Foto-Enzar-Marruecos-Espana-Imagen_EDIIMA20150912_0450_18

Blocage à la frontière maroco-espagnole Beni-Ansar/Melilla, côté marocain. Source : El Diario, 12/09/2015

 

Environ 1000, c’est le dernier nombre estimé de Syrien-ne-s empêché-e-s d’accéder au territoire de Melilla.

Malgré leur évident statut de demandeur-se-s d’asile, les Syrien-ne-s rencontrent de grandes difficultés pour traverser la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole.

 

Source El Diario, 12/09/2015

Passeport d’un Syrien bloqué côté marocain          Source El Diario, 12/09/2015

Ce sont les militant-e-s de la section locale de l’association marocaine des droits de l’Homme à Nador (AMDH Nador), qui, les premiers, ont tiré la sonnette d’alarme quant à la situation de blocage et de profit économique dont font l’objet ces exilé-e-s de Syrie depuis plusieurs mois.

 

Avec la guerre en Syrie, l’afflux de personnes syriennes et palestiniennes n’a cessé d’augmenter dans la zone. Malgré l’ouverture du bureau d’asile à la frontière de Melilla et la médiatisation de leur situation, les exilé-e-s de Syrie n’ont pas un accès évident à l’enclave espagnole.

Location ou vente de passeport marocains, bakchichs à des intermédiaires pour ne pas être bloqué-e, le passage de la frontière coute très cher. Environ 1000 euros par personne (adulte ou enfant) au mois de juin 2015 selon les témoignages récoltés sur le terrain.

Si durant les premiers mois de 2015, les organisations ainsi que les autorités de Melilla enregistraient environ 50 entrées de Syrien-ne-s par jour, depuis le mois de mai 2015, ce chiffre aurait nettement baissé.

C’est que le blocage des Syrien-ne-s est également extrêmement rentable. En effet, la ville de Nador, proche de l’enclave voit depuis plusieurs mois ses hôtels et restaurants remplis. Les taxis entre Nador et Beni-Ansar (dernière ville avant la frontière) accompagnent chaque jour les tentatives de passage. Les Syrien-ne-s sont ainsi devenu-e-s une source de business pour la zone transfrontalière marocaine. Plusieurs manifestations de Syrien-ne-s et Palestinien-ne-s ont eu lieu pour protester contre leur blocage au niveau de la frontière. Des familles sont séparées car les un-e-s arrivent à passer la frontière, d’autres pas. Parfois une mère passe, le père reste bloqué avec les enfants coté marocain, ou vice et versa. Des enfants passent seuls, tous les cas de figure ont été observés.

 

Depuis début septembre, entre fermetures temporaires de frontières et arrestations : un tournant plus violent

Le 9 septembre, la frontière de Beni Anzar, qui sépare donc le Maroc de l’Espagne à Melilla, a été fermée par les autorités marocaines pendant près d’une heure. Des sources policières assurent que cette coupure a été provoquée du fait d’une grande accumulation de personnes d’origine syrienne de l’autre coté de la frontière qui voulaient accéder à Melilla.

Des sources officielles ont expliqué que ce type de fermeture temporaire de la frontière est habituel lorsque des agroupements se produisent d’un coté ou de l’autre de la frontière, l’objectif étant d’éviter d’ « importants problèmes ». La décision des autorités marocaines de fermeture de la frontière pendant une heure ce matin-là, puis à plusieurs reprises pendant les semaines suivantes, est ainsi perçue comme « normale ».

Depuis plusieurs mois, de plus en plus de personnes se retrouvent aux prises du business du franchissement de la frontière coté marocain.

Voici une déclaration récente de l’AMDH Nador à ce sujet :

La situation est préoccupante au poste frontalier de Beni Ensar a l’entrée de Melilla. En visite aujourd’hui 10 sept 2015 a ce poste l’AMDH Nador a constaté près de 200 migrants syriens entassés dans les cafés limitrophes au frontière et interdits d’accéder à Melilla (avec beaucoup d’enfants, de bébés et de femmes). Les témoignages recueillis ont tous parlé des passeurs mafieux qui exploitent cette interdiction et demandent des sommes d’argent allant jusqu’à 1000 euros à la personne. En discutant avec un Syrien père de trois enfants, on a assisté aux négociations directes avec un trafiquant qui a dit être prêt pour passer l’une des filles du père contre 1000 euros. Ces marchandages se font en plein jours dans les cafés à l’entrée de Melilla et les autorités se contentent d’encercler les réfugiés et de continuer à interdire leur libre accès.

 

Protestations des Syrien-ne-s et répression

Déclarations de l’AMDH Nador le 10 septembre 2015 :

Pour le cinquième jours consécutif près de 70 réfugiés syriens se rassemblent devant le poste frontalier de Béni Ensar pour essayer de regagner Melilla. Aujourd’hui aussi était le cas. Un enfant syrien qui a pu passer les contrôles policiers marocains a été arrêté à quelques mètres seulement du bureau de régularisation des réfugiés. Tant que le principe de libre circulation des réfugiés et des migrants n’est pas respecté pour tous par les autorités marocaines et espagnoles, ceci ouvrira la porte à toutes les pratiques d’exploitations illégales pour acheter et vendre ce droit légitime. On dit qu’il y a un accord tacite entre les autorités espagnoles et marocaines pour laisser entrer une vingtaine de syriens chaque jour. Comment donc ces vingtaines sont choisis parmi des centaines et selon quels critères?

 

Deux mois de prison ferme pour avoir tenté de s’immoler par le feux en guise de protestation contre le blocage à la frontière

Quelques jours plus tard, un sit-in a lieu près à la frontière, les personnes ont dénoncé l’abus de pouvoir dont elles sont victimes. Un Syrien a été arrêté et a pris deux mois de prison ferme le 18 septembre pour les raisons suivantes (infos AMDH Nador) :

On l’a poursuivi pour tentative de s’immoler par le feu et humiliation d’un fonctionnaire de l’Etat suite au sit-in du 15 septembre. L’avocat de l’AMDH va déposer un recours.

D’autres ont été arrêtés et emmenés au commissariat de Nador. Pour exemple le week end passé, une Palestinienne de Syrie a été arrêtée pour avoir tenté de passer la frontière. Elle était avec ses trois enfants qui se sont alors retrouvés seuls. Des militant-e-s de l’AMDH Nador sont aller protester, comme pour de nombreux autres cas, pour sa libération, auprès du commissariat central. Les militant-e-s de la section locale ont déjà réussi – comme pour des cas d’arrestation de personnes Subsahariennes raflées dans les forêts de Nador – à faire libérer deux Syriens qui avaient été arrêtés lors de leur tentative de franchissement de la frontière.

Les militant-e-s ont également fait le constat de la détention de plusieurs Syriens pour usage de papiers espagnols lors de leur tentative de franchissement de la frontière. Il semblerait que le juteux business du blocage de ces exilé-e-s aient aussi attiré des personnes de l’autre coté de la frontière…

 

Des dénonciations aussi du coté espagnol

 

Capture d’écran 2015-10-05 à 16.51.08

Une Syrienne vient d’arriver à Melilla, elle a du payer plusieurs centaines d’euros pour rejoindre son bébé et sa mère qui elles-mêmes ont du payer pour franchir la frontière maroc-espagnole. Extrait de la vidéo de PRODEIN

 

Le militant José Palazon de l’association PRODEIN a lui aussi dénoncé le blocage des Syrien-ne-s à la frontière et le business l’accompagnant. Il a ainsi récemment réalisé une vidéo intitulée :

« De políticas de asilo y mafias en la frontera de Melilla » soit « Politiques d’asile et mafias à la frontière de Melilla ».

Le militant dénonce :

L’Espagne a délégué le contrôle de la frontière de Melilla au Maroc et le Maroc aux mafias para-policières frontalières. Il n’existe pas de droit d’asile à Melilla pour les réfugiés, en revanche, il existe un marché où l’on achète le droit d’accéder au territoire espagnol et européen. Des centaines de familles n’ont plus d’argent, avec des membres de la famille de chaque coté de la frontière.


Où se retrouvent les personnes si elles réussissent à entrer à Melilla?

Conçu en 1999 avec le cofinancement de l’Union européenne, le CETI (Centro de estancia temporal para inmigrantes) a été prévu pour accueillir 480 personnes, il est aujourd’hui saturé de monde. En juin 2015, environ 1500 personnes (parmi lesquelles 500 enfants) y résidaient, dont une très grande majorité de Syrien-ne-s, les Subsahariens n’arrivant quasiment plus à entrer par la barrière.

syrien CETI palazon

Un Syrien devant le CETI – photo prise par José Palazón, 23 septembre 2015

Construit pour la migration subsaharienne des années 1990, soit pour des jeunes hommes célibataires, ce centre ouvert (les gens pouvant aller et venir entre 7h du matin et 23h le soir) ne correspond plus du tout au public d’aujourd’hui : familles, enfants, bébés, vieillards, personnes handicapées. Les femmes, les enfants et les personnes malades sont placées dans les bâtiments en dur, tandis que les hommes sont placés dans des tentes de type camps de réfugiés, les familles sont ainsi séparées. Il y a environ 150 personnes par « chambre ». À leur entrée, les personnes sont identifiées (prise d’empreintes, photo) et assistent à une consultation médicale pour une série de tests obligatoires.

La journée, les gens peuvent être sur leur lit ou dans la queue pour les toilettes, les douches ou la cantine, le nombre d’équipements sanitaires et de restauration n’ayant jamais été augmenté depuis la création du centre. Bien que pouvant circuler en dehors du centre la journée, c’est la ville entière qui constitue un « centre de rétention illimitée » pour ces personnes. La vie au CETI se fait ainsi au rythme de l’attente inlassable du transfert à la péninsule…qui n’est aucunement régulé par la loi et se fait dont la décision est à la discrétion du commissariat général de Madrid (voir la note Gérer la frontière euro-africaine)

D’après le militant José Palazón, les ressortisant-e-s syrien-ne-s ne demandant pas l’asile à Melilla – de peur du réglement Dublin qui les obligerait alors à rester tout le temps de l’étude de leur dossier en Espagne – restent bloqué-e-s dans l’enclave bien plus longtemps que les personnes ayant effectivement déposé leur demande.

 

Le blocage et le filtrage des exilé-e-s à la frontière, résultat d’un accord maroco-espagnol?

« Pour quelle raison le Maroc empêche-t-il l’accès des réfugiés syriens au bureau d’asile frontière de Melilla ? », « Existe-t-il un accord entre le Royaume d’Espagne et le Royaume du Maroc à ce propos ? », « Pourquoi le passage est-il seulement accordé à quelques personnes, qui se trouvent, par hasard, correspondre au nombre de places qui se libèrent dans le CETI ? »

Voici quelques unes des questions parlementaires enregistrées, il y a une dizaine de jours, au Congrès par le député Jon Iñarritu qui a récemment effectué une visite à Melilla pour « vérifier sur le terrain » le blocage de centaines de Syrien-ne-s aux portes de la ville autonome.

« Aucune de ces questions n’a eu de réponse » a affirmé Iñarritu à la presse espagnole, un des parlementaires les plus actifs sur le sujet de la politique frontalière du gouvernement espagnol. Il assure être « habitué » au silence gouvernemental à la suite de dizaines de questions sur l’immigration et les réfugiés restées sans réponse.

« Nous avons demandé la comparution des ministres de l’Extérieur et de l’Intérieur pour pouvoir poser la question d’un possible pacte avec le Maroc. Je ne pense pas que cela arrive. Fernández Díaz (ministre de l’Intérieur) ne s’est jamais présenté sur ces sujets depuis les morts à Ceuta. »

(voir l’article de El Diario : « Nos preocupa que haya un acuerdo entre Marruecos y el Gobierno español para frenar a los sirios« )

 

Des Syrien-ne-s qui doivent payer leur franchissement de la frontière, des Subsaharien-ne-s qui ne peuvent pas même arriver jusqu’au poste frontière sans être raflé-e-s, la gestion des flux migratoires à la frontière nord du Maroc/frontière sud de l’Europe continue de choquer par la multiplication des violations des droits humains qui en découlent et le business qui en fleurit, toujours en toute impunité.

La zone de Nador-Melilla serait-elle devenue une sorte de « hotspot » soit un centre de tri des personnes en quête de protection internationale, bien loin des frontières de l’Union européenne?

syriens Omar Naji

Famille syrienne bloquée à la frontière – photo prise par Omar Naji, militant de l’AMDH Nador

 

***

 

Pour approfondir sur les questions migratoires entre Nador et Melilla : voir la note publiée au 31 août 2015

Articles dans la presse en ligne sur  la question du blocage des exilé-e-s de Syrie :

http://www.eldiario.es/desalambre/Marruecos-frontera-Espana-entrada-refugiados_0_430807191.html

http://www.eldiario.es/desalambre/frontera-Marruecos-Espana-Europa-refugiados_0_430107018.html

http://elfarodigital.es/melilla/politica/170714-el-psoe-pide-a-la-delegacion-que-evite-que-marruecos-cierre-la-frontera.html

http://politica.elpais.com/politica/2015/09/17/actualidad/1442519896_242562.html

http://www.elconfidencial.com/mundo/2015-09-20/los-refugiados-sirios-se-hacinan-en-el-centro-temporal-de-inmigrantes-de-melilla_1026437/

http://www.libe.ma/Decryptage-L-insoutenable-calvaire-des-refugies-syriens_a66681.html

http://cadenaser.com/ser/2015/09/21/sociedad/1442872206_114505.html

http://www.elconfidencial.com/mundo/2015-09-27/asi-pagan-los-refugiados-sirios-a-las-mafias-policiales-marroquies-para-entrar-en-espana_1039027/

http://www.eldiario.es/desalambre/comparecencia-ministro-Interior-puertas-Melilla_0_437107185.html

 

Sur le concept de « hotspot » et la stratégie de l’UE en matière de migration et d’asile :

http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20150907.OBS5387/hotspots-centres-d-enregistrement-des-migrants-de-quoi-parle-t-on.html