Je vous partage ici, ce que j’ai pu écrire avant de partir pour mieux appréhender la notion de justice sociale et climatique et les luttes qui la revendiquent quand elles se déclinent à travers les échelles internationale ou régionale-maghrébine, et plus particulièrement quand on souhaite contribuer à défendre une telle justice en Tunisie. Enfin, c’était aussi pour essayer de mieux m’approprier l’histoire et les solidarités actuelles que tissent entre militants le partenariat  AITEC-FTDES et dans lequel mon volontariat s’inscrit.

« Inégalités et climat : Mêmes causes, Mêmes combats ! »

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La nécessité d’une justice sociale et climatique se fonde sur les liens qu’entretiennent des préjudices subis par les hommes et la planète. Cette justice appréhende ainsi la corrélation (mais on pourrait aussi parler d’imbrication complexe) entre les causes et les conséquences de l’aggravation des inégalités et des atteintes portées au climat. Elle repose notamment sur le postulat selon lequel, le changement climatique affecte et affectera toujours davantage la situation des personnes les plus vulnérables.

De manière générale, les revendications en faveur d’une justice sociale et climatique témoignent de l’urgence de reconnaître et de défendre le droit à un développement équitable et écologiquement durable. Dans ce sens, la convergence des luttes et le renforcement des mouvements de solidarité internationale que ces revendications poursuivent, s’inscrivent dans une profonde remise en question de nos modèles politiques et économiques actuels. Ces mobilisations dénoncent ainsi les défaillances d’un système néolibéral qui ni ne garantit une répartition juste des richesses entre et dans les pays, ni ne parvient à protéger le climat et notre environnement. Le rapport de force entre d’un coté les Etats et le secteur privé et de l’autre les sociétés civiles apparaît en cela souvent évident.

« La folie des COP »

« La folie des COP » est le titre du chapitre écrit par Pablo Solon que l’on peut retrouver dans « Crime climatique, STOP ! L’appel de la société civile » publié à la veille de la COP21 à Paris, et sur lequel cet article s’est appuyé.

C’est en cela que les COPs (Conference Of Parties) relatives à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) offrent des rendez-vous annuels multi-acteurs essentiels, stratégiques donc à plusieurs égards. Adoptée à l’occasion du Sommet de la Terre à Rio en 1992, la CCNUCC constitue un cadre évolutif des engagements des Etats qui coopèrent pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Seulement les COPs s’enchainent depuis maintenant plus de vingt ans mais n’ont pas réussi à empêcher le climat de se dérégler. Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’ont été ni suffisants ni même atteints. Le volontarisme des Etats et l’efficacité des dispositifs de coopération (notamment ceux du Protocole de Kyoto) ne parviennent plus vraiment à convaincre, les « fausses solutions » ne remédiant pas aux causes structurelles des problèmes.

Si les différences de temporalité jouent effectivement un rôle dans l’inadéquation des politiques aux enjeux du climat, les logiques du pouvoir ne sont pas les seules à entraver les engagements. Les logiques de profit freinent également la transition de nos modèles de production et de consommation. Finançant les COPs, les multinationales s’y invitent alors pour veiller en coulisse à ce que les accords ne contraignent pas leurs activités d’investissement et de commerce. Les logiques extractivistes de ces dernières sont pourtant aujourd’hui responsables des bouleversements climatiques et constituent même des facteurs aggravant de leurs effets sur les populations et leur environnement.

La 22ème COP met le cap au Maghreb

Cette année, la COP 22 doit venir préciser les moyens d’opérationnaliser les engagements  de l’Accord de Paris adopté lors de la COP 21 en décembre dernier. Fondée sur le principe la responsabilité commune mais différenciée, la CCNUCC doit permettre en théorie d’organiser et répartir les efforts en fonction des capacités économiques et technologiques des Etats.

La COP 22 qui se tiendra à Marrakech en novembre 2016, se présente ainsi comme une opportunité pour les sociétés africaines et notamment maghrébines de mettre en lumière leur extrême vulnérabilité face aux changements climatiques, auxquels d’ailleurs elles n’ont que très faiblement contribué. La mobilisation de ces sociétés parait donc essentielle pour défendre une justice sociale et climatique contre l’inertie des Etats et la mainmise des multinationales sur l’avenir du climat. On peut très bien imaginer d’ailleurs, que leur présence (et visibilité) sur place sera davantage possible qu’elle n’a pu l’être à Paris en décembre dernier (quand politique de visa restrictive et état d’urgence s’y sont mêlés).

« L’Etat d’injustice en Tunisie »*

Dans ce contexte et sous le prisme des enjeux du climat, la COP 22 peut représenter pour la Tunisie un levier de mobilisation supplémentaire dans la promotion des droits environnementaux, en l’occurrence particulièrement menacés par les effets du changement climatique.

Livre

* Référence au titre de l’ouvrage « L’Etat d’injustice au Maghreb. Maroc et Tunisie » d’I. Bono, B. Hibou, H. Meddeb et M.Tozy. Cette partie de mon article n’entend pas refléter les travaux des auteurs de ce livre, mais invite à sa lecture !

Au lendemain de la révolution et de la chute de la dictature de Ben Ali en 2011, la transition démocratique dans le pays est un processus continu, oscillant toujours aujourd’hui entre espoirs et désillusions. Depuis les premières élections libres, l’instabilité politique trouble le rythme des réformes attendues par la société tunisienne, qui sous la menace terroriste semble assister de plus en plus à une certaine régression autoritaire. Si les enjeux environnementaux ne figurent pas parmi les priorités du gouvernement et de la société tunisienne, ils font pourtant dépendre nombre de problématiques. Fortement imbriquées dans les revendications démocratiques, sociales et économiques, les questions écologiques/climatiques connaissent depuis longtemps l’enjeu des disparités territoriales ainsi que celui d’une gouvernance très centralisée. Sur fond de restriction budgétaire, le processus de décentralisation aujourd’hui pourrait bien annoncer une recomposition des modes de gestion des services publics (de l’eau, de l’énergie, des transports, déchets etc.). Ainsi, les considérations environnementales ont vocation à traverser les attentes citoyennes en matière d’égalité d’accès et de qualité de ces services publics, et de façon générale en matière d’information et de participation aux politiques publiques. Dans ce sens, on pense aussi aux liens évidents qu’entretiennent la situation sociale et sanitaire d’une population et la gestion de l’environnement sur son territoire. Enfin, et en lien avec la crise de l’emploi en Tunisie, l’avenir du développement économique pose non seulement la question de la redistribution des bénéfices, mais également celle des limites de la durabilité environnementale des secteurs industriel, agricole, ou touristique.

Bien que certaines luttes environnementales/climatiques existent dans le pays, elles semblent aujourd’hui très localisées et traitent par conséquent de problématiques spécifiques aux enjeux des différents territoires. Dans le cadre de la COP 21, les tunisiens se sont rassemblés dans quelques villes pour répondre à l’appel lancé par la Coalition Climat 21. Sous les auspices de la lutte contre le changement climatique, ces manifestations ont révélé les signes d’une mobilisation autour de ces enjeux. La COP 22 représente ainsi un moyen pour la société tunisienne (comme pour les autres d’ailleurs), de favoriser une appropriation plus transversale des enjeux environnementaux et une approche plus systémique de son développement. D’un point de vue organisationnel, la perspective de cet évènement international pourrait dans ce sens, encourager une certaine convergence de luttes. Développer du sens commun à travers la défense d’une justice sociale et climatique en Tunisie doit permettre de se rassembler sur une diversité de revendications qu’exprime la société aujourd’hui envers ses pouvoirs publics et le secteur privé.

 

L’AITEC, le FTDES, leur partenariat et le volontariat dans tout ça

 

L’Association Internationale des Techniciens, des Experts et Chercheurs (AITEC) a été crée en 1983, dans une période où en France les formes d’engagement politique s’inscrivaient fortement dans les contextes professionnels des militants. En mettant l’expertise au service des luttes citoyennes, l’AITEC vise à renforcer l’engagement militant des professionnels en les amenant à appuyer les mouvements sociaux et à élaborer une expertise conjointe.  Si la question de la dette publique a été la première à être posée au sein de l’AITEC, ses thématiques ont évolué au gré des enjeux auxquels sont confrontés les mouvements sociaux pour aujourd’hui se concentrer principalement sur : la régulation du commerce et de l’investissement, le droit au logement et à la ville, et enfin la justice écologique qui sous-tendent notamment les alternatives à l’extractivisme.

Inscrite historiquement dans les réflexions et le fonctionnement du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (CEDETIM), l’AITEC œuvre ainsi à la construction d’un mouvement mondial de résistances et de solidarité, notamment aujourd’hui via le réseau Initiatives Pour un Autre Monde (IPAM). Composé d’associations de solidarité internationales en France (dont le CEDETIM), le réseau IPAM développe depuis les années 2000 des mouvements de convergence des luttes sur la base de partenariats, une forme de coopération revendiqué pour son horizontalité dans la défense transfrontière des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux des populations. A titre d’exemple, l’AITEC fut récemment mobilisée dans le cadre de la Coalition Climat 21 lors de la COP 21, et contribue actuellement aux campagnes anti CETA et TAFTA.

Le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES) a été crée au lendemain de la révolution du Jasmin en 2011, consécration d’un militantisme resté clandestin et opprimé avant la chute de Ben Ali.

Inscrit dans un processus national de transition démocratique, Le FTDES incarne une de ces nouvelles arènes où les citoyens peuvent s’exprimer, s’informer et apporter leurs réponses aux revendications qui ont animé leur soulèvement. Son siège est à Tunis, mais plusieurs antennes locales se sont installées dans différentes villes du pays. Le FTDES vient ainsi relayer de manière générale les causes portées par les mouvements sociaux en matière de droits économiques et sociaux, en matière de migrations et des réfugiés, et de plus en plus en matière justice environnementale et climatique. L’association organise  des rencontres/réunions afin de débattre et de sensibiliser, et mène également des actions de plaidoyer. Elle est par ailleurs très impliquée dans une coordination des mouvements sociaux du Maghreb, comme en témoigne sa participation active dans l’organisation des Forums sociaux maghrébins.

 

 

Les liens entre le FTDES et l’AITEC sont plus anciens que l’histoire de ces deux organisations. Avant leur création respective, militants tunisiens et français s’engagent ensemble, notamment par l’intermédiaire du CEDETIM, pour défendre les droits et libertés des tunisiens vivants en Tunisie et en France. C’est donc par les liens entre ces militants et dans le partage des mêmes valeurs de solidarité internationale, que le partenariat se formalise « naturellement » entre le réseau IPAM et le FTDES au lendemain de la création en 2011. Au sein d’IPAM, le FTDES et l’AITEC entretiennent des liens particulièrement étroits au regard de leurs luttes communes qu’elles mènent ensemble régulièrement pour dénoncer les accords de libre-échange et l’extractivisme, mais également ponctuellement à l’occasion de grands évènement tels que les deux réunions du Forum Social Mondial en 2013 et 2015 à Tunis et la COP 21 à Paris.  Dans la perspective de la COP 22, leurs liens de partenariats s’inscrivent donc dans la continuité au regard de leurs thématiques communes et de leur volonté à renforcer la convergence des mouvements sociaux pour la défense d’une justice sociale et climatique.

 

Plusieurs volontaires ont été accueillis par le FTDES dans le cadre de ce partenariat avant moi. En l’occurrence, je suis la seconde volontaire à venir contribuer aux réflexions et actions communes pour promouvoir une justice sociale et climatique en Tunisie. Les travaux de Diane dans le cadre de la COP 21, m’ont permis avant mon arrivée en Tunisie de mieux appréhender l’ampleur des souffrances et des désastres écologiques que le pays connait aujourd’hui.

De manière générale, le cadre et les enjeux de cette mission vont dans le sens que je souhaitais donner à un volontariat, a savoir, un engagement à la fois personnel et professionnel qu’implique particulièrement une mission au sein d’une association militante, ainsi que le renforcement des liens de solidarité en Méditerranée. Enfin, et au-delà d’un certain idéal du volontariat, me mobiliser sur des injustices qui existent en Tunisie, au quotidien et au plus près de la société civile, est une expérience attendue, pour notamment mieux en témoigner au delà de ses frontières. C’est en tout cas ce que j’essayerais de commencer et de faire au mieux dans mes prochains articles.