Dès le début du mois de Janvier, le président de la société portuaire Calais-Boulogne, M. Puissesseau affirme vouloir un « no man’s land » pour des raisons de sécurité : l’installation des tentes le long du grillage qui encadre la rocade portuaire, favorise  «  les opération de caillassages de bus, camions et voiture» (ici). Il réclame une zone vierge, avec « ni habitations, ni arbres, ni buissons ». Encore une fois à Calais, la nature sera défigurée.

Il est très vite soutenue par la maire de Calais, Natacha Bouchart, qui, pour ses vœux de la nouvelle année, réclame « la réduction du périmètre de la Lande( appellation par les autorités du bidonville). Les équipements à caractère strictement humanitaire sont les seuls ayant vocation à être tolérés » . C’est équipements « humanitaires » sont l’accueil des 450 femmes et enfants au sein de l’accueil de jour Jules Ferry, et les 1500 places du camp de containers, opérationnel depuis le début du mois.  Le reste est, pour le maire, « la partie anarchique de la Lande » et à vocation à disparaître.

Aucunes date officielle n’est encore annoncée.

Le lundi 11 janvier la préfecture se déplace au sein du bidonville d’Etat de Calais, plus connu sous le nom de « Jungle », pour prévenir les habitants d’une certaine zone, qu’ils doivent partir d’ici trois jours, sinon se seront les buldozers qui viendront faire leurs « déménagement ». Ils dessinent à certains endroits, des croix rouges : la délimitation de cette bande 100 mètres, la zone à évacuer.

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Dans un article de ce jour, la préfecture annonce : « Les constructions précaires de migrants présentes à moins de 100 mètres de la rocade portuaire de la « Jungle » de Calais devront être déplacées d’ici la fin de la semaine ».
A Calais, le métronome politique oscille toujours entre « les enjeux sécuritaires et humanitaires »… Les agents de police reviennent le lendemain. Font pression. Certaines associations, dont la Vie Active, qui gère le centre Jules Ferry et le camp de containers, assurent le même discours mais d’un ton plus « humanitaire ». Des bénévoles et associations, par peur d’une expulsion violente, proposent leur aide aux habitant qui souhaitent déménager.

 

Photos (c) Jungleye, Mohammed Assan Kunboos.

En « échange » de cette expulsion silencieuse, les autorités vantent leurs nouveaux dispositifs : le camp de containers, officiellement appelé « Centre Accueil Provisoire » et les Centres d’Accueil et d’Orientation, présentés comme solutions, car permettant des conditions d’accueil « dignes ».

Pendant ces trois jours, on voit alors des « maisons » se déplacer à travers le camp.

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Photo (c) Jungleye, Baraa Halabieh

Certains s’y opposent pourtant. Tentent de faire entendre leurs voix. Lors d’un des conseils de réfugiés qui ont lieu tous les mercredis au Kabul Café ( un des café sur le bidonville), le HCR est là. Ce mercredi, dans ce café rempli de monde, et dans une chaleur étouffante, il écoute et « répond » aux interrogations des exilé.e.s . Ce jour-là, les demandes de réponses concernent les expulsions, leurs raisons, leur légalité, les solutions proposées, et surtout son objectif final : détruite toute la « jungle »? Le HCR répond sans cesse «  Nous ne savons pas pourquoi la mairie fait ça, nous ne savons pas ce qu’il va se passer. Nous allons nous renseigner. Pour l’instant, nous ne pouvons rien faire ». Après de nombreuses questions diverses et alors que la réunion touche à sa fin ( le HCR doit partir…) un exilé syrien prend la parole pour dire : « Si vous ne pouvez rien faire pour nous, ne nous faites pas de mal ». Il répètera cette phrase trois fois. La phrase de clôture. Le point final forcé de cette « rencontre ».

Un communiqué à même été rédigé par certains exilés.

We, the united people of the jungle of Calais, decline the demands of the french government with regards to reducing the size of the jungle. We have decided to remain where we are and will peacefully resist the governments plans to destroy our homes. We plead with the French authories and the international communities that you understand our situation and respect our fundamental human rights.

De leurs côtés, certaines associations s’interrogent : quelle est la légalité de cette menace d’expulsion ? L’arrêté préfectoral pris le 1er décembre qui interdit la circulation piétonne le long de la rocade portuaire? ( consultable ici)

Officiellement, Mme Buccio ( la préfète) crie à « à la fois la sécurité des migrants, des riverains et des utilisateurs de la rocade », (ici) Incompréhension. L’emprise de la rocade dont parle cet arrêté correspond-elle à une bande de 100 mètres ? Sinon d’où vient cette distance ? Christian Salomé, président de l’association l’Auberge des Migrants dira « 100 mètres, c’est la distance qui permet aux CRS de lancer des bombes lacrymogènes sans risquer de recevoir des cailloux »(carte consultable ici)

Finalement, la préfecture annonce que si l’évacuation se fait dans le calme et volontairement le délai des trois jours sera prolongé. Une récompense !

«Nous avons commencé à informer les migrants. Il faut attendre pour voir si un mouvement se met en place. S’il faut quelques jours supplémentaires pour permettre aux migrants de se déplacer, ça ne causera pas de souci. Il faut que les choses bougent d’ici la fin de cette semaine et si un mouvement s’enclenche, on laissera quelques jours de plus pour leur faciliter le déménagement », a affirmé la préfecture du Pas-de-Calais».

A la fin de la semaine, les buldozers ne sont pas là. Les cabanes non plus. Les tentes sont vides. La peur et la menace de la violence qui se dit légitime, ont donc fonctionné.

Au début de la semaine suivante, alors que la deadline du 14 janvier puis du 18 janvier, imposées par l’Etat sont passées, sur cette zone des 100 mètres, il ne reste que la végétation et des résidus de vie : tentes déchirées, vêtements, détritus.

Finalement, quelques jours plus tard, les buldozers sont là. Le terrain est défraichit, applani.

Et puis, quelques jours plus tard, le 22 janvier, on entend une nouvelle rumeur qui court sur le camp. Des restaurateurs et tenanciers de « shops » qui se situent à « l’entrée » du bidonville, pourtant eux aussi marqués par une croix rouge, mais jusque là épargnés, ont reçus la visite de policiers : eux aussi doivent quitter les lieux.

Et puis, le même jour, un arrêté préfectoral d’expulsion en date du 19 janvier est affiché, au Kabul Café !

Quelques jours plus tard, les buldozers font leur œuvre.

Désormais, pour entrer dans le camp, il faut passer sous le pont de la rocade pour arriver à grand terrain vague de terrain applani. Et au bout de cette bande de 100mètres, la « no go zone », comme l’appelle les exilé.e.s; ils ont construit des murs de terres. Le terrain étant marécageux, et la pluie légendaire du nord faisant, cela ressemble à des douves. Parfois investies par les jeunes qui jouent au criket, sous l’oeil attentif des CRS.

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Bidonville de Calais, avant l’expulsion et la destruction de la bande des 100mètres, au pied de la Rocade portuaire,

Photos (C) Jungleye, Mohammad Assan Kunboos.

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Bidonville de Calais, APRES : bande des 100 mètres ( « No go zone »)au pied de la rocade portuaire et à »l’entrée » du bidonville.

Et puis, vendredi 12 Février, la préfecture convoque les associations pour leur annoncer la nouvelle : « le temps est venu de passer à l’étape 2« . C’est désormais la zone sud du bidonville qui doit disparaître. Il s’agit de poursuivre ce qui avait été annoncé: « réduire à 2000 le nombre d’exilés présents sur la lande« . Et puis, surtout parce que « on ne peut pas laisser cohabiter un camp organisé ( containers, Tentes bleues et Jules Ferry) et un camp précaire ». Ce sont donc bien le manque de contrôle sur cet espace de vies, et une certaine auto-détermination et organisation qui se met petit à petit en place, qui dérangent.

Mais surtout, on comprend enfin le mode de fonctionnement de la préfecture : encore une fois, l’Etat donne un délais de « départ volontaire » aux habitants ( une semaine cette fois-ci), use de la peur et de la menace pour faire pression. Si cela ne fonctionne pas, l’Etat emprunte les voies légales : la préfète utilisera un arrêté préfectoral qui légitimera enfin son discours de peur et sa violence.

C’est donc l’annonce, cette fois de façon claire et nette, de la destruction totale du bidonville, excepté les infrastructures  » humanitaires » (et donc sécures) mise en place par l’Etat, d’ici environ trois semaines.

zone sud jungle

Carte du Bidonville, Voix du Nord, le 13/02/16.