P1000987P1000991P1000992P1000973P1000982Comprendre ce qu’il s’est réellement passé lors de la traversée de la mer Méditerranée est une tâche complexe. Les articles de journaux et déclarations officielles des autorités responsables donnent rarement le détail du déroulement des opérations de secours, et s’ils le font ces informations sont rarement concordantes. Dans ces conditions, rencontrer des témoins directs paraît pertinent, notamment si l’on soupçonne une quelconque violation des droits de la mer. Or, parler aux personnes nouvellement arrivées en Sicile, relève parfois d’un véritable parcours du combattant.

Je me souviens qu’au début de ma mission, ma référente à Messine, l’avocate Carmen Cordaro, m’avait dit presqu’en se moquant de moi, «  si tu veux savoir où les gens sont transférés et comment leur parler, il faut te rendre sur le port et courir après le bus qui les emmène.. »

En effet, si tôt débarqués les migrants sont emmenés dans des centres de premiers secours et d’accueil (CPSA), parfois dans la ville où ils ont débarqués, mais pas obligatoirement.. ils sont ensuite transférés après une durée qui varie en fonction des décisions préfectorales, du contexte politique, et des places disponibles, dans d’autres centres, où ils pourront éventuellement effectuer une demande d’asile, bénéficier d’un accueil spécifique s’il s’agit de personnes « vulnérables », (femmes enfants, victimes de traite) ou vers un centre d’identification et d’expulsion (CIE). Cependant ces personnes peuvent également être transférées vers d’autres centres de premier accueil, où les personnes ne sont pas censées rester plus de 4 jours,  parfois à plusieurs reprises pendant plusieurs semaines avant de pouvoir entamer toute procédure administrative, ou tout autre forme de début d’intégration, (formation professionnelle, linguistique, …) Les décisions quant à ces transferts sont prises par les préfectures, mais l’information est difficile à obtenir notamment pour les défenseurs des droits des étrangers.

Les organisations en charge de l’accueil lors du débarquement, réunies au sein du « Praesidium », à savoir le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, Save The Children, l’Organisation Mondiale pour les Migrations et la Croix Rouge sont également prévenues au dernier moment, et ne peuvent ou ne veulent pas toujours délivrer ce type d’informations. .

La possibilité d’assister à un débarquement dépend également de chacune des préfectures.

Il faut parfois solliciter une autorisation officielle. Cette demande se fait par courrier électronique adressé soit à une personne précise, soit à un service, parfois pour une opération déterminée, parfois pour une période plus longue..De plus la situation évolue constamment. Ces derniers temps justement, notamment en raison de la « menace terroriste », ces autorisations sont de plus en plus difficiles à obtenir..

A Catane cependant, aucune autorisation n’est pour le moment à proprement parler nécessaire..

De la gare il me faut environ 40 minutes de marche, dont une vingtaine au milieu des conteneurs avant d’arriver au quai numéro 12, non sans avoir fait un détour par la capitainerie..

Alors oui, on peut entrer dans le port.. de là à s’approcher..on peut se mettre derrière une barrière, échanger quelques mots avec une opératrice de Save The Children, son collègue de l’OIM qui n’en a pas très envie, et un peu la Croix Rouge mais seulement au porte-parole officiel. L’opérateur de l’OIM, m’explique qu’il est chargé de s’occuper des migrants économiques et des victimes de traite, tandis que l’UNHCR, qui n’est pas présent sur le port (aujourd’hui)[1], s’occupe des demandeurs d’asile, et Save the Children des mineurs isolés..

Il échappe cependant une petite phrase à l’un de mes interlocuteurs qui me laisse perplexe : il me donne des exemples de migrants économiques, en fonction de leur nationalité Marocains, Tunisiens, Nigériens, Egyptiens, ..Or l’Italie, contrairement à ce que permet la directive Européenne « Procédure » [2], n’a pas prévu de liste de « pays sûrs », liste de pays , que chacun des états membres de l’UE considère comme suffisamment respectueux des droits de l’Homme pour ne pas reconnaître à leur ressortissants les même garanties de procédures d’asile qu’à ceux d’autres pays..

De facto, après avoir interrogé les militants locaux, cette liste existe bel et bien entre autres à travers les pratiques des opérateurs présents lors des débarquements. Cela signifie donc à demi-mots que les personnes des dîtes nationalités seraient a priori par la suite non pas dirigées vers un centre destiné à l’accueil des demandeurs d’asile mais vers un Centre d’Identification et d’Expulsion, ou directement embarqués sur des vols charters, en direction de leur pays d’origine ou de transit, surtout si l’Italie a signé des accords de réadmission avec ces Etats (Egypte, Maroc, Tunisie) ..

Comme pour se rattraper, l’opérateur me précise cependant que s’ils semblent en remplir les conditions.. ils pourront éventuellement demander l’asile  partir de ces centres..

Sur ce, je suis cordialement priée de rester en retrait, c’est-à-dire derrière deux barrières, 3 carabinieri, et quelques ambulances de la Croix Rouges, et de la protection civile.

Je fais alors connaissance avec un journaliste, qui me présente quelques protagonistes, les carabinieri et polizioti qui sont là pour veiller au bon déroulement général des opérations, ( c’est-à-dire à ce que personne ne « s’échappe », et à ce que les journalistes ou autres perturbateurs ne s’approchent pas de trop près) le personnel de police en civil, voué à la recherche de passeurs, brigades anti-terroriste et anti-drogues.

16 heure, le Fiorillo, navire des gardes côtes arrive avec deux heures de retard par rapport à l’heure annoncée, normal, me dira-t-on.

Dans le cadre de la recherche de potentiels passeurs, les migrants sont fouillés et leurs téléphones contrôlés à bord du navire.

Puis les personnes débarquent, femmes et enfants en premier. A leur arrivée, la police attribue à chacun un numéro, à l’aide d’un papier et d’un tampon (ces personnes sont bien des chiffres, à placer sous haute surveillance). Immédiatement après, leur température est prise, ainsi qu’une photo.

Sous les tentes de la Croix Rouge des premiers soins et informations sanitaires sont donnés.

Un homme est emmené par une ambulance de la Croix Rouge, par mesure de précaution, me dira-t-on par la suite.

Les autres, en file indienne par ordre d’arrivée, attendent que des repas leur soient distribués par la Protection Civile. Certains d’entre ces femmes et hommes, étant pieds nuds, des chaussures neuves leur sont également distribuées. Toujours debouts, leur repas à la main, essayant tant bien que mal leurs chaussures, leur attente se poursuit pour passer devant quatre fonctionnaires de police qui les identifie: noms, prénoms, âges. Il s’agit seulement là d’une première déclaration, (d’autres examens seront effectués plus tard).

 

Tout ceci est naturellement très long, et les gens s’impatientent, les policiers s’énervent un peu..

Toujours impossible pour moi d’obtenir des informations exactes par exemple sur le nombre de personnes vulnérables et leurs nationalités, tanpis, je rappellerai la responsable « médias » de Save the Children ou de l’OIM.

Les journalistes sont déjà partis, ils n’étaient que quatre, représentant deux journaux seulement.

Il est 19 heures 30 quand je quitte le port, le Fiorillo va accoster sur un autre quai, impossible d’échanger avec le commandant. Dommage, on m’avait laissé entendre que ce serait éventuellement possible.

[1] Je serai informée par la suite qu’en fonction des ports, et des périodes le UNHCR est représenté, par exemple à Augusta.

[2] Article 37 de la directive Européenne du 26 juin 2013 dîte « Procédure »