Après avoir passé plus de 10 jours intenses de mobilisations, beaucoup échanger sur nos missions respectives, sur les possibilités de travailler ensemble depuis nos terrains, mais aussi sur nos ressentis, il nous a semblé intéressant d’écrire un article à deux voix.

Noura, en mission pour l’AITEC avec le FMAS à Rabat, Maroc

Camille, en mission avec l’AITEC avec le Climate Express à Bruxelles, Belgique

 

Un accord fragile …

Sans titre

Évidemment, et l’on s’y attendait, l’accord présenté dans de nombreux médias et par le gouvernement français comme « historique » est loin d’être à la hauteur du défi climatique et il est clair que les efforts de la part des États – plus particulièrement des Pays Développés – ne sont pas suffisants. Loin de prétendre faire une analyse de cet accord, il me semble intéressant d’en soulever quelques points importants.

 

Une ambition énoncée mais aucun moyen de réalisation

Il paraît que les États se sont mis d’accord, à la demande des pays les plus vulnérables, à « [poursuivre] l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels ». C’est vrai, cela est stipulé noir sur blanc dans l’accord. Mais les contributions nationales volontaires, promesses de réduction des émissions, qu’ont rendues les États promettent un réchauffement proche des 3 degrés, et encore faudrait-il qu’elles soient respectées.

Désinvestissement des énergies fossiles et fausses solutions

On le sait, pour sauver le climat il faut changer le système, et nous en sommes bien loin ! Malgré les nombreuses études scientifiques, le lobby des organisations et la mise en garde de l’Agence Internationale à l’Énergie (AIE) que les deux tiers des énergies fossiles doivent rester dans le sol et qu’il faut investir massivement dans les énergies renouvelables, le sujet est contourné. Le terme énergie fossile n’est pas cité une seule fois dans l’accord tandis que le terme énergie renouvelable n’est utilisé qu’une seule fois, alors qu’il est indispensable d’aller dans ce sens afin de limiter le réchauffement et de nous diriger vers une transition à la fois écologique et sociale. De plus, l’accord ne ferme pas la porte aux fausses solutions (marchés de carbone, énergie nucléaire, etc.) et la place des lobbies au long de cette COP 21 était plus discrète que lors des précédentes mais d’autant plus forte.

 

L’éternel problème financier

Une promesse depuis Copenhague (2009) : réunir 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 afin de permettre aux pays en développement de lutter contre le réchauffement climatique. La question des financements est, chaque année, grande source de tension, et les pays développés ont, une fois de plus, tenté de se dédouaner. Le Fonds Vert pour le Climat est bien stipulé dans l’accord, cependant, le fait qu’il soit revu à la hausse et la nécessité d’un équilibre entre adaptation et atténuation sont deux options qui restent floues et non contraignantes. Une grande partie de la somme sera constituée d’investissements privés, qui trouveront de l’intérêt dans le financement de la réduction de GES mais beaucoup moins pour l’adaptation. Cette question va être abordée lors de la COP 22, c’est l’une des raisons pour lesquelles je suis partisane de ceux qui pensent que les mobilisations autour de la COP 22 sont importantes, même si l’agenda des mobilisations ne doit plus se concentrer seulement autour de ces sommets.

 

L’accord de Paris s’appuie sur des engagements volontaires de la part des États et ne prévoit pas de sanctions s’ils ne sont pas respectés (mais il peut devenir contraignant au niveau national). La contrainte politique, certes bien plus forte qu’auparavant, demande aux États de se pointer du doigt, ce qu’aucun n’a intérêt à faire car pour le moment car aucun État ne peut se revendiquer exemplaire! Le droit commercial prime sur le droit environnemental et climatique, cela apparaît clairement. On peut observer que les mécanismes de sanction au niveau international existent sous différentes formes : l’Organisation Mondiale Commerce a une longueur d’avance! Cet accord est fragile, mais nos combats s’appuieront en partie dessus car il va encadrer les politiques climatiques des années à venir.

 

… mais des mobilisations dynamiques et prometteuses

 

Rabat – Paris

Pleine d’excitation, de questions et d’appréhension, le 28 décembre marque le début de quinze jours de mobilisations à Paris pour la COP 21.

Étrange sensation que celle de revenir à Paris après un mois à Rabat qui me paraît avoir été trois fois plus long tant ce début de mission a été dense en rencontres, en découvertes et en émotions.

Finalement, la ville n’a pas changé bien que l’atmosphère soit légèrement électrique. En permanence, on sent la crispation des citadins. La police et l’armée sont plus présentes, plus visibles. Un soir, au théâtre, nous restons maintenus 2h après la fin de la représentation à cause de la présence d’un colis suspect dans la rue. Quelque chose dans l’air, une tension omniprésente, le rend lourd.

 

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Les mobilisations sont maintenues, enfin la plupart d’entre elles. Mais souvent, elles sont adaptées, modifiées, rafistolées pour être tolérées par cet état d’urgence qui paralyse ou, du moins tente de paralyser les revendications. L’ambiguïté n’existe plus; si avant le début de la COP, les questions fusaient quant à savoir si l’état d’urgence ne risquait pas d’être instrumentalisé pour faire taire le mouvement Justice Climatique, dès le premier jour, interpellations violentes, arrestations injustifiées, gardes à vue interminables et assignations à résidence ne laissent plus de place au doute. Ambiance.

 

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Ce que j’apprends, les sentiments nouveaux que j’appréhende lors de ces quinze jours à Paris, sont complexes et il m’est encore difficile de faire un point clair sur ce que j’en retire en tant que volontaire ou en tant que militante. Peut-être le fait de m’autoriser désormais à me nommer comme telle est-ce déjà, en soi, une des choses que j’ai acquises.

 

Bruxelles – Paris

Je devais arriver à Paris le 29 novembre avec le train du Climate Express pour participer à la Grande Marche pour le Climat. Mais le contexte fait que la marche est annulée … Beaucoup de stress et d’adaptations de derniers moments. Alors, c’est en Belgique que je serai ce 29 novembre. Comme à Paris, nous avons décidé au dernier moment de faire une chaîne humaine qui a réuni près de 4000 personnes après de vaines tentatives d’obtenir les autorisations nécessaires à une marche dans la ville de Bruxelles ou celle d’Ostende.

Je suis depuis Bruxelles ce qul se passe à Paris, avec cet État d’Urgence et les instrumentalisations dont il fait part. Des violences sur la place de la République, 26 personnes assignées à domicile le temps de la COP 21, des perquisitions notamment chez un maraîcher bio, etc. Cela annonce mal les deux semaines de mobilisations…

Je suis arrivée à Paris le 3 décembre afin de participer à l’action du 4 décembre au Grand Palais, dans le but de perturber le salon “Solutions 21”, grande mascarade ou les compagnies les plus polluantes telles qu’Engie ou Coca Cola pouvaient Greenwasher leur image! Pour tenter de contrer cette action, un contrôle au facies refoule 50% des gens … Leur consigne est apparemment de recaler les “gueules d’activistes”. Malgré l’énergie déployée par la police pour la faire échouer, l’action a eu lieu. Certes, chaque fois qu’un activiste ouvrait la bouche dans ce salon des fausses solutions, il était sortie en moins de deux par des policiers en civil très nombreux! Mais les résultats étaient là: une bonne couverture médiatique, annulation de la venue du Président, et fermeture du grand palais pour quelques heures, ce qui a permi dénoncer cette hypocrisie.

Donc oui, comme Noura, je remarque une ambiance tendue. Mais j’arrive et je plonge directement dans le bain, alors, je n’ai pas le temps de me poser trop de questions. Je ne remarque pas tellement cette présence militaire, ce qui est sûrement dû à une habitude que j’ai prise à Bruxelles de croiser des chars militaires à tous les coins de rue!

Il semble que le gouvernement ait pris un autre cap à la fin des mobilisations, après ces nombreux abus, car à la surprise de tous, les effectifs policiers seront plutôt coopératifs lors de l’action des lignes rouges du 12 décembre, et même avec la manifestation sauvage qui, du Champs de Mars, a rejoint la Tour Eiffel, ce qui n’empêche pas les forces de l’ordre d’être en sur-effectif et laisse une empreinte amère…

 


 

Face aux monstres

 

Il apparaît souvent difficile de garder espoir ou du moins de saisir quels sont les véritables leviers des mobilisations citoyennes pour des enjeux tels que celui du climat. Les situations sont d’une telle violence dans certaines régions du monde et les causes de ces dernières tellement profondément ancrées dans notre modèle de société que les adversaires semblent souvent démesurément grands.

La lutte contre l’extractivisme en est un bel exemple. De façon extrêmement superficielle et succincte, la situation est telle que : Les énergies fossiles, que l’on consomme tous considérablement de par nos modes de vie, nécessitent d’être maintenues dans le sol pour des raisons écologiques de limitation du réchauffement climatique[1]. De plus, les processus d’extraction sont extrêmement polluants (ne serait-ce que pour la pollution des nappes phréatiques et des rejets d’eaux usées contaminées à proximité des sites d’extraction par exemple). Par ailleurs, ces derniers se font dans des conditions souvent irrespectueuses des droits humains des travailleurs et impliquent un jeu diplomatique et entrainent des liens de dépendance complexes et contribuent ainsi à entretenir des tensions importantes entre certains États et certaines régions du monde, ainsi qu’à alimenter guerres et conflits. Or les entreprises et les gouvernements tirent de nombreux profits de l’extraction d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon…) et les lobbys énergétiques sont puissants et intimement liés aux pouvoirs de nombreux pays et notamment des grandes puissances.

Alors forcément face à ça, on se sent parfois bien petit.

 

Nos leviers contre leur force

 

Cependant, des batailles se gagnent!

Mais alors comment? Par quels moyens? Quels sont les leviers qui permettent à David d’affronter Goliath? De le vaincre? D’où ces mouvements tirent-ils leur force?

Je ne pense pas qu’il soit possible, encore moins pour moi, fraîchement débarquée dans cet univers fascinant, d’énumérer rationnellement et méthodiquement les forces du mouvement altermondialiste.

Ce que j’ai compris, ce que j’ai ressenti et ce qui m’a impressionné lors des activités auxquelles j’ai participé, les marches auxquelles j’ai pris part, les actions que nous avons menées, les rencontres que j’ai faites et les discussions formelles et informelles que j’ai eues, c’est que ces mouvements, riches de la diversité de leur campagne (lutte contre l’extractivisme, contre le libre-échange, pour la promotion des droits humains, pour la justice climatique…) ou des pays dans lesquels ils sont implantés, sont menés par des individus brillants, aux convictions inébranlables, à l’enthousiasme impressionnant, souvent animés d’un désir de partage et stimulés par les débats, les discussions. Deux aspects communs à l’ensemble de ces mouvements m’ont notamment frappé et semblent, selon moi, participer à ce qui fait sa force.

 

J’ai été pour ma part marquée par la diversité des modes d’actions, et la convergence qui a pu s’effectuer à Paris. Rien n’est parfait, évidemment, et cette convergence est un travail de longue haleine qu’il faut poursuivre. Mais je crois que la Coalition Climat 21 a joué un rôle plus qu’important, à travers sa diversité, ses nombreuses assemblées et un processus démocratique qui tentait le plus possible de prendre en compte toutes les voix, même les plus petites.

Les actions de désobéissance civile ont été nombreuses et impressionnantes, qu’elles aient eu lieu depuis le pays d’origine des activistes ou à Paris pendant la COP 21. Ce mouvement regroupe de nombreux réseaux et possède des bases militantes importantes. Les formes de militantisme évoluent. Elles s’adaptent aussi à la fois aux personnalités et aux degrés de d’implication et de militantisme.

Et face aux monstres que nous combattons, il est important de mutualiser à la fois nos batailles, mais aussi nos modes d’actions: du plaidoyer politique aux actions de désobéissance civile, des mobilisations contre le TTIP à la défense de l’agriculture familiale, en passant par les Zones à Défendre, il est nécessaire de nous entendre sur un objectif commun et de le combattre de manière globale. C’est ce qui a commencé à se faire lors des réunions sur le futur du mouvement qui se sont tenues pendant les mobilisations de décembre.

 


 

 

Fragile équilibre entre diversité du mouvement, volonté de convergence et questions de positionnement

 

Créer des liens, renforcer les synergies entre les campagnes, pas juste parce que l’on est plus forts unis mais surtout parce que ces discussions s’accompagnent de réelles réflexions de fond qui enrichissent les mouvements et qui créent de nouveaux leviers, sont des volontés omniprésentes chez les militants qui ont croisé nos routes.

Mais que peut-on attendre de ces convergences? Quel est l’intérêt de fond d’unir nos actions, nos travaux? Pour quels gains et de quelle façon?

Les espaces dédiés à ces discussions ont été nombreux et il en ressort une étrange conclusion, plus que des conclusions en fait, il en ressort que ces moments créés par les mobilisations pour la justice climatique à Paris, ont ouvert une page de réflexion. D’un côté, nous avons donc une volonté forte de progresser sur les liens et les convergences, de l’autre, la nécessité pour ces mouvements de construire quelque chose de durable, de cohérent et d’intelligent et ce, au-delà des nombreuses divergences qui les caractérisent, rend ces processus complexes, lents mais aussi passionnants.

Qu’en sera-t-il du mouvement pour la justice climatique d’une extraordinaire diversité maintenant que la COP21 est terminée ? L’heure est au bilan, à la réflexion et aux discussions. Chacun doit tirer les conclusions de sa participation de façon individuelle mais également en tant que mouvement avant de pouvoir sereinement questionner l’influence de son appartenance au mouvement global sur ces conclusions. La tâche est ardue et le défi de taille.

Mais les mobilisations qui se sont tenues à Paris, malgré un contexte difficile et une ambiance particulière, ont prouvé que ce moment de convergence n’était qu’un début. Que ce soit à travers des réunions, des marches dans plus de 50 villes du monde où de nombreuses actions de désobéissance civile, le mouvement est en marche. Alors oui, le défi est de taille et le processus sera complexe, de par sa richesse, mais les mobilisations de Paris se sont terminées sur une touche d’espoir avec l’action des lignes rouges, qui a montré que nous étions beaucoup, prêts à nous rassembler pour résister et nous battre pour la justice climatique!

[1] L’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) estime qu’il serait nécessaire de maintenir au moins deux tiers des combustibles fossiles connus dans le sol si l’on veut limiter à 2°C de le Réchauffement Global Maximal.