(A l’écoute: Fatoumata Diawara – Clandestin. Un conseil de F.Fall, grand Baye Fall parmi les Baye Fall.)

Je n’avais jamais vraiment fait attention à la météo.

Lorsqu’on est jeune, choyé.e, que l’on a une maison avec des fenêtres à double vitrage par lesquelles on peut regarder la pluie tomber en se réchauffant les mollets au coin du feu et du chocolat chaud, la météo ressemble à un caprice sociétal anachronique. On se paye le luxe de sortir les cheveux humides même s’il pleut, on sourit devant nos parents qui nous pressent de nous munir du parapluie familial au cas où. On se mouillera, tant pis. Parce qu’on n’attrapera pas froid, parce qu’on est invincible, parce qu’on ratera un jour de cours et que les médicaments sont remboursés, et que c’est maman qui va les chercher à la pharmacie avant de nous faire une tisane et de nous mettre sous la couverture. S’il pleut, s’il neige, s’il fait beau, c’est le risque zéro. Alors on regarde avec perplexité nos parents, et nos grands-parents retraités du monde agricole écouter avec attention les bulletins météorologiques quotidiens, suivre des yeux par habitude et par contentement les grands mouvements des présentatrices télé le long des côtes du continent sous l’orage. On les écoute parler du mauvais temps avec le boulanger et la voisine sans y participer, futilités. Cette passion commune rappelle vaguement un temps préhistorique où l’humidité des grottes pouvait avoir de sérieuses conséquences sur la survie de l’espèce et où la chasse aux protéines pouvait être fortement compromise par le grain.

Quelque chose de complaisant, de banal, d’inutile.

La météo a pris une autre tournure quand j’ai commencé à travailler aux côtés des personnes migrantes ayant quitté l’Europe de l’Est, Roumanie, Bulgarie. Se débrouillant aux marges de nos villes françaises et organisant leur vie dans des bidonvilles un peu cachés, ou un peu trop visibles à nous tou.te.s qui fermons les yeux. Le temps qu’il fait est devenu souci de santé publique. C’est d’abord le froid glacial de l’hiver au-devant duquel on les jette sur les trottoirs gris, en Décembre ou en Mars. En réalité peu importe car la trêve hivernale s’applique à ceux qui ont un logis à perdre. Pas à ceux qui n’en ont pas. Expulsions sans relogement, errance entre les gouttes. C’est la pluie qui s’infiltre entre les bâches et les planches qui mouille le sol les chaussettes et les couvertures. Les enfants sont difficiles à réchauffer. D’ailleurs la pluie froide et continue transforme en boue les terrains vagues, les enfants rechignent à aller à l’école : ils arriveront boueux après la cloche et on se moquera d’eux. Ils n’en peuvent plus d’avoir honte, là-bas. La pluie s’infiltre, les bronchites des jeunes et des vieux dégénèrent en pneumonies. Il n’y a pas d’issue contre l’orage, peut-être qu’on allumera un brasero à l’intérieur en espérant se réchauffer les pieds, peut être qu’un enfant marchera dessus, peut être qu’un incendie embrasera le camp.

Quelque chose de dramatique.
Quelque chose qui se passe de l’autre côté de la route.

Quelque chose qui dure et qui a pourtant assez duré : 25ansbidonvilles.org

 

Le Maroc, me direz-vous. Il y fait beau, merci.

Quoi que cela ait, ici comme ailleurs, plus d’importance pour certain.es que pour d’autres. Et ceux qui m’interpellent sont ceux pour qui la météo est devenue une urgence vitale. Pour les personnes migrantes fixant l’horizon du bout du Nord du Maroc, la météo est l’ultime condition variable et imprévisible d’un avenir meilleur. On aura beau avoir le numéro des secours sur soi, avoir téléchargé WhatsApp pour pouvoir transmettre sa position géolocalisée exacte au moment où il le faudra, on aura beau avoir dûment payé trois fois le prix du canot au marocain de Rabat, cinq fois le SMIC français pour garantir son passage au marocain tangerois qui connait un endroit, on aura beau avoir des provisions et un gilet de sauvetage neuf, si la météo change, rien ne pourra rattraper votre droit à la vie. L’orage peut vous rabattre sur les côtes marocaines en pleine nuit, et le rêve s’éteint. Il secoue les canots surchargés, vous contraint à appeler les secours bien trop tôt, avant d’avoir atteint les eaux espagnoles. Combien de temps faudra-t-il avant de réunir la bonne somme à nouveau ? Et si les forces auxiliaires du Maroc vous frappent, et vous forcent à monter dans des bus sans destination, vers le Sud, combien de temps et d’énergie faudra-t-il pour revenir encore au Nord, à pied ? Le pourra-t-on seulement ?

Et puis il y a les orages qui provoquent des vagues de deux mètres, qui font peur aux enfants et à ceux qui n’ont jamais vu la mer, la nuit. Ca se bouscule et peut être que des gens proches du bord, tombent. On n’entendra plus rien entre le vent, les pleurs et les cœurs qui battent. Les secours ne pourront pas venir. Ni les hélicoptères, ni les bateaux. Ni même les gendarmes, au chaud, chez eux.

Alors avant de partir il faut regarder la météo.

La même météo que je regardais d’un œil morne étant enfant, ailleurs sauve des vies.

Et on cuisine du poulet Yassa en attendant que le soleil brille – de ce côté ou de l’autre de la Méditerranée.

Yassa