Au printemps 2014, une guerre éclate dans l’est de l’Ukraine entre des groupes armés séparatistes et l’armée de l’État ukrainien.

Les séparatistes pro-russes parviennent à mettre en place deux entités politiques autoproclamées : la République populaire de Donetsk (DNR) et la République populaire de Lougansk (LNR), au prix d’enlèvements, tortures et intimidations contre les habitants qui ne les soutiennent pas.

Malgré des accords de cessez-le-feu (protocole de Minsk en septembre 2014 et février 2015), cette guerre se poursuit, avec des affrontements de plus ou moins fortes intensités selon les périodes. Depuis le début du conflit, entre 1,5 et 2 millions de personnes ont dû fuir ces régions en guerre et rejoindre d’autres régions d’Ukraine.

Vostok-SOS, l’association dans laquelle je suis volontaire, est l’une des associations qui se sont constituées pour répondre aux besoins de ces personnes déplacées.

« L’ATO-bus »1

En ce mois de novembre pluvieux à Kiev, une équipe de l’association se prépare à aller voir une femme du Donbass déplacée dans la région de Kiev et me propose de les accompagner. Malgré le débit rapide de leur conversation, je finis par comprendre qu’il s’agit d’un femme seule, malade et ayant récemment accouché. Tout cela justifie les deux heures de route que nous nous apprêtons à parcourir pour lui rendre visite.

C’est à bord d’un mini-bus aux couleurs de l’Ukraine, nommé « l’ATO-bus » par son chauffeur, que nous parcourons la quarantaine de kilomètres qui nous séparent du foyer où loge cette jeune femme. Les abords de Kiev ne font pas vraiment envie : entrepôts grisâtres, maisons délabrées et gigantesques centres commerciaux flambants neufs se succèdent des deux côtés de la route. Les suspensions usées du bus nous font pleinement profiter de la variété des nids de poule mais n’empêchent nullement le chauffeur de rouler à toute vitesse. Nous arrivons à destination un peu secoués. Le foyer, loin de la ville et même de sa banlieue, semble perdu au milieu de nulle part.

 PB181180Vue de la fenêtre de la chambre

Olga, que nous sommes venus voir, vient nous chercher en bas de l’immeuble. Elle porte un jogging adidas et un t-shirt moulant qui ne cesse de remonter, dénudant un ventre qui a donné la vie il y a à peine deux semaines. Elle nous montre la voie jusqu’au deuxième étage où elle loue une petite chambre, cuisine et salle de bain étant partagées avec les autres locataires. Nous la suivons, chargés des sacs soigneusement préparés par deux femmes de l’association. Après nous être déchaussés (politesse impérative ici), nous pénétrons dans une chambre proprette où le nouveau-né attend calmement couché sur le lit. Deux radiateurs électriques fonctionnent à plein régime mais ne rassurent pas pour autant la mère qui enveloppe son poupon dans une couverture douillette.

Nous déballons les sacs, ils contiennent des habits pour bébés (l’âge a été un peu surestimé mais ce n’est pas grave, cela servira plus tard), des couvertures, des féculents, de l’huile et des médicaments (des cas d’hépatite C ont été découverts dans l’hôpital où Olga a accouché).

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Milan, un jeune homme originaire de la région de Donetsk et volontaire chez Vostok-SOS, engage la conversation afin d’en savoir un peu plus sur le destin de cette mère. Cette dernière sort alors des tabourets de recoins insoupçonnés de la petite chambre et nous invite à nous asseoir.

Fuite, dépouillement et incertitude

Olga est originaire d’une partie de la région de Lougansk actuellement sous contrôle des séparatistes. En février 2015, les combats sont intenses, Olga perd ses parents et son mari et voit sa maison dévastée par les bombes. Elle y abandonne tout et décide de quitter la région.

Fuir le Donbass occupé ne fut cependant pas une chose facile. La première tentative, à bord d’un bus avec une soixantaine de personnes, dont presque la moitié d’enfants, est un échec. Les passagers, qui souhaitent passer en Russie pour ensuite, assure Olga, rejoindre l’Ukraine, se voient en effet refuser la sortie du territoire par les autorités de la LNR.

Sans argent, Olga est ensuite hébergée ici et là puis parvient à sortir du territoire séparatiste en empruntant un passage non contrôlé (ce que continuent à faire aujourd’hui de nombreux habitants de la région de Lougansk pour éviter les heures d’attente aux check-points). De l’autre côté de la ligne de front, des soldats ukrainiens lui portent assistance et lui fournissent notamment de quoi se rendre à Kiev en train. Bien qu’étant arrivée en mars, elle attend toujours les papiers attestant de sa situation de déplacée interne. Elle ne perçoit donc aucune indemnisation et dépend de l’aide d’associations comme Vostok-SOS.

Lorsqu’on lui demande si elle parle avec les autres personnes réfugiées habitant dans le foyer, elle répond qu’elle ne préfère pas, que ces personnes sont le plus souvent négatives et broient du noir, ce qui ne l’aide pas à aller mieux. Elle n’ose pas non plus prendre contact avec ses connaissances restées dans le Donbass, elle a peur et ne veut pas que l’on sache où elle se trouve. C’est également pour cette raison qu’elle refuse qu’on la filme.

La distance entre le foyer et la ville limitant les activités possibles, la télévision et les magazines posés sur la table représentent les principales occupations d’Olga. Elle nous confie parfois perdre la notion du temps, les journées s’écoulant dans la chambre étant presque dénuées de contact avec l’extérieur. Nous n’abordons pas l’avenir : être en sécurité et s’assurer de la bonne santé du nouveau-né semblent déjà être des sources d’inquiétude suffisantes.

En quittant cet endroit, je me sens incroyablement privilégiée et je pense à toutes ces vies brisées par la guerre. La pudeur d’Olga dans le récit de son histoire et sa force face aux événements m’impressionnent mais une question me tourmente : comment toutes ces personnes vont-elles réussir à se reconstruire ?

Dans l’ATO-bus, les tubes de rock ukrainien qui nous accompagnaient à l’aller laissent place au silence sur le chemin du retour.

1 ATO est l’abréviation russe de « opérations anti-terroristes »