C’est alors la violence et la haine se sont répandues sur ma ville. Elle est souillée et elle a peur. Et moi je suis loin, suspendue aux nouvelles, je me sens le besoin de demander qu’on m’écrive, qu’on me décrive, comment la ville respire et comment les gens bougent, comment ils vont et viennent au sein de ces rues qu’on a violé hier.

J’ai envie d’y être, de ressentir la violence de la situation. La tension que je devine, je ressens comme un besoin d’y être confrontée.

Ici, tout le monde en parle. L’empathie est omniprésente. On pleure sur Paris. Et comme chacun connait quelqu’un qui y vit, qui y a vécu, de près ou de loin, tous se sentent concernés.

Et la première remarque que l’on me fait et qui vient immédiatement après le questionnement sur la bonne santé de mes proches, c’est que le Maroc aussi est une cible potentielle. Cette vulnérabilité française renvoie les Marocains à leur propre fragilité. « Si il y a bien un pays arabe qui risque fortement de subir une attaque, c’est bien nous » me dit-on souvent.

Mais je ne comprends pas pourquoi.

Comme je ne comprends pas ce que traque et cible cette nouvelle folie qui s’empare des hommes.

Comme je ne comprends pas ce qu’implique cette atrocité.

Les conséquences de ces attentats me dépassent totalement et j’ai le sentiment d’être noyée. De ne pas être capable de conscientiser ce qui s’est passé.

J’appréhende les conséquences sur notre pays. J’appréhende les réactions. J’appréhende les amalgames, les confusions. J’appréhende les discours de haine et de défiance vis-à-vis de l’autre.

Et la réponse de l’État français? Bombes larguées, guerre ouverte (assumée?) avec le déploiement de forces au sol, un état d’urgence, une restriction des libertés, un renforcement des contrôles, une fermeture des frontières.

 


 

 

En début de semaine, les débats fusent sur la déclaration des services secrets marocains quant à l’assistance qu’ils ont porté aux français et à leur rôle essentiel dans la traque des meurtriers. La stupeur est totale, personne ne comprend ce qui a pu pousser les autorités, semblables à un enfant capricieux, à réclamer une reconnaissance pour son aide dans la chasse à l’homme qui est lancée.

« Cela fragilise d’autant plus notre position vis-à-vis de Daesh »

« On n’a pas besoin de cette provocation »

La crainte est palpable et tous redoutent que l’EI se fasse un devoir de remettre l’État Marocain à sa place en lui démontrant sa force d’action.

Mais bien sûr, tous comparent nos services secrets. La performance impressionnante des renseignements marocain est reconnue de tous. Et c’est vrai que dans les médias, l’interpellation d’un individu ou d’un réseau ou d’une cellule terroriste quelque part au Maroc est un évènement quasiment hebdomadaire.

Mais comme on me le fait justement remarqué : « Ici, il n’y a pas de respect des droits humains, alors forcément, on est plus efficace ».

 


 

 

Assez rapidement, je prend conscience de l’impact des attentats sur ma mission. Je me pose mille et une questions que je partage avec Camille, en mission à Bruxelles sur le thème des mobilisations citoyennes comme moi. Et maintenant, quid de la COP21, des mobilisations?

Une période de flou total débute. Et finalement, les nouvelles arrivent : il n’y aura pas de marche pour le climat à Paris, il n’y aura pas d’action de masse le 12 décembre. Pratiquement, toute forme d’occupation de l’espace public est interdit et il y aura des restrictions aux évènements qui demeurent autorisés comme le Sommet Citoyen pour le Climat à Montreuil les 5 et 6 décembre.

Ce verdict comme une sanction. Bien sûr la sécurité doit être assurée et il est plus compliqué d’y veiller quand il y a du monde dehors.

Mais l’urgence climatique et le respect de la liberté d’expression et de manifestation d’une société civile internationale unie dans ses luttes et dans ses revendications ne mérite-elle pas un petit peu plus de considération que cette interdiction pure et simple sans aucune alternative proposée?

Les mesures sécuritaires prises sous le joug de l’état d’urgence sont plus que dissuasives, elles sont répressives. J’aimerais penser qu’il ne s’agit que d’une restriction destinée à effectivement permettre d’  »assurer la sécurité ». Mais j’ai comme l’amère sensation que c’est que cela arrange bien de pouvoir faire taire cette vague d’activistes, de militants et de d’individus engagés qui ont trouvé le moyen de s’unir et qui désirent faire entendre la voix d’une nouvelle exigence, celle d’un monde juste.

Celle de la paix, du lien, de la solidarité et du respect.