Avant la tenue du Forum Maghrébin pour une justice sociale et climatique, il fut un moment où tout se passait à l’écrit, par messages et documents-words attachés en tout genre. Au fil des jours, on se rode presque sans hic à l’équation multiple de formulations théoriques, pédagogiques, quasi-diplomatiques, logistiques, pratico-pratiques. On plongeait alors dans le grand bain de la gestion qui ne tarissait pas non plus de rimes toutes trouvées à cet ode au jargon : car on avançait tout en même temps dans l’organisation, la coordination, la communication, et parfois la complication et l’adaptation. Petit aparté…

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par Laurent Taudin,  par ici

 

L’école de l’ombre

De manière moins lyrique, ceux qui ont l’habitude d’être dans « l’orga » de ce type d’évènement peuvent y voir au mieux mon baptême, au pire des tribulations qui ne relèveraient finalement que du « bon sens». Dans les deux cas, il faut sans doute plaider mon amateurisme gestionnaire. Les autres attendront probablement la suite, surement peu intéressés par cette réflexion sur ce que l’on peut nommer parfois -un peu trop rapidement et non sans réticence- la « managérialité » de ce type de manifestation. Il est vrai, que les tâches afférentes à l’organisation s’avèrent sans doute des détails insignifiants dans l’histoire des luttes, un versant dépolitisé et peu romantique de l’avancée des peuples pour leurs droits. On les appréhende tantôt sous l’angle d’une propagation endémique du vocabulaire et de la logique de l’entreprise, tantôt sous les auspices d’une perte en spontanéité et en ferveur. A tort ou à raison, c’est aussi selon si on force un peu le trait ou non.

Le storystelling d’un cogito

Mais comment penser le lien qui existe entre le sens généralement (collectif) donné à une lutte et celui que l’on donne au travail quotidien que l’on effectue (en groupe restreint ou à titre individuel) pour y contribuer ; aussi organisationnels que peuvent l’être les jalons de l’action collective, et sans doute, dans une certaine tendance à la professionnalisation des activités associatives, militantes. Quoiqu’il en soit, après un mois de préparation du Forum et à force de concilier les idées, les personnes et les moyens matériels qui se présentaient, j’ai vécu ces pérégrinations aux confins des bureaux et de mon ordinateur, comme le prélude d’une certaine histoire de l’évènement.  Ainsi, avec modestie et exaltation, on tente d’écrire sa double trame en filigrane : celle de l’accomplissement d’un travail collectif et à plus long terme celle d’une pierre que l’on espère poser à un édifice plus grand. Dans les deux cas, les détails comptent, et ne ménagent pas un certain regard réflexif sur le travail, que jusqu’ici je n’éprouvais vraiment qu’en période de grande accalmie -non rémunératrice- et plus difficilement.

Voyage en polysémie

              Car oui, l’antichambre d’un événement comme le FMJSC (pour l’énième cycle), peut être vécue comme une odyssée linguistique qui conjuguent des aspects conceptuels, relationnels et matériels de manière quasi-organique. L’organisation d’une rencontre militante, doit alors davantage s’appréhender selon une approche structurelle, que strictement opérationnelle.

Tout d’abord, car il s’agit d’un parcours sémantique qui fait dialoguer les portées politiques/idéologiques, didactiques et méthodologiques des mots et des formulations.

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par Laurent Taudin, par ici

C’est donc le choix de concepts et de problématiques dans le cadre, tout d’abord, de l’identité et d’une vision propre à une entité collective et autonome -qui le porte – et qui dépasserait les individualités. Mais cela résulte tout à la fois, d’analyses critiques et de contributions programmées à la mesure des connaissances et expériences de ceux qui viennent ajuster, préciser, et enrichir ce contenu.

Un laboratoire rhétorique

C’est aussi penser à un enchaînement et aux formes d’expression et d’échange : une sorte de canevas systémique qui favoriserait tout à la fois, l’inclusion et la mutualisation (mais pas forcément la consensus), des interactions constructives (malgré la diversité des acteurs, la complexité des enjeux abordés et du temps imparti), et pourquoi pas des convergences (aux effets qu’on aimerait multiplicateurs). Les mots sont des instruments nous permettant alors de naviguer à travers des registres (de la dénonciation/revendication, de l’impératif/conditionnel etc.), des approches (institutionnelle/civile, sociales/économiques, environnementale/climatique, etc.), des échelles d’analyse (locale/nationale, maghrébine/internationale etc.), et des orientations plus suggestives que directives (sensibilisation/participation, confrontation/fédération, consolidation/initiation, etc.). Et cette gamme n’est pas exhaustive.

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par Laurent Taudin, et par là

Une grille harmonique

Ainsi l’antichambre du FMJSC est une fabrique d’un langage à se partager, au service en l’occurrence d’une rencontre certes militante et engagée, mais aussi de manière plus générale d’une expérience sociale et humaine. A la veille du Forum, c’étaient d’ailleurs les deux volets du même intérêt qui avait jusqu’ici animé mes activités de préparation. En effet, « l’organiser, le coordonner » c’était ainsi participer à la conception d’une matrice de réflexion préliminaire qui ; d’une part se formalise en partie sur la base d’engagements personnels au sein d’une lutte, et d’autre part se destine à un ensemble à qui il revient en premier lieu de créer et de façonner du sens commun.

La métaphysique d’une fourmi dans une fourmilière

Ainsi, les coulisses de l’organisation ne me sembleront plus si anodines dans la poursuite de solidarités qui peut impacter toujours un peu plus l’ordre des choses. Enfin, et même si ce n’est pas la panacée, c’était trouver beaucoup de sens dans des activités du quotidien dont on ne questionne jamais vraiment ni la portée ni la chance de les exercer en toute liberté – j’entends notamment les libertés d’opinion et de réunion.

Mais si toutefois vous préférez à la théorisation hasardeuse de l’expérience, sa version plus substantielle, un autre article devrait suivre bientôt.   

* Je remercie par avance et de très loin Laurent Taudin, illustrateur, pour l’utilisation de ses dessins dans cette introspection balbutiante. L’ensemble des dessins provient de son sitesurinternet. Il est possible aussi de suivre son regard pictural sur l’actualité, sur Twitter – @t0adscroak.