C’est avec e-joussour que nous avons entrepris un départ dans le Sud pour un périple d’une semaine. Au programme, rencontre de partenaires locaux avec lesquels le portail de la société civile Maghreb/Machrek travaille  dans le cadre du projet « Aswatona« , Forum International des Oasis et du Développement Local à Zagora, prise de vue et repérage pour un documentaire que nous avons pour projet de tourner sur les conséquences de l’avancée du front de désertification sur les Oasis et en particulier sur un village déserté de quasiment toute sa population: Ksar Bounou.

Nous prenons la route lundi; direction Marrakech, Ouarzazate, Zagora puis M’Hamid El Ghizlaine.

 

Carte Maroc

 

Si le Forum des Oasis et du Développement Local ne constitua en fait qu’une petite étape dans notre voyage tant son ouverture, par exemple, ne fût, en réalité, souvent qu’une succession de discours consensuels et la parole quasiment monopolisée par des acteurs institutionnels ou industriels (Managem, groupe d’extraction minière, était l’un des sponsors du Forum). La vraie richesse de ce voyage résida pour moi dans les rencontres que nous avons eu la chance de faire et des discussions passionnantes que j’ai eu la chance d’avoir.

 


 

Dans le cadre du documentaire que nous avons pour projet de faire, nous voulions mettre en lumière les conséquences dramatiques de la désertification principalement au sud du Maroc sur les populations rurales des zones oasiennes.

Le postulat de départ est que l’avancée du sable et les difficultés éprouvées par les populations rurales de ces régions-là sont principalement causée par le déficit hydrique structurel qui caractérise le climat de cette région ainsi que par l’une des conséquences des changements climatiques qui est que ce déficit s’aggrave et que les années de sécheresse sont à la fois plus fréquentes et plus violentes en intensité.

Moins de précipitations, c’est une agriculture pluviale en grande difficulté, une fragilité du couvert végétal qui se dégrade, vent qui rencontre de moins en moins d’obstacles et qui agite et soulève des particules de sol très volatiles, l’érosion devient dramatiquement importante au point que le sable gagne du terrain sur la terre.

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Au détour d’un déjeuner chez des amis, mon chemin croise celui d’Idir.

Un homme grand, la poignée de main franche et la peau rugueuse, un sourire à vous fendre le coeur et des yeux malicieux, Idir est originaire de Sidi Bounou. Ce village, aujourd’hui, vit principalement de l’étape qu’y font certains aventuriers avant de passer de quelques jours à quelques semaines dans le désert. C’est ici que l’on fait escale avant le départ pour la mer de sable. Caravaniers, loueurs de 4×4, de dromadaires, guides, propriétaires de bivouaques font la rencontre de leurs futurs clients.

Idir travaille dans l’une de ces auberges. Les propriétaires forment un bel et improbable duo. Lui doit avoir 35 ans, marié, père de deux petites filles, pieux depuis peu. Elle, d’une grande beauté, doit approcher les 70 ans, fragile, sereine et poétique, elle ne parle qu’anglais. Elle a eu plusieurs vies. Celle-là, « elle ne l’a pas choisi » me dit-elle. Si elle avait trouvé un autre endroit. Un endroit où elle se sentait mieux, elle y serait allée. Mais ce n’est pas le cas. Peut-être la Crète. Mais ça a tellement changé. Avant, c’était quelque chose la Crète…

Idir travaille dur. Il fait un petit peu tout, ou presque. Il habite à 6km de là avec sa femme, sa fille et son fils. Il a une petite mobylette avec laquelle il se déplace.

Et nous commençons à parler. De l’oasis, de la région, de sa vie et de ce qu’il a vu changer ici.

Il a une formation de technicien agricole spécialisé en écosystèmes méditerranéens et tropicaux. Après 3 ans d’étude dans une école marocaine de technicien agricole, il a suivi à distance une spécialisation offert par une école française. Nous parlons des difficultés qu’il a connu et de la rigueur qu’il lui a fallu pour suivre ce cursus à distance en parallèle des emplois qu’il occupait pour gagner sa vie.

Il me parle alors d’avant. Lorsqu’il était petit, les habitants de la région avaient tous un troupeau de moutons, la semi-transhumance était pratiquée avec une partie de la famille qui était pasteur et traversait de grandes distances à travers le désert pour trouver les pâturages nécessaires à nourrir les animaux. L’autre restait à l’oasis et pratiquait une agriculture vivrière constituée de céréales (blé tendre et dur, orge et luzerne) ainsi que d’un petit peu de maraichage.

Je le questionne alors sur les difficultés qui sont apparues. En fait, elles ont toujours existé. L’oasis n’est pas facile à vivre et le climat est hostile. Mais une chose qui perdurait et dont la vitalité ne faiblissait pas, c’était la santé des palmiers-dattiers. Leurs racines s’enfonçant dans le sol jusqu’à 18 mètres de profondeur, ils étaient capable de puiser dans les nappes les plus superficielles l’eau dont l’arbre a besoin.

Et alors, pourquoi l’oasis aujourd’hui est-elle ensablée? Les palmiers étêtés? Les agriculteurs partis ou en faillite?

 

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Idir me parle alors de l’année 1971. Cette année est celle qui a vu la construction du barrage El Mansour Eddahbi aux environs de Ourzazate, sur l’oued Drâa, en amont de M’Hamid El Ghizlaine. Si ce projet avait pour but d’améliorer l’irrigation de la vallée du Drâa, les conséquences ont en fait rapidement été catastrophiques dès 1975 qui marque le début d’une période particulièrement sèche au Maroc qui connaitra son apogée durant la décennie des années 1980.

Si avant l’édiction de ce barrage, l’alimentation des nappes de la région de M’Hamid ainsi que le débit du Drâa étaient assuré par les précipitations sur la région même ainsi que sur les régions situées en amont de l’oued, après qu’il soit mis en place, ce n’est plus le cas. Les pluies tombant aux alentours de Ouarzazate et plus au Nord encore sont retenues par le barrage et le niveau des nappes de Sidi Bounou et des douars alentours baisse. Les palmiers commencent à se fragiliser et le sable trouve sur les terres agricoles un terrain propice à élire domicile. L’afflux touristique commence parallèlement à s’intensifier. Les habitants de la région, voyant les difficultés à subvenir à leurs besoins par le biais de l’agriculture augmenter et percevant le potentiel pécuniaire que représente les américains, européens et autres étrangers, vendent leurs troupeaux, désinvestissent les terres de parcours, stoppent les semi-transhumances. Souvent, ils se reconvertissent en guide ou partent rapidement tenter leur chance en ville.

Pour Idir, c’est le drame de la région. Le départ de la jeunesse.

 

 

Mais il en a plein des idées! Développer un miel local avec une des rares plantes qui résiste au stress hydrique dramatique qui frappe la région et qui fleurit au moment où les palmiers-dattiers sont en dormance, promouvoir les circuits courts entre les auberges et les agriculteurs locaux, refaire vivre la région, créer de vrais liens et aider les habitants de la région à reprendre conscience du potentiel de leurs terres…

 


 

 

Les obstacles sont de taille et sont nombreux. Pour n’en citer que deux: les terrains collectifs qui appartiennent aux agriculteurs des douars de la région sont mis en location par l’État marocain à de riches chasseurs venus du Golf, l’eau du barrage déjà relativement mal gérée et rare va désormais servir en priorité au refroidissement des turbines de la station thermique Noor 1 qui vient d’être inaugurée en grande pompe.

Le changement climatique, la sècheresse, le manque de pluie sont des faits indiscutables. Mais qu’en est-il des politiques publiques? Des décisions prises en suivant l’intérêt du plus offrant? De l’augmentation des inégalités d’accès aux ressources naturelles, que ce soit l’eau ou la terre dans le cas de la Vallée du Drâa?

Et si l’enjeu majeur des mobilisations à venir était de porter la voix de ces Marocains qui se battent pour rester, pour vivre dignement et pour proposer des alternatives?

 

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