Les travailleurs-euses domestiques: une préoccupation mondiale

Selon l’organisation Internationale du Travail (OIT) les travailleurs-euses domestiques représentent officiellement, en 2013, 53 millions de travailleurs dans le monde. Cependant, l’OIT, elle-même, reconnait que ce chiffre sous-évalue l’ampleur réelle de ce phénomène et l’estime plutôt aux environs de 100 millions de personnes dans le monde[1].

Les travailleurs-euses domestiques représentent environ 7,5% de l’emploi salarié mondial, plus de 80% sont des femmes et une grande majorité est exclue, totalement ou partiellement[2], du champ d’application du droit du travail et de la protec­tion juridique dont bénéficient les autres travailleurs. La reconnaissance et la protection des droits des travailleurs-euses domestiques varient selon les pays. Dans certains pays, il existe des régimes intermédiaires dans lesquels les travailleurs-euses domestiques jouissent d’une protection partielle. Mais globalement, il existe une insuffisance de cadre légal qui rend les travailleurs-euses domestiques très vulnérables.

« À l’heure actuelle, les travailleurs domestiques sont souvent confrontés à des salaires très bas, des horaires de travail excessifs, l’absence d’un jour de repos hebdomadaire garanti, et sont parfois en butte à des violences physiques, psychologiques et sexuelles ou se voient imposer des restrictions à leur liberté de mouvement. L’exploitation des tra­vailleurs domestiques, en partie imputable à des lacunes dans les législations nationales du travail est souvent le reflet de discriminations fondées sur le sexe, la race et la caste[3]. »

En Europe, un grand nombre de travailleurs-euses domestiques sont des immigrants, en situation irrégulière et dont l’activité n’est pas déclarée : cette caractéristique exacerbe leurs vulnérabilités. En effet, en tant que migrants, ils sont plus exposés à des discriminations raciales ou ethniques, à des abus ou encore à l’exploitation. La situation développe, de fait, une dépendance vis-à-vis de leur employeur. La peur d’être expulsé rend difficile la revendication des droits et l’accès aux recours juridiques.

D’un point de vue plus large, la question des droits des travailleurs-euses domestiques aspire à faire avancer le statut et l’autonomisation des femmes et se rapproche, dans certaines situations, de l’esclavage moderne et la traite des êtres humains.

Face à ces constats, des outils juridiques internationaux émergent en juin 2011 : la Convention 189 et la Recommandation 201 « Un travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques ». La Convention 189 vise à assurer le respect et la protection des droits fondamentaux des travailleurs-euses domestiques. A ce jour, la Convention est entrée en vigueur dans quinze pays[4], elle entrera en vigueur dans sept autres pays[5] en 2016. Suite à l’adoption de la Convention 189, l’enjeu est la transposition de cette convention dans le droit national afin qu’elle soit réellement effective.

Cependant aujourd’hui, selon les régions du monde, les travailleurs-euses domestiques ne font pas face aux mêmes défis. Par exemple, en Afrique de l’Ouest, l’enjeu est de permettre la reconnaissance du travail en lui-même et les droits qui en découlent, alors qu’en Europe, le travail domestique est déjà reconnu : il s’agit donc de s’assurer de l’application et de la protection les droits qui y sont associés.

                 

Les travailleurs-euses domestiques au Portugal

Le Portugal n’est pas épargné par le phénomène des travailleurs-euses domestiques. Il s’agit même de l’un des emplois les plus occupés par les femmes immigrantes. En effet, en 2008, on estime à 175 500 le nombre de travailleurs domestiques dont 173 400 sont des femmes[6]. Par ailleurs, d’après Annie Pourre, l’association SOLIM a constaté qu’environ 90% des femmes migrantes sont des travailleuses domestiques. A ce jour, le Portugal a mis en place un régime spécifique qui confère moins de droits aux travailleurs domestiques que le régime général des autres travailleurs. Les droits fondamentaux sont encore largement bafoués.

Le Portugal a ratifié la Convention 189 en juillet 2015. Cette dernière entrera en vigueur en juillet 2016 et constitue donc un enjeu majeur, cette année, pour permettre le respect et la protection des droits fondamentaux. On peut donc espérer une amélioration des conditions de travail des travailleurs-euses domestiques malgré un contexte politique et socio-économique difficile.

Un contexte socio-économique et politique instable 

Au niveau économique, le Portugal ne s’est pas encore remis de la crise économique qui l’a touché en 2011. A cette époque, une politique d’austérité a été mise en place dans le cadre d’un plan d’ajustement structurel en échange d’une aide de 78 milliards d’euros. Cela s’est traduit, entre autres, par des coupes budgétaires, une forte hausse des impôts, la réduction des rémunérations dans la fonction publique ou encore la privatisation des entreprises publiques. Ce plan d’assistance financière, chapeauté par la Troïka[7], a pris fin en mai 2014. Cependant, l’économie du pays reste instable et les prévisions sur la croissance sont mauvaises (notamment en raison du poids de la dette publique). Le chômage et les inégalités sont encore importants.

Au niveau politique, le Portugal se trouve dans une période importante : une année de renouvellement de la représentation démocratique. Des élections législatives ont eu lieu le 4 octobre 2015. La coalition de centre-droit et de la droite se maintient au pouvoir avec 38,4% des voix au Parlement, cependant elle ne détient plus la majorité. Le Parti Socialiste arrive en deuxième position avec 32% des voix. Arrivé troisième, le « Bloc de gauche » (la gauche radicale du Bloco de Esquerda (BE), un parti anti-austérité) réalise une percée historique avec 10,2 % des voix (contre 5,2 % en 2011). Les forces de gauche sont désormais majoritaires mais elles sont restées, pour le moment, encore vague quant à une quelconque alliance. L’avenir politique est donc incertain et se jouera dans les urnes, en janvier 2016, lors de l’élection du président au suffrage universel direct.

Le Portugal est donc un pays dont on entendra beaucoup parler dans les prochains mois.

Un partenariat pour défendre des droits humains

Cette mission, à Lisbonne, s’inscrit dans le cadre d’un partenariat entre Échanges et Partenariatlogo EP, le réseau No Vox et l’association SOLIM dans un objectif commun de défense des droits humains et plus particulièrement des droits des travailleurs-euses domestiques.

logo no voxLe réseau No Vox s’est construit au début des années 2000 lors des Forum Sociaux Mondiaux. Il compte aujourd’hui plus de 150 associations membres et détient une capacité de mobilisation importante. L’objectif de No Vox est de développer les réseaux de solidarité internationale afin donner une voix aux mouvements de bases (groupe de personnes qui subissent des violations de droits qui s’organisent pour faire valoir leurs droits) pour qu’ils puissent construire leur lutte et qu’ils soient entendus à une échelle plus importante (au niveau régional et international). La stratégie choisie est donc de créer du rapport de force par la diffusion d’une voix commune des « Sans ». Le réseau No Vox ne travaille pas dans un seul domaine mais prône la transversalité des problématiques. Ainsi, outre la question des travailleurs-euses domestiques, No Vox se mobilise pour diverses luttes telles que l’accaparement des terres, le droit au logement ou encore le chômage.

logo solimL’association SOLIM est une association portugaise de base, créée en 2001, qui milite pour la défense des droits des immigrants et dont l’objectif est de leur donner la possibilité de s’exprimer de manière autonome et indépendante. L’association apporte un soutien juridique et elle est également constituée de plusieurs groupes de travail selon les thématiques, dont la question des travailleurs-euses domestiques. Il s’agit d’une démarche entreprise par les femmes immigrantes elles-mêmes qui souhaitent s’organiser pour améliorer leurs conditions de travail.

 

Les objectifs de la mission

Mon rôle dans cette mission est de participer aux activités de SOLIM, de faire un état des lieux sur la situation des travailleurs-euses domestiques au Portugal, de développer et de renforcer les liens de solidarité internationale entre les acteurs de la société civile et de participer au groupe de travail des femmes travailleuses domestiques pour engager des actions communes et individuelles.

 

 

Cet article est sujet à de prochaines modifications et relectures.

[1] Elle l’explique par diverses raisons comme par exemple, la non-participation de plusieurs pays l’élaboration des statistiques (participation de 117 pays et territoires), les difficultés de comptabilisation des travailleurs dans le secteur informel et l’exclusion des travailleurs de moins de 15 ans (environ 7 ,5 millions d’enfants).

[2] Selon l’OIT, seuls 10% de l’ensemble des travailleurs domestiques (soit 5,3 millions) sont couverts par la législation générale du travail au même titre que les autres travailleurs.

[3] Les travailleurs domestiques dans le monde, Statistiques régionales et mondiales et étendue de la protection juridique, Organisation Internationale du Travail (OIT), Janvier 2013.

[4] Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Etat plurinational de Bolivie, Colombie, Costa Rica, Equateur, Guyana, Irlande, Italie, Maurice, Nicaragua, Paraguay, Philippines et Uruguay.

[5] Belgique, Chili, République Dominicaine, Finlande, Panama, Portugal et Suisse.

[6] Appendix II, du Rapport “Domestic workers across the world: Global and regional statistics and the extent of legal protection”, International Labour Office (ILO), p.119.

[7] Composée de la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne et le Fond Monétaire International.