DSC04501 (3)Je ne sais pas ce qui m’écœure le plus.

De lire le nom « Le Pen » en première page des médias français et néerlandais, ou de voir la satisfaction de ces gens qui ont voté pour le parti le plus nauséabond de France, et qui agitent avec entrain le drapeau français, 24 jours après les attentats de Paris.

Bien sûr, la violence des politiques sociales, migratoires, l’agressivité du langage politique et des discours ambiants ne sont pas nouveaux, et montrent un pays gangréné par la peur et l’insécurité lié à son propre avenir. Et bien sûr, que ce n’est pas une raison suffisante pour laisser cette gangrène se propager, sans bouger.

Mais depuis le 13 novembre, je ne comprends que de trop loin, à travers les mots, les images, une surenchère de violence sociale que je ne saisis pas directement, me laissant un goût de frustration et d’écœurement silencieux.

Ces dernières semaines, aux Pays-Bas, on a parlé des attentats. Les faisceaux lumineux bleu blanc rouge projetés sur le palais royal d’Amsterdam et le Domtoren d’Utrecht marquaient la compassion officielle du pays à la France. On m’a également interrogé sur l’état de santé de mes proches, avant de s’accorder à critiquer l’État d’urgence mis en place par le gouvernement français car ces mesures relevaient d’initiatives dictatoriales.

Mais, depuis quelques jours aux Pays-Bas, les esprits sont ailleurs. Dans les rues, les écoles, il y a une odeur infecte empreinte d’une tradition que tout le monde hume avec plaisir : la célébration de la Saint Nicolas. Chaque année, le 5 décembre, les enfants de tout le pays se réveillent impatients de recevoir des cadeaux et des friandises, pendant que les adultes se maquillent le visage en marron et se badigeonnent les lèvres de rouge. Dans leurs déguisements proches de ceux des bouffons du roi, ils défilent dans les rues ouvrant la voie à l’arrivée de Sinterklaas qui, dans la tradition néerlandaise, revient d’Espagne flanqué d’un esclave noir (Zwart Piet) ramené d’Inde ou d’Afrique.

Je ne sais pas ce qui m’indigne le plus. De voir qu’une des traditions les plus célèbres des Pays-Bas contient des éléments explicitement racistes, issus du colonialisme mais que personne ne reconnait, ou le fait que ceux qui osent parler de fête raciste peuvent être arrêtés.

La comparaison entre le défilé de Santa Klaus et la victoire du FN au premier tour des régionales en France serait un peu déplacée. Mais, on respire ici et en France un air nauséabond, que personne ne daigne remettre en question, et que beaucoup accueillent le sourire aux lèvres.

Finalement, peut-être que ce qui me rend le plus malade, c’est d’avoir assisté à ces résultats d’élections régionales derrière mon écran. Non je n’ai pas voté dimanche dernier, et j’ai donc participé par ce non vote, à l’émergence d’un front qui sent mauvais les traditions, d’un front qui se teint en parti républicain –au sens large- pour faire illusion. Le front qui tape sur les noirs et qui dit stop à l’immigration. Faire une étude militante à l’étranger, c’est beau, mais j’en avais presque oublié une échéance qui en ces temps de démocratie limitée, revêt des enjeux primordiaux pour un pays.

Il est vrai qu’une démocratie réduite au vote n’est qu’illusion et que déposer un bulletin dans une urne n’est pas suffisant pour soigner une gangrène, et tendre vers des idéaux. Mais là, je ne peux plus rester dans ce pays, à regarder les résultats, ou les informations me déborder. J’irai voter dimanche. Ne me demander pas pour qui. Je risque d’avoir la nausée. Mais je ne peux pas continuer à lire des informations sur internet, vivre par procuration les rediffusions de manifestations interdites qui portent une variété de messages ignorés, et lire les critiques éditoriales des médias contestataires. Je n’en peux plus d’écouter, de critiquer, ou de me taire, sans m’être donné la peine de m’exprimer ponctuellement, dans le petit espace de liberté, minutieusement organisé et autorisé à ce jour qu’est le vote.

Si pesante soit-elle, j’aurais aimé partager cette atmosphère de ces dernières semaines avec vous. Sans parler des fois. En agissant quand il le fallait. Cette impression d’être loin et de ne pouvoir rien faire, de ne participer à rien n’est plus tenable. J’ai le sentiment d’être réduite au spectacle médiatique que m’offre internet pour pouvoir apprécier, évaluer l’horreur, la peur, les émotions impalpables des gens qui ont été blessés, choqués, qui ont peur, et qui subissent l’état d’urgence auquel j’ai l’impression d’échapper. Peut-être que les écrans, et surtout la distance physique, me permettait d’avoir ce recul, qui des fois me semble indécent. Émotionnellement, j’ai eu l’impression de ne rien avoir subi. C’est ce sentiment d’impuissance qui m’épuise, celui de ne rien pouvoir faire, pas parce qu’on me l’interdit, mais parce que ça ne fait pas sens ici. Je voudrais partager les peurs, le deuil et penser ensemble à demain.

Je ne veux pas voir de bleu Marine sur la carte de France. Mon vote ne me satisfera pas, quoi qu’il en soit. D’ailleurs, ce n’est peut-être pas que pour voter que je me déplacerai. J’ai besoin de voir, et ressentir ce climat que je ne parviens pas à ressentir aujourd’hui. Je voudrais m’en imprégner, juste pour quelques heures. J’ai besoin d’en discuter et de me disputer peut-être. J’en ai besoin aujourd’hui pour mieux comprendre.

Pour être avec vous.