Comment fonctionne la concertation et le dialogue avec la société civile et les autorités locales sur les politiques climatiques?

 

  1. Le caroubier et le dialogue

Ahmed Boumedienne est engagé depuis de nombreuses années et sa voix tremble presque quand il parle de son territoire. Il milite pour la réintroduction du caroubier, un arbre méditerranéen au fruit très demandé par l’industrie agroalimentaire et employé comme substitut du chocolat.

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Gousses de caroube

Ancré dans la culture locale, on lui attribue de nombreux bienfaits sur la digestion. Élément du patrimoine méditerranéen, le caroubier est valorisé dans toute la région pour ses fruits, le fourrage et l’ombre qu’il procure au bétail. Par la qualité de la gomme produite à partir du fruit, le Maroc est le deuxième producteur mondial de caroube. Mais dans la région de l’Oriental, d’où vient M. Boumedienne, l’arbre a été remplacé par des essences plus adaptées aux rendements en bois plus importants comme le pin et l’eucalyptus.

Le rêve de M. Boumedienne est de développer une filière locale de production et de transformation de gomme de caroube. Il a dans la tète le modèle de l’argan, autre production endogène issue d’un écosystème aride et dont la précieuse huile est vendu à prix d’or pour la cosmétique. Actuellement vendu brut à l’équivalent de 40 centimes d’euro de kilo aux usines situées à Casablanca, la transformation industrielle locale de la gomme de caroube représente des potentiels de valorisation forts. Il croit aux revenus qu’apportera cette production à la coopérative qu’il imagine déjà, et tout ce tissu économique qui pourra voir le jour par la mise en valeur de ce patrimoine local. Il se voit redécouvrir les secrets de production des anciens de la région. Il explique que c’est aussi une mesure nécessaire pour s’adapter aux changements climatiques à venir car la biodiversité locale est plus résiliente face aux sécheresses.

Mais pour réaliser ce rêve, c’est un bras de fer politique que M. Boumedienne va devoir mener. Il doit avant tout arriver à convaincre la direction régionale des Eaux et Forêts de soutenir son projet. Cette dernière maitrise le choix des essences cultivées dans le pays. Elle fixe ses stratégies selon le plan décennal de lutte contre la désertification et contre la déforestation. Le travail pour les défenseurs de ce projet est donc de convaincre cette administration de réintroduire des caroubiers. Mais il s’agit aussi de demander un aménagement de la loi luttant contre la déforestation qui oblige à demander l’autorisation à la direction des Eaux et Forêts pour l’utilisation de toute ressource issue de la forêt, qu’elle soit privée ou publique.

Rassembler autour de la table des paysans souhaitant s’engager dans la filière et des techniciens des Eaux et Forêts peut permettre de trouver des points de convergence sur la mise en valeur du patrimoine forestier, la lutte contre la déforestation et le développement territorial. Mais c’est le plus difficile. Les relations entre les communautés locales et les Eaux et Forêts sont conflictuelles, à cause d’un passé lourd. Et les tensions sont tenaces empêchant des relations de confiance de s’établir. Les Eaux et Forêts font le choix d’essences à croissance rapide et à bon rendement en bois. Mais les habitants ont le sentiment qu’est planté sur leur sol un arbre dont la valeur sera exportée à l’extérieur du territoire une fois arrivé à maturation et dont ils ne bénéficieront d’aucun fruit, d’où la nécessité d’un espace de concertation.

  1. Le projet de la Coalition Marocaine pour la Justice Climatique

La Coalition Marocaine pour la Justice Climatique a choisi de mener son combat pour le climat en créant des espaces de concertation entre la société civile et les autorités locales. La mobilisation au moment de la COP22 n’est pas suffisante pour impulser des dynamiques pour s’adapter au changement climatique. En parallèle de négociations internationales, il faut des projets et des orientations des territoires en faveur de la transition. Penser à l’échelle locale permet d’engager des mouvements plus pérennes, sur des territoires larges, et mener des projets à l’impact concret sur les territoires. Cela permet enfin de créer des mobilisations et lancer des débats sur le climat en dehors du cercle retreint de Marrakech.

Concrètement ce projet de concertation passe par l’organisation de Pré COP, des évènements qui se déroulent pendant un week-end et qui rassemblent un millier de personnes issues de la société civile dans un espace de travail collectif, de présentation des activités et de dialogue avec les pouvoirs publics locaux. L’objectif défini au départ est de mener une concertation entre les associations présentes et les pouvoirs publics pour arriver à déterminer des engagements pour le climat qui seront retranscrits en politiques publiques. Dans le cas de M. Boumedienne, réussir à mettre autour de la table la coopérative de paysans, la direction des Eaux et Forêts et des élus locaux. Ce groupe de travail pourrait discuter d’un projet de territoire d’atténuation des effets du changement climatique et de développement territorial par la valorisation d’une filière de caroubier.

Mais engager une concertation n’est pas chose facile. Il faut identifier les pouvoirs locaux qui vont intervenir : la commune, la région, la wilaya ? Ensuite comment les inviter en leur donnant un rôle qui leur convient tout en conservant les distances nécessaires pour que chacun puisse tenir sa place ?

 

 

Ce week-end s’est tenu la première PréCOP à Oujda, dans la région de l’Oriental, et le déroulement de ce week-end a reflété ces difficultés. La question du suivi des engagements pour le climat pris par les autorités locales n’a pas été accompagnée de plan d’action ou de contraintes.

Mais peut être qu’au final, au-delà des résultats de l’évènement, ce qui a été gagné est le travail de préparation collectif qui a été engagé. Et la rencontre a également eu comme effet de créer des relations informelles lors des visites de terrain prévues, où les Eaux et Forêts ont pu présenter les effets visibles de leurs projets de lutte contre la désertification. Dans une ambiance détendue, des connaissances ont pu être partagées, et des relations de travail ont pu se tisser entre des associations présentes et les Eaux et Forêts.

L’enseignement de ce week-end de concertation est peut être qu’il faut penser la création de relations informelles, comme un premier pas vers la concertation et la création de politiques publiques nouvelles et l’identification de problèmes à prendre en compte. Aussi, comme par un effet papillon, il semble que l’organisation d’un grand événement international comme la COP22 soit l’occasion pour tout un ensemble de problématiques locales d’émerger ou de trouver une nouvelle approche. Je reprends ici l’analyse de Zoé Vernin :

 Si on part du principe que la COP22 peut avoir un effet limité à échelle internationale, il semble que les répercussions d’un tel grand évènement peut au moins s’observer à échelle locale car il est finalement « un bon prétexte » pour donner visibilité à des problématiques peu entendues, donner la parole à ce qui ne l’ont généralement pas, favoriser la reprise du dialogue, alors que tout cela semblait bloqué avant.