Tout est parti d’un tweet qui ne m’a pas plu. Avide de débat, j’ai mordu à l’hameçon.
S’en est suivi un intense échange de plusieurs centaines de tweets. Une rencontre tout aussi improbable qu’instructive. Seul contre tou-te-s, j’ai tenté de les pousser dans leurs derniers retranchements pour mieux comprendre leurs idées.
A en juger par leurs profils, mes interlocuteurs étaient des « identitaires », d’une certaine mouvance d’extrême droite, cristallisée en la figure du récent « Parti des Européens ». J’utilise ici le terme « identitaire » sans entrer dans les détails de ce à quoi cela renvoie, car là n’est pas l’objet de ce billet. Je laisse le soin aux politologues et aux excellents collectifs anti-fascistes comme La Horde de démêler et d’expliquer les mille et une tentacules de l’extrême droite française et européenne.
Plutôt que de chercher à retracer la chronologie complexe du débat, je rassemble ici les tweets par thème ou idée.
1) Les photos et schémas bidons pour étayer leurs « explications »
Les identitaires sont friands de photos et de schémas bidons. Ils n’hésitent pas à les utiliser pour étayer leurs « explications ». Quelques exemples :
« Assumer ce qu’on est sur la terre de ses ancêtres. »
« La diversité est un mot codé pour désigner le génocide des Blancs. »
Bruno sort les grands mots : « ostéologie », « marqueurs génétiques ». Il n’hésite pas non plus à balancer des noms de scientifiques, comme le généticien Cavali-Sforza, et m’incite à m’entretenir avec un médecin légiste. Me voici donc amplement convaincu.
Là encore, Bruno étaye son propos d’un schéma et d’explications scientifiques qui ne peuvent que convaincre. Mais surtout, Bruno m’accuse en parallèle de mentir et accompagne son texte du très judicieux hashtag « StopGlobalism ».
2) L’invasion : « il y en a partout !!! » et autres arguments rationnels
Vous l’aurez sans doute compris, Thomas parle d’une certaine « catégorie » d’Européens.
Pour Aforefreer, c’est évident : « il y en a partout !!! ».
Frédéric pose le problème : « 60 millions de non-Européens, majoritairement des Musulmans, se sont déjà « incrustés » en Europe, avec un taux de natalité bien plus élevé. Voilà le problème. »
Mes interlocuteurs semblent obsédés par l’idée d’un « grand remplacement » à venir, dont je « fais la promotion avec [m]es migrants ». Je suis donc « #Schizo ».
Au cas où je ne serais pas convaincu par cette histoire de « grand remplacement », Bruno partage ce très convaincant graphique, sans source, et qui omet les Amériques et l’Asie (continent sans importance démographique). Et même à prendre ce schéma au sérieux, on ne constate aucun « remplacement », simplement une stabilisation de la population européenne et un boom de la population africaine. Qu’à cela ne tienne, Bruno ponctue son post du (là encore) très judicieux hashtag « StopEurocide ».
Thomas s’improvise démographe. Et de m’expliquer que c’est un problème de natalité, mais aussi et surtout d' »irresponsabilité ». 7 enfants/femme !
Quelques précisions tout de même.
Les statistiques sont tellement officielles que Thomas ne cite aucune source (le simple fait de les déclarer « officielles » suffisant à les rendre officielles). Et quand bien même ces statistiques existeraient (ce qui supposerait aussi d’accepter le terme d' »euro-américains »), on ne voit pas bien le problème. En fait, Thomas déplore implicitement le déclin d’une population « 100% blanche ».
White Nation est plus explicite (avec son nom, pas étonnant) : des dizaines de millions de personnes « occupent » et « islamisent » l’Europe depuis plus de 40 ans.
3) L’invasion : une immense « injustice », un « crime contre l’humanité »
Comprendre la « cohabitation forcée » des « sous-espèces humaines ».
Thomas et ses petits copains sont obsédés par la « disparition » des « Européens », qu’ils jugent inacceptable.
Point Godwin atteint. Par mes adversaires les fachos. Chapeau.
Habile. Il fallait y penser.
L’Europe « européenne » n’a pas apparemment pas le « droit d’exister ». Une « subtile discrimination ». Mais bien sûr…
4) Les droits de l’homme : « un prétexte pour envahir l’Europe »
Le mérite de la clarté dans le propos.
Mais oui, chacun sait que les droits de l’homme ne sont respectés « que pour les migrants »… « Ridicule ! », en effet.
En quoi cela justifierait-il que l’on n’applique pas les droits de l’homme ? Parce que des gens les instrumentalisent, on ne devrait plus les appliquer ?
Mes interlocuteurs révèlent enfin leur théorie du complot (judéo-maçonnique ?).
5) Les droits de l’homme, une horrible invention, sauf pour les « autochtones »…
Oui, oui, c’est le même Frédéric qui nous parlait tout à l’heure d' »instrumentalisation des droits de l’homme ». La contradiction n’a pas l’air de le gêner.
Charte de l’ONU à l’appui.
Décidément très pratique cette ONU quand on a besoin d’argumenter…
6) La division géographique des « sous-espèces humaines »
Bruno m’explique la vie. Sacré Bruno.
Mais oui, puisque tu le dis, Thomas. Et en fait, ça change quoi ?
Donc ça.
7) Peuple et nationalité
Continue Thomas, ça m’intéresse.
Début de définition du « peuple ».
Les masques tombent.
La génétique, composante du « peuple ».
On passe à la définition de la nationalité.
De la pertinence du propos. Merci Bruno.
Le smiley en ponctuation. De l’art des petits détails qui font la différence.
8) L’irréductible différence avec les Arabes et les Musulmans
Selon Jack, « les Chrétiens apprennent à leurs enfants à aimer leurs ennemis alors que les Musulmans apprennent à leurs enfants à tuer vos enfants ».
Jack est convaincu que mon nom est en réalité Mohamed, car « j’ai seulement à traiter avec les gens qui essayent de m’emmerder, comme ces enculés d’Arabes ».
Deuxième hypothèse de Jack : je suis un Arabe d’Israël.
9) Les raisons de ne pas accueillir les réfugiés (syriens)
« Nous savons tous pourquoi. »
10) Ni haine ni racisme, « juste de la post-hospitalité » et de « l’écoeurement »
Aucune haine. Mais ce sont des « parasites ».
« Sans haine, pas d’amour. Sans amour, pas de haine ».
11) Le refus (ou la peur) du changement, de la différence et du métissage
Oui oui, il a bien cité Aimé Césaire…
« La mort de toutes civilisations ». Ou plutôt la liberté de choisir son identité.
Tellement « incapable de savoir où je vais » que j’ai décidé à 100% de mon itinéraire, avec toute la détermination que me connaissent mes proches. Pas l’ombre d’un déracinement, et au contraire j’ai choisi mes déplacements. Mais ça, Bruno est incapable de le concevoir.
Une « plante en pot » ? Lol.
Qui peut servir le Grand Patronat, oui. C’est pourquoi j’ai répondu à Bruno qu’il fallait tordre le cou au capitalisme et non aux migrants.
12) Les invectives et la paranoïa
13) Le débat sur ma couleur de peau et mes gènes, accompagné (sans grande surprise) de dérapages racistes
De l’art d’embêter un identitaire. Dis lui que tu voudrais être Noir quand t’es Blanc. Juste pour le gêner. Ca marche très bien.
N.B. : Cet article a d’abord été publié sur mon blog personnel il y a quelques semaines.