*Haïti, c’est ma chance!

Un samedi matin, alors que je fais mes courses, je rencontre Y., gérant du supermarché. Syrien, il a quitté son pays depuis douze ans pour rejoindre directement Haïti. Je m’étonne, douze ans c’est tout de même long, loin de son pays. Il sourit et s’exclame: « Ayiti, se chans mwen » ! Cette affirmation me laisse pantoise. Mon esprit étriqué, conditionné se demande comment ce pays désordonné, perdu à plus de 10 000km de son propre pays et au PIB si faible peut-il bien être sa chance ?? C’est bien la première fois que j’entends un étranger ici parler d’Haïti de cette manière et cela m’émerveille. Intriguée, je cherche à comprendre.

La migration syrienne vers Haïti a commencé il y a plus d’un siècle, dans les années 1880 au cours desquelles, Syriens, Libanais, Marocains ou encore Egyptiens fuient l’empire ottoman et cherchent à rejoindre l’Amérique latine. Mais certains débarquent à Port-au-Prince avec leurs caisses de marchandises pour ne jamais la quitter. Discriminés et victimes de lois leur étant défavorables, ils persistent néanmoins sur ce territoire et cherchent à faire fructifier leur commerce. Aujourd’hui, une vingtaine de famille en Haïti évolue dans le commerce et a plus ou moins la main mise sur le secteur des supermarchés, créant un monopole qui peut s’avérer asphyxiant pour les entrepreneurs haïtiens qui voudraient à leur tour se lancer dans la branche du supermarché.

Mais voilà, c’était le salut d’Y. En 2000, peu avant ses 18 ans, Y. s’enfuit de Syrie pour échapper à l’obligation d’effectuer son service militaire. Pour aller où ? Sans hésitation, nos chers Etats occidentaux mégalomanes répondraient qu’il viendrait chez eux, grossir le rang d’étrangers présents sur leur sol…Mais non, c’est vers la République d’Haïti que son choix se porte. Laissant son pays et sa famille proche, il rejoint un oncle à Port-au-Prince, commence à travailler dans les supermarchés puis finit par devenir propriétaire et gérant de son propre supermarché. Douze après son arrivée, il peut clamer haut et fort que venir en Haïti a été la chance de sa vie.

Extrait du documentaire « Un certain bord de mer » de Mario Delatour sur l’immigration arabe en Haïti.