récents événements. À mon arrivée je questionnais beaucoup mon entourage sur les mouvements de contestation, leur essoufflement alors que tant reste à faire. J’ai fini par comprendre qu’une lutte de six années laisse des traces et de la fatigue. Qu’aujourd’hui beaucoup de grec-que-s aspirent à une vie « normale ».

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Je m’aperçois que lorsqu’on me demande ce que je pense de la Grèce, j’en arrive toujours à parler de la crise, de ses conséquences -du moins ce que j’en ai compris. Peut être parce qu’elle tape plus durement ici que dans mon pays. Peut être aussi parce que c’est encore dur pour moi de me dire qu’en Europe ceci est possible. Tellement possible que ce sont les politiques européennes elles-mêmes qui l’ont créée, une crise humanitaire à l’échelle d’un pays.

Mais il ne faut pas s’arrêter à ça, la Grèce c’est tellement plus. Pour moi c’est un lieu d’expression politique par excellence. En traînant sur internet je suis tombée sur une image disant « Murs propres, peuple muet », et bien les grec-ques ont des choses à dire. Les murs colorés par les tags aux messages souvent politiques en témoignent.

La Grèce c’est aussi la vie dehors, en terrasse des cafés ou restaurants, dans les ruelles ou places publiques avec les ami-e-s. C’est l’occupation, des lieux publics à l’occasion d’assemblées, de festivals, de soirée en solidarité pour une initiative dans un quartier ou encore pour transformer un projet de parking en jardin partagé. C’est le squat des bâtiments vides aussi bien sûr, dont la fonction première est de loger mais pas que. Car la Grèce c’est aussi un bel exemple de solidarité.

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Pour ma part je suis assez admirative de la résilience dont font preuve les grecs. Les réseaux de solidarités, associatifs ou informels, sont incroyables. Les cuisines, épiceries et cliniques sociales sont majoritairement financées et fournies par des dons. L’ensemble des squats accueillent des réfugié-e-s, qu’ils aient été ouverts dans ce but ou non, et lutte pour la solidarité et la dignités des êtres humains. Pour ma part c’est au City Plaza que je me rend, de temps en temps. D’abord donner un coup de main en cuisine, puis y rencontrer une amie, boire un café en prenant un cours de grec improvisé. Chaque fois je suis étonnée de voir autant de monde cohabiter et gérer cet espace.

Pour moi ce sera les balades et soirées à discuter sur le balcon avec P., les cours de grec manqués ou jamais finis, les mots du quotidien imprononçables, le bonheur du cappuccino fredo qui dure toute la matinée, la cuisine de M. pour Pâques, la bienveillance, les balades interminables dans Athènes a redécouvrir chaque quartier suivant le guide, les discussions politiques avec S., le tavli, l’Alpha et la Fix, les repas qui n’en finissent pas et c’est tant mieux, le partage, « Ela malaka! », les festivals… La Grèce c’est une lumière et des couleurs qui tapent, et des musiques qui adoucissent. La joie de vivre, parfois même envers et contre tous. Ce sera tous les gens qui m’ont touchée, par leur actions, leur engagement et leur discours, grâce à qui je rentre en France en sachant que la lutte n’est pas finie, elle est peut-être un peu en sourdine actuellement, mais elle n’a pas dit son dernier mot.

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A deux semaines de mon retour, je me surprend à reprendre des photos des lieux qui m’entourent, lister mentalement les choses que je voudrais faire avant de partir et pour lesquelles je n’aurai pas le temps, fallait y penser avant… Sans m’en apercevoir, je suis passée de la touriste à la résidente.

Merci pour cette jolie page.


I told it to you some night and it did not seem silly to you
Now I making it a song with simple words for you to remember
In mornings you’ll wake up and at nights you’ll sleep
And each chorus says -i swear-
This rotten world you’ll see,will be changed by us
will be changed by us

I feel Rosinante’s ribs on my heels again
And let’s go
the secret was revealed to me by a passerby bird
And I’m not afraid
The pirates of utopia whispered it to my ear
Go and tell them

This rotten world- you will see- will be changed by us, will be changed by us