Je souhaite commencer cet article par un morceau qui n’a pas de lien avec ce qui va suivre, ou alors très peu. J’avais juste envie de le mettre sur ce blog. C’est du rap, et j’aime ça, ça vient des Balkans, et j’y suis. 18 minutes, seulement 1 beat, et 50 rappeurs (hommes et femmes) chantant en serbo-croato-bosnio-montenegrino…..(dans « cette langue » comme certains disent ici), profitez-bien.

Devanture d'une salle de jeu

Devanture d’une salle de jeu

 

 

 

Tout ce qui est écrit entre guillemets est une citation de qui ma été dit.

Ornementation urbaine….

Il est vrai qu’on le remarque très rapidement en arrivant à Podgorica. C’est même une des premières choses que j’ai noté après mon arrivé ici, ça, et le fait qu’il n’y ait ni Makdonalds ni Starboeuks. Oui, quand on découvre la ville et qu’on s’y balade c’est ça qui ressort de manière la plus visible. Podgorica est plutôt grise, les immeubles ont pour la plupart été construit pendant la deuxième moitié du XXeme siècle et se ressemblent beaucoup les uns aux autres, il n’y a pas de monuments. Cette ville est loin d’être désagréable, je l’aime même bien, on s’y balade agréablement, mais il est vrai qu’il n’y a rien de particulier qui attire l’œil. Enfin presque.

Quasiment chaque bloc d’immeuble, ou du moins chaque rue, comporte une boutique de paris sportifs ou un casino. Ils sont toujours très visibles, de couleurs vives, rouge sang, vert fluo, argenté. La nuit les écrans, orientés vers l’extérieur, éclairent la rue. Certains montrent les prouesses de nos sportifs préférés, d’autres nous rappellent les écrans que l’on imagine dans les salles où bossent les traders de la bourse. Des chiffres, des lignes, des trucs qui changent, j’avoue ne pas très bien comprendre l’ensemble des informations. En gros, il s’agit des matchs qui se jouent actuellement, et des cotes pour parier. Un jour, sur un de ces écrans, j’ai vu qu’on pouvait parier pour un match de Perpignan Canet en Roussillon, la ville où j’allais en vacances chez mes grands-parents. Un club du sud de la France, un club qui ne joue pas dans une ligue professionnelle, il y a des gens au Monténégro qui parient pour ces matchs?

Un passant, la nuit, devant une salle de paris sportifs.

Un passant, la nuit, devant une salle de paris sportifs.

Ces boutiques sont vraiment partout, elle nous accompagnent lors de nos balades, elles ne sont jamais loin, et c’est vrai, on les regarde, on n’y peut rien, elles attirent notre regard. Regardez ces prochaines images, c’est la place principale de la ville, un grand écran montre en permanence deux spots publicitaires. Le premier cherche à promouvoir le tourisme au Monténégro, il montre les beautés naturelles du pays. Le deuxième c’est une publicité de l’entreprise Vulcano. L’entreprise de paris sportifs et de casinos la plus importantes du Monténégro, et aussi la plus visible.

Sur la place principale du centre ville, le logo de Volcano trône. A ses cotés l'imposant écran montre un spot publicitaire pour la même compagnie.

Sur la place principale du centre ville, le logo de Volcano trône. A ses cotés l’imposant écran montre un spot publicitaire pour la même compagnie.

La très aguichante publicité, on se demande qui elle vise...et vous n'avez pas la musique qui l'accompagne.

La très aguichante publicité, on se demande qui elle vise…et vous n’avez pas la musique qui l’accompagne.

Disons le d’une jolie manière : ces compagnies de jeux d’argents ont fleuri dans de nombreuses villes du Monténégro, elles ornent les villes qui s’en trouvent ainsi parsemées. Par leur présence, elles bâtissent des constellations de couleurs vives dans les rues monténégrines! Mais cela est-il si beau ?

En 2009, l’organisation ADP-Zid, s’est chargée de la première et seule enquête sur le sujet dans le pays. Celle-ci a montrer que 70% des jeunes monténégrins jouent régulièrement ou occasionnellement. Cette même enquête signale également que 65% des gens connaissent quelqu’un de leur entourage qui a une relation problématique avec les jeux d’argents, le jeux les plus pratiqués sont les paris sportifs et la roulette. Depuis 2013, Zid propose un programme d’aide et d’assistance pour des personnes souffrant d’addiction aux jeux d’argent. La suite de cet article présente ce qu’y s’est dit pendant un entretient que j’ai eu avec Vesna, une des deux psychologues chargées du programme.

Le programme d’aide

Dès que nous avons commencé à discuter, c’est le problème de la visibilité qu’elle a souhaité souligner. « On les voit partout, ils faudrait les cacher, mettre des grillages devant les vitrines, les mettre en sous-sols ». C’est à ce moment là que je me suis rappelé à quel point je les avais remarquées à mon arrivé mais aussi comment je n’y prêtais plus attention aujourd’hui, elles étaient devenues normales, elles étaient là. Et c’est bien cela qu’elle voulait m’expliquer. « Parier est totalement normal ici, les pères emmènent leurs enfants dans ces boutiques, évidemment que ça contribue à créer des problèmes ».

Il y a quelques années, un certain Milan, qui dirigeait un centre d’aide et de conseil pour les addictions aux jeux d’argent à Belgrade contacta Igor, le directeur de ADP-Zid, et lui dit : « tu sais, j’ai beaucoup de monténégrins qui viennent me voir ici, ils faut faire quelques choses ». Belgrade est à 10 heures de trains.

C’est ainsi que ADP-Zid a mis en place ce programme. Milan est toujours en contact avec ADP-Zid, il vient une fois par mois, « il est peu comme notre superviseur » pour ce projet. Il a élaboré une « méthode douce » qu’il pratique avec son association depuis 11 ans. C’est celle-ci qu’applique ADP-Zid aujourd’hui. Avant cela, la seule aide disponible au Monténégro était l’institution publique en charge des addictions. Là-bas on est interné, la majorité des gens y sont pour consommation excessive de drogues fortes. Choisir d’y aller en tant que parieur implique beaucoup: arrêt temporaire de sa vie professionnelle, changement de l’organisation familiale, stigmatisation….La « méthode douce », c’est une aide qui te permets de continuer ta propre vie. Une alternative qui a tout son sens.

J’ai ainsi demandé des précisions sur la nature du programme. Mais il est vrai que je n’ai pas tout compris les termes techniques. Vesna m’a présenté les différentes catégories de joueurs, d’addictions, de pathologies. Ce que j’ai compris c’est que l’addiction aux jeux peut potentiellement atteindre tous les champs de la vie de la personne affectée : le domaine psychologique, biologique, familiale, affectif, économique, le travail….

Le programme consiste en des rendez-vous fréquents en tête-à-tête ainsi qu’en groupe. Un minimum d’un an est nécessaire pour être efficace. Actuellement, 15 personnes suivent le programme. Le principe premier de la méthode est « rencontre ton propre ennemi si tu veux pouvoir le vaincre ». L’idée est que la personne addict ne reconnait pas son addiction comme un problème, la pratique de jeux d’argent s’est totalement intégrée à sa vie. A titre représentatif, si nous considérons l’ensemble des personnes qui ont suivi ce programme, aucune ne s’est présentée d’elle même. Dans tous les cas, c’est la famille qui a approché ADP-Zid et non celui qui jouait.

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Il faut que ça change….

La fin de notre discussion a pointé la nécessité d’un « changement de mentalité » dans la population. Si cela reste ainsi, l’addiction aux jeux d’argent va concerner de plus en plus de personnes, « tout le monde peut devenir addict, on ne nait pas comme ça ». Les salles de paris sportifs fleurissent partout dans la ville de Podgorica. L’État ne fait rien pour changer cela, c’est pourtant lui qui aurait le pouvoir de réduire la visibilité de ces lieux, en imposant par exemple, une réglementation. L’accès à ces lieux est interdit aux mineurs, pourtant ces derniers les fréquentent beaucoup. Ici aussi, l’État ne fait rien, il n’y a aucun contrôle, aucune sanction. Le laxisme de l’État sur ce problème inquiétant n’est pas surprenant ici au Monténégro, et ne surprend personne. Des convergences économiques existent probablement entre certaines de ces entreprises et des membres de gouvernements, on se sait pas vraiment, et ceci n’est pas le sujet de ce texte. Les membres d’ADP-Zid sont conscients du manque de soutient institutionnel et n’attendent rien du gouvernement pour le moment. Pour cette raison, ils sont également clairs sur le rôle qu’il doivent alors jouer. Des campagnes de préventions ont ainsi commencé, des rencontres auprès des jeunes dans les écoles et aussi dans les clubs sportifs. Il ne s’agit pas de criminaliser les parieurs, mais il faut avertir sur une pratique qui se généralise très rapidement et qui affecte particulièrement la jeunesse.

Encore une fois, la jeunesse est première victime des violences de ce monde.