Hier, et pour la première fois, j’ai rencontré des résidents qui vivent dans des locaux gérés par une des agence anti-squat les plus connues aux Pays-Bas : Ad Hoc.

 

Rencontre avec les résidents

Accompagnée de Gerard, un des bénévoles du Bond Precaire Woonvormen, qui a l’habitude de recueillir les plaintes des résidents, nous prenons la voiture en direction de la commune de Bloemendaal, située à une heure au Nord Ouest d’Utrecht. Sur la route monotone qui doit nous mener jusqu’à destination, le ton est aussi grave que la situation. Par une lettre datée du 11 novembre, le propriétaire de la résidence exigeait aux 25 habitants de la résidence de Dennenheuvel, de quitter les lieux au plus tard le 30 novembre, sans qu’aucune solution de relogement n’ait été trouvée. Cette rencontre est également une première pour Gerard. Il n’a jusqu’ici jamais eu de contact physique avec un résident, qui a contracté ce type d’arrangement. C’est une des particularités de l’association. On y reçoit des plaintes, on supporte et on conseille les résidents dans leurs démarches par mail ou téléphone, mais on ne les voit pas beaucoup, faute de bureau physique notamment.
Nous voilà arrivés dans la commune cossue et luxuriante de Bloemendaal. Les propriétés sont aussi impressionnantes que les voitures qui les magnifient. La résidence se trouve au bout d’un chemin en travaux. L’enceinte est très grande. Gerard me parle de quelques hectares. Les grilles sont ouvertes, mais l’endroit n’est pas véritablement accueillant. Le fléchage des différents bâtiments, la disposition et leur architecture extérieure me font penser à une clinique, ou une maison de retraite, mais pas véritablement à des logements.

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Et pour cause, la propriété qui appartient à l’association chrétienne Goede Herders était auparavant habitée par des nones. Il y a deux résidences : Dennenheuvel et Euphrasia. Sur le palier de la première résidence, Karim et son amie nous accueillent. Ils nous emmènent à l’étage, dans le salon de deux autres résidents concernés par cette expulsion. Le chemin pour y parvenir est un enchainement de longs couloirs aseptisés. Seules les quelques chaussures et poubelles qui ponctuent le chemin nous assurent que ce bâtiment est habité.
Nous arrivons dans un salon ou 6 résidents nous attendent autour d’une table pour discuter des prochaines démarches envisagées. Nous saluons Mark, Ayala, Tamara, Kelly, Calvin et Frans.
La conversation commence et tout se fera en Néerlandais.

Le contrat anti-squat

Les contrats anti-squat engagent trois parties : Le propriétaire, l’agence intermédiaire qui gère le bien immobilier vacant, et le-s résident-s. Dans le cas présent, le propriétaire qui possède plusieurs autres biens immobiliers, souhaitait faire gérer la résidence en question par une agence spécialisée, avant la démolition prévue en 2018. Depuis 1 an et 5 mois, les résidents étaient sous contrat anti-squat. Cependant, début octobre, le contrat ne convenait plus au propriétaire. Selon lui, les charges annuelles liées au chauffage s’élevaient à 30 000 euros, alors que l’agence ne lui fournissait que 18 000 euros, soit une perte nette de 12 000 euros. Dans le même temps, la compensation mensuelle que chaque locataire versait à l’agence en guise de loyer était de 150 jusqu’à 230 euros, alors que l’agence ne versait que 60 euros au propriétaire. Par mail, une poignée de résidents rassemblés autour de Karim, ont proposé au propriétaire de casser le contrat que celui-ci avait signé avec l’agence intermédiaire, en échange de quoi, les résidents verseraient un véritable loyer au propriétaire, afin d’éviter les intermédiaires. Mais celui-ci a refusé, préférant garder le contrat signé avec Ad Hoc, en remplaçant les résidents actuels par d’autres, prêts à payer plus cher (d’après plusieurs résidents).
Après l’étude du cas au conseil municipal, les négociations infructueuses avec les élus de la ville, qui ne souhaitent pas se mêler à ces arrangements, les résidents ont décidé de parler de leur situation dans un journal local pour peser sur les pouvoirs locaux. Cependant, aucune solution n’a été à ce jour trouvée.

S’organiser et communiquer pour rester

Dans le salon, le calme et la tension liés à la peur et l’incertitude d’une évolution de situation qui échappe à tous a laissé place à des discussions plus enthousiastes. Il est question de contacter un avocat, de créer un compte Twitter et une page Facebook afin de faire circuler l’information pour si possible, créer un mouvement de solidarité plus large. On parle aussi d’une banderole que l’on accrochera sur les balcons. Cette banderole ne serait pas visible aux yeux des habitants de la commune, parce que les bâtiments ne donnent pas directement sur la rue. Mais qu’importe, c’est un geste fort d’après les membres de l’association, qui me disent souvent que les mouvements de ce type sont rares aux Pays-Bas. Lorsqu’il est question de contrat anti-squat, les actions collectives n’existent pas, et ce bien que l’association ait reçu environ 180 plaintes depuis sa création. Ce serait notamment dû au fait que la position d’être dans un logement, même si elle est soumise à des conditions très strictes qui entravent des libertés individuelles, vaut mieux que d’être à la rue. Dans ce cas, la situation est sensiblement différente : les résidents sont 25 menacés « d’expulsion ». Et Karim me dit qu’environ 15 résidents sont prêts à se battre. Il semblerait donc que cette amorce de mouvement soit relativement rare et radicale.

Entre temps, j’apprends que le propriétaire se met échanger des tweets pour défendre sa position et rallier d’autres personnes à sa cause.

Enjeux de pouvoirs et guerre de communication

Et l’agence Ad Hoc dans tout cela : Elle reste silencieuse. L’organisation d’un mouvement de résidents et sa médiatisation constituent un risque pour l’image d’une telle société. Lorsque d’autres agences anti-squat ont été confrontées à des situations de litiges avec certains résidents qui contestaient certaines des clauses du contrat, leur stratégie a consisté à reculer pour ne pas aller en justice et risquer d’écorcher leur image. Dans le cas présent, l’agence aurait déjà proposé une solution de logement à une des résidentes (que je n’ai pas rencontré), et qui aurait refusé. Mais, au vue de l’urgence de la situation et si des propositions de relogement -si précaires soient-elles- se présentaient pour plusieurs résidents, les solidarités ne se déliteraient-elles pas ? L’enjeu donc, pour les résidents et pour l’association est d’agir vite, afin que le mouvement ne s’essouffle pas et que les résidents actuels restent dans la résidence.

Les enjeux de communication quels qu’ils soient, participent à modifier les rapports de force. Mais, les rapports de pouvoirs à l’œuvre ici me semblent encore plus obscures et décisifs dans l’évolution de la situation, bien que je n’en saisisse pas encore leur nature.

J’apprends aujourd’hui que quelques résidents ont décidé d’aller à la mairie mercredi 25 novembre pour faire pression sur les pouvoirs locaux. Affaire à suivre.