Au cours de ces derniers mois, les affrontements entre les rebelles et l’armée de Bachar al Assad ont provoqué le déplacement de plus d’un million de personnes à l’intérieur de la Syrie, alors que 300 000 Syriens trouvaient refuge dans un des pays de la région, principalement en Jordanie, en Turquie et au Liban. Au milieu de tels mouvements de population, les 15 000 réfugiés syriens d’Egypte ont tendance à passer inaperçu. Pourtant, cela fait plusieurs mois qu’ils considèrent ce pays comme une porte de sortie à la crise qui ébranle la Syrie depuis maintenant plus d’un an.

Les premiers Syriens à avoir trouvé refuge en Egypte furent les opposants politiques menacés par le régime de Damas. C’est le cas des militants qui campent devant les bureaux de la Ligue Arabe depuis plus 7 mois afin d’alerter la communauté internationale sur les exactions commises en Syrie. Ibrahim* est l’un d’entre eux. Il habitait la banlieue de Damas avant de venir s’installer au Caire avec sa famille. « Les services de sécurité multipliaient les arrestations. Comme nous avions pris part à la contestation, et avec la multiplication des agressions de l’armée sur notre quartier au cours du mois de mai dernier, nous avons décidé de partir. Si nous avons choisi l’Egypte, c’est avant tout en raison des facilités de visas accordées aux Syriens et à la liberté d’expression dont nous bénéficions ici comparé aux autres pays de la région. »

Le ralentissement de l’activité économique en Syrie est également à l’origine de beaucoup de départs vers la capitale égyptienne. Mourad* est professeur d’arabe. En septembre dernier, il a choisi de quitter son pays car il ne pouvait plus y exercer son métier. « Je donne des cours depuis chez moi et aussi par Skype. J’aurais pu rester en Syrie et continuer uniquement les cours via Internet, mais avec le régime qui cherche à isoler le pays pour empêcher les activistes d’envoyer des images à l’étranger, à partir du mois d’août 2011, il était devenu impossible d’utiliser Skype correctement. En plus, en travaillant sur Internet et avec des étrangers, cela devenait difficile de ne pas m’attirer des problèmes avec les moukhabarats (services de renseignements syriens). Ils ont souvent tendance à faire des raccourcis stupides, qui, en l’occurrence, auraient pu me coûter très cher s’ils m’avaient soupçonné d’être un agent de l’étranger. «  Après un passage de quelques mois en Turquie, il a décidé de venir s’installer au Caire lorsque les services de l’immigration turcs ont refusé de lui renouveler son visa. “A partir du début de l’année, la Turquie a commencé à introduire des restrictions d’accès à son territoire pour les Syriens alors que nous pouvions entrer et sortir librement auparavant. «  Même si un retour vers son pays d’origine le placerait dans une situation délicate, Mourad avoue ne pas réellement se considérer comme un réfugié. Cependant, il pense de plus en plus à solliciter le HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) afin d’obtenir un droit de résidence légal en Egypte et ne pas continuer à vivre dans l’incertitude avec un simple visa de tourisme.

Au cours du mois de juillet, le nombre de demandeurs d’asile Syriens enregistrés auprès de l’agence onusienne dans le pays atteignait environ les 1 300** personnes. L’augmentation serait donc de près de 400** individus sur un mois par rapport aux 924** demandes enregistrées à la fin du mois de juin. Les réfugiés les plus vulnérables bénéficient d’une assistance financière et médicale par le biais de différentes ONG, du HCR et d’autres organisations internationales telles que Caritas. Malgré cela, leur installation en Egypte n’est pas toujours évidente, en particulier pour ceux qui ont tout laissé derrière eux afin d’échapper aux bombardements des forces du régime.

Hassi est un jeune artiste érythréen. Il anime des ateliers d’art plastique et de théâtre pour les enfants de réfugiés, généralement d’origine sub-saharienne. Ces dernières semaines, il a été en contact avec des enfants Syriens et selon lui, la plupart d’entre eux souffre de traumatismes causés par les scènes auxquelles ils ont été confrontés au cours de ces derniers mois. « Quand on leur demande de faire un dessin, ils dessinent systématiquement le drapeau des rebelles syriens. Quand ils chantent, ce sont des chants révolutionnaires et durant les ateliers de théâtre, ils jouent des scènes de massacres perpétués par les chabihas (milices du clan Al Assad). Ce n’est pas normal que des enfants de 10 ans soient obnubilés par de tels sujets. Il faut donc travailler avec eux pour qu’ils expriment leurs souffrances et puissent se reconstruire le plus rapidement possible. « 

2012-08-09-Egypte.jpg

Des Syriens se sont également installés dans d’autres villes d’Egypte, principalement à Alexandrie, mais aussi à Assiout et Saloum. Selon un responsable de l’OIM (Organisation internationale pour les Migrations) en Egypte, il y aurait à l’heure actuelle près de 700 Syriens qui patientent dans la ville de Saloum avec l’espoir d’entrer prochainement en Libye. Des compagnies de transport jordaniennes peu scrupuleuses organiseraient même des voyages en bus directement depuis Amman, jusqu’à la frontière égypto-libyenne. Bien évidemment, celles-ci se gardent d’alerter leurs passagers sur les restrictions d’entrée imposées par les autorités libyennes aux ressortissants syriens. En effet, depuis février, ces derniers ne peuvent pas passer la frontière sans visa, sésame que seule une petite minorité arrive à obtenir. Lorsque des militants de l’ANA (Activists News Association), se sont rendus sur place en avril, 300 Syriens en attente de visas étaient logés dans des bâtiments désaffectés loués par des donateurs égyptiens. Vivant entassés à plus de 10 personnes par pièce, les conditions sanitaires y étaient déplorables.

Il ne fait aucun doute que l’enlisement du conflit en Syrie continuera d’alimenter le flux de réfugiés vers les pays voisins. Mais avec les restrictions d’entrées imposées aux ressortissants syriens en Europe, en Libye et dans une moindre mesure en Turquie, en Irak et en Jordanie, les options se font de moins en moins nombreuses. L’Algérie est ainsi devenue le refuge de près de 20 000 Syriens, et il y a fort à parier qu’ils soient encore nombreux à rejoindre l’Egypte dans les mois à venir. Dans un tel contexte, il n’y aurait donc rien d’étonnant à voir les autorités de ces 2 pays prendre à leur tour des mesures visant à limiter le nombre d’arrivées de réfugiés syriens sur leur territoire.

 

 

*noms d’emprunt

 

** Ne sont comptabilisés ici que les Syriens enregistrés au HCR. Le nombre réel de Syriens présents en Egypte depuis le début de la crise syrienne est bien plus élevé (aux alentours de 15 000 personnes).