Trudeau : entre renouveau politique et orthodoxie économique

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L’élection de Justin Trudeau : une bouffée d’air pour les mouvements sociaux canadiens ?

Les dernières élections qui ont porté au pouvoir le jeune Justin Trudeau ont été reçues avec soulagement par la société civile canadienne. L’arrivée au pouvoir d’une majorité à tendance libérale  suscite en effet des attentes à gauche et représente une bouffé d’air pour les mouvements sociaux1. Droits des LGBTIQ, accueil des réfugiés, légalisation du cannabis, reconnaissance de la menace du changement climatique, lancement d’enquêtes sur l’assassinat de femmes autochtones,etc. Le nouveau gouvernement multiplie les gestes en direction de la société civile. Une nouvelle période politique semble bien s’ouvrir au canada.

Néanmoins l’orientation économique prise par le gouvernement est on ne peut plus traditionnelle et ne semble pas marquer de réelles ruptures avec la politique de Stephen Harper (l’ancien premier ministre du parti conservateur durant 14 ans).

Austérité et destruction de l’environnement : vers un nouveau printemps érable ?

Au Québec, trois ans après le printemps d’érable, de nouvelles vagues de contestations étudiantes ont éclaté pour protester conte la poursuite les politiques d’austérité et les saccages environnementaux2. La page de la rigueur budgétaire est loin d’être tournée au Canada. La coalition main rouge, dont Attac Québec est membre, a d’ailleurs organisé une semaine nationale d’actions contre les mesures d’austérité afin de mettre la pression sur le gouvernement Couillard qui a présenté son budget le 17 mars3.

Concernant les questions environnementales, le défi est immense. Il sera difficile pour la nouvelle majorité de sortir du cadre historique du capitalisme canadien qui repose en grande partie sur l’exploitation des ressources minières et des énergies fossiles4. Les discours favorables à la lutte contre le contre réchauffement climatique ne suffiront à lancer une véritable transition énergétique. La gouvernement Trudeau devoir très vite se confronter à la question des sables bitumineux, des gaz de schistes et plus généralement à la question de l’extractivisme (« toutes les formes et les moyens d’appropriation de la Nature et du travail par des entreprises, sans payer le prix des ressources extraites, ni celui de ses conséquences : déchets, pollutions, réchauffement, pertes de territoires, destructions du biotope »5). Cela ne fera pas sans passer par un bras de fer avec les multinationales dont les pouvoirs ne cessent de s’accroître dans le cadre de la libéralisation du commerce.

CETA, libre échange et climat…

Il faut d’ailleurs noter la contradiction entre les discours favorables à la lutte contre le réchauffement climatique et le très fort soutien apporté par Justin Trudeau au CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement : accord de libre échange bilatéral entre l’UE et le Canada). De fait, l’accroissement du commerce international n’est pas compatible avec la transition écologique dans la mesure où il entraine de fait une hausse des émissions de gaz à effet de serre via la hausse du transport de fret.

Par ailleurs, les règles internationales qui régissent le commerce et l’investissement s’accordent très mal avec la transition écologique et la démocratie. Par exemple, le très controversé « mécanisme de règlement des différents Investisseur-État » (ISDS) prévu par le CETA représente une véritable menace pour l’environnement : ce mécanisme octroie aux entreprises le droit d’intenter des poursuites contre un État désireux d’instaurer une politique climatique durable si l’entreprise estime que cette politique porterait atteinte à ses intérêts ou à ses profits. La plainte déposé par la société TransCanada contre l’Etat fédéral américain en est la parfaite illustration. La firme en question a en effet porté en justice l’affaire après que le président Obama est annoncé l’abandon de la construction de l’oléoduc Keystone XL, prétextant que cette décision portait atteinte à ses intérêts et était contraire au règlement prévu dans les accords de libre échange.

 

Extractivisme et politique fiscale

La sortie de l’extractivisme ne se fera pas non plus sans revoir la législation qui fait du Canada un paradis judiciaire extrêmement favorable aux compagnies minières. Le système actuel offre de nombreux avantages aux multinationales et entoure leurs activités du plus grand secret ce qui incite les entreprises à déplacer leurs profits dans des paradis fiscaux.

Les questions de l’évasion fiscale ne touchent pas seulement les activités liées à l’extractivisme. La fraude fiscale est pratiquée par de nombreuses entreprises implantées au Canada. La plateforme québecquoise « Echec aux paradis fiscaux6 », se mobilise depuis de nombreuses années pour lutter contre cette pratique qui représente un manque à gagner de 80 milliards de dollars par an pour l’Etat canadien. Si cette lutte suscitait jusqu’ici un faible intérêt, il semblerait que le contexte d’austérité et d’accroissement des inégalités mais aussi les récents scandales de fraude fiscale rendent désormais cette pratique particulièrement inacceptable. Le lancement d’une campagne de « faucheurs de chaises7 » à Montréal pourrait contribuer à sensibiliser les citoyens canadiens à cette problématique.

L’extractivisme recouvre une autre réalité : celle de l’expropriation des terres des peuples autochtones au profit des grandes compagnies. Depuis des décennies, les communautés locales indigènes sont en effet les premières victimes des politiques extractivistes. Elles sont aujourd’hui aussi les premières à lutter contre « la fracturation hydraulique (pour l’extraction du gaz de schiste), contre les coupes abusives dans les forêts et contre l’exploitation des sables bitumineux »8.

Premier Forum social mondial dans un pays du « nord »

C’est dans ce contexte qu’aura lieu la prochaine édition du FSM (Forum social mondial) à Montréal. C’est la première fois qu’un Forum social mondial se tiendra dans un pays du nord. Une erreur pour certains… Il va être en effet difficile pour les populations du Sud d’obtenir des visas et les fonds nécessaires pour venir jusqu’au Canada.

Le premier Forum Social Mondial qui a eu lieu à Porto-Alegre (Brésil) en 2001 est né de la volonté de créer une sorte de « contre sommet » de Davos (Forum économique mondial qui rassemble chaque année les multinationale et des plus grosses fortunes de la planète). Le Forum social mondial réunit toutes organisations et mouvements sensibles à la cause altermondialiste souhaitant promouvoir des alternatives à l’hégémonie néo-libérale caractérisant la mondialisation actuelle. Les Forums sociaux mondiaux doivent permettre la convergence des luttes. Mais les Forum sociaux mondiaux visent davantage à élaborer des réponses idéologiques à la crise actuelle et à les diffuser qu’à construire un programme politique.

Depuis des années, la dynamique FSM est décrit comme étant à bout de souffle. Il faut dire qu’un tel événement a ses limites. La volonté que chacun puisse s’exprimer sans hiérarchie entre points de vue et l’absence de document de synthèse au terme de chaque forum restreint les débouchés politiques du FSM.

Le forum social mondial est aussi parfois critiqué dans le sens où il serait un rassemblement d’intellectuels au sein un sommet international trop souvent déconnectés des problématiques liées au territoire et souvent coupés des mouvements sociaux de base.

Néanmoins, les forums sociaux mondiaux restent des moments cruciaux pour les mouvements sociaux dans leur ensemble. Les temps échanges organisés durant l’évènement permettent de renforcer les réseaux altermondialistes et distille de nouvelles dynamiques.

Le comité organisateur du forum social 2016 qui est composé d’une équipe jeune et dynamique fait face à un énorme défi. Néanmoins, le bouillonnement social et le terreau de luttes enracinées au Québec ont un réel potentiel d’apport au processus du FSM et de manière plus globale aux luttes mondiales pour la justice sociale et environnementale.

 


 

1 http://ici.radio-canada.ca/sujet/elections-canada-2015/2015/10/20/030-plc-victoire-cpq-fcei-csn-environnement.shtml

3http://nonauxhausses.org/category/actions/

4http://www.pressegauche.org/spip.php?page=imprimer&id_article=25032

5 http://www.contretemps.eu/interventions/lempire-extractiviste-vols-dette-ill%C3%A9gitime-r%C3%A9chauffement-climatique

6 http://www.echecparadisfiscaux.ca/

7 https://france.attac.org/se-mobiliser/toutes-et-tous-faucheurs-de-chaises/