945619_10200859587124099_314200101_n

« Au moins une fois dans la vie tu vas avoir besoin d’un médecin, d’un avocat,

d’un architecte, mais tous les jours, trois fois par jours tu auras besoin d’un agriculteur. »

La Via Campesina a défini le 17 avril comme étant la journée internationale des luttes paysannes en mémoire du massacre de 19 paysans sans-terre du Brésil le 17 avril 1996. Cette journée veut rendre visible et dénoncer la criminalisation des manifestations, les persécutions et les violences auxquelles doivent faire face quotidiennement les paysan-nes qui luttent contre le développement de l’agriculture industrielle et de l’intégration globale des marchés des produits agricoles.

Depuis 1996, cette journée d’action s’est amplifiée et renforcée, avec une mobilisation au niveau mondial « consolidant la solidarité et la résistance tout en intensifiant les alliances entre la campagne et la ville au bénéfice d’un projet de société fondé sur la justice sociale et la dignité des peuples. » Cette journée est devenue une journée pour la souveraineté alimentaire et cette année, elle visait à mettre en avant la lutte contre les traités de libre échange.

La Via Campesina, « la voie paysanne » en espagnol, est le principal mouvement international de paysan-nnes familiaux qui fait le lien entre des organisations de petit-es et moyen-nnes paysan-nnes, de travailleur-ses agricoles, de femmes rurales, de communautés indigènes d’Asie, des Amériques, d’Europe et d’Afrique, elle est implantée dans plus de 70 pays et représente plus de 200 millions de paysannes et de paysans.
Pour cette journée du 17 avril 2015, un lobby tour sur les impacts du TTIP et d’autres traités de libre échange sur l’alimentation et l’agriculture était organisé par le Corporate Europe Observatory (CEO) et la Coordination Européenne de Via Campesina (ECVC) à Bruxelles. Nous avons fait une visite guidée des édifices où siègent et agissent des lobbies de l’agro-industrie, et des institutions européennes où se préparent les négociations du TTIP dont le principal but est de servir les intérêts des multinationales. Nous avons terminé la journée par une visite bruyante et imprévue à la direction générale pour l’agriculture de la Commission Européenne afin de rappeler au principal négociateur du TTIP pour le volet agricole, John Clarke qu’il y a et aura de la résistance pour que ce traité ne se fasse pas.

 

 

11136627_10153319077434273_7497014871315297254_n

 

 

11140015_10153322260954273_8836419632055713248_n

 

11148600_10153322263864273_4886433121361468703_n

 

Le 17 avril était également le dernier jour d’une semaine de rencontres et de travail au sein d’ECVC à Bruxelles regroupant des paysan-nes et militant-es Europen-nes et d’Asie centrale pour travailler sur l’application des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale. Ces Directives du Comité pour la Sécurité Alimentaire * visent à apporter un cadre légale pour « une sécurité foncière et un accès équitable à la terre, aux pêches et aux forêts […] en prenant en compte toutes les formes de régimes fonciers: publics, privés, communautaires, autochtones, coutumiers et informels  » [2]. La consécration de cette directive est très importante pour le réseau ECVC, en effet c’est la première fois que la terre est appréhendée de manière holistique, comme ayant une fonction économique mais aussi sociale et défendue comme un droit humain, et non pas comme une seule marchandise.

Les droits fonciers sont essentiels pour assurer l’accès à des ressources productives et celles-ci sont à leur tour fondamentalement importantes pour la réalisation du droit à l’alimentation. Le but de cet article patchorwk est de donner des pistes pour comprendre les enjeux de ces droits fonciers et le travail de la Via Campesina pour amplifier les voix de la résistance.

Seed%20laws%20poster%20FR%20THUMBarticle

La souveraineté alimentaire en réponse à la guerre des « cartels de nouveaux seigneurs féodaux »[4].

La Via Campesina et la Coordination Européenne de la Via Campesina militent pour la souveraineté alimentaire qui exige la restitution du système alimentaire à celles et ceux à qui il appartient, autrement dit, « la tierra es de quien la trabaja » selon Emiliano Zapata (« la terre est à celles et ceux qui la travaillent ») . La définition de ce concept est très controversée, pour la Via Campesina c’est :

 

« le droit des peuples à une alimentation saine, dans le respect des cultures, produite à l’aide de méthodes durables et respectueuses de l’environnement, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles. Elle place les producteurs, distributeurs et consommateurs des aliments au cœur des systèmes et politiques alimentaires en lieu et place des exigences des marchés et des transnationales. Elle défend les intérêts et l’intégration de la prochaine génération. Elle représente une stratégie de résistance et de démantèlement du commerce entrepreneurial et du régime alimentaire actuel. Elle donne des orientations pour que les systèmes alimentaires, agricoles, halieutiques et d’élevage soient définis par les producteurs locaux. La souveraineté alimentaire donne la priorité aux économies et aux marchés locaux et nationaux et fait primer une agriculture paysanne et familiale, une pêche traditionnelle, un élevage de pasteurs, ainsi qu’une production, distribution et consommation alimentaires basées sur la durabilité environnementale, sociale et économique. La souveraineté alimentaire promeut un commerce transparent qui garantisse un revenu juste à tous les peuples et les droits des consommateurs à contrôler leurs aliments et leur alimentation. Elle garantit que les droits d’utiliser et de gérer nos terres, territoires, eaux, semences, bétail et biodiversité soient aux mains de ceux et celles qui produisent les aliments. La souveraineté alimentaire implique de nouvelles relations sociales, sans oppression et inégalités entres les hommes et les femmes, les peuples, les groupes raciaux, les classes sociales et les générations.  » [3]

La souveraineté alimentaire vient en réponse à une nécessité impérieuse de défendre l’agriculture paysanne face à l’offensive du système alimentaire industriel qui se déploie au travers de la libéralisation du marché agricole, avec comme outil principal les traités de libre échange. Cette expansion néo-libérale à l’oeuvre a pour conséquence une volonté sans limite des multinationales de l’agro-alimentaire d’avoir le contrôle de toute la chaîne alimentaire -de la production à la distribution des aliments- et sur les ressources (eau, semences et terres) mais entraîne également la destruction, avec la complicité de nos gouvernements de systèmes alimentaires entiers : ceux basés sur les marchés locaux, les cultures et les savoirs locaux, la biodiversité et surtout les peuples.

La libéralisation du marché agricole donne lieu à un déséquilibre inédit. Les producteurs industriels et les paysans familiaux ne se battent pas à armes égales, ce déséquilibre est renforcé par les subventions publiques, Jean Ziegler -ancien rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation- illustre ce gouffre par cette image : « sur un même ring de boxe s’affronte Mike Tyson, le champion poids lourds, et un chômeur bengali sous-alimenté. Que disent les ayatollahs du dogme néolibéral ? L’égalité de la confrontation est assurée puisque les deux combattants ont les mêmes gants de boxe, qu’ils ont le même temps de combat et que ses règles sont identiques. Quant à l’arbitre, il est impartial, puisque c’est le marché. » [4]

 

d

Jean Ziegler dénonce ardemment les conséquences mortifères de ce système au sud :

« Le massacre de millions de personnes, de femmes, d’hommes et d’enfants par la faim tous les jours, est le scandale de notre temps, par an meurt environ 1% de l’humanité, c’est à dire 70 millions de personnes toutes causes de morts confondues, 35 millions des 70 millions qui meurent par an meurent par la faim, par la sous alimentation ou par de ses conséquences immédiates. Toutes les 5 secondes un enfant en dessous de 10 ans meurt de faim, 37 000 meurent tous les jours, et presque un milliard sur les 6 que nous sommes sont en permanence sous alimentées n’ont pas de vie sexuelle, de travail, sont mutilés par la faim, le même world food report de la FAO, qui donne les chiffres des victimes qui ne sont contestés par personne, dit que l’agriculture mondiale dans le développement actuel de ses forces de production pourrait nourrir normalement 12 milliards d’êtres humains, presque le double de l’humanité, autrement dit il n’y a plus sur cette terre de manque objectif, conclusion : un enfant qui meurt de faim maintenant où nous parlons est assassiné. Les mécanismes qui créent ce massacre sont multiples : l’accaparement des terres, la spéculation sur les denrées alimentaires, sur les matières premières, le dumping agricole (subventions à l’exportation), dette extérieure qui empêche totalement les pays d’investir dans l’agriculture, les accords de libre échange etc. » [5]

Nous nous pencherons ici sur le phénomène de concentration et d’accaparement des terres, bien connus au sud mais aussi répandu en Europe.

 

La recherche de « l’or vert » au sud comme au nord

L’accaparement des terres réfère essentiellement à un :

« accaparement du contrôle, c’est-à-dire la capture du pouvoir de contrôler la terre et autres ressources associées telles que l’eau, les minéraux ou les forêts, afin de contrôler les bénéfices liés à leurs utilisations; en d’autres termes, le projet « d’établir ou consolider les formes d’accès à la richesse foncière ». [6]

Cela peut inclure un :

« accaparement virtuel des terres » où, « derrière la façade d’acquisitions foncières pour un objectif énoncé, se cache un agenda d’appropriation de subventions, d’obtention de crédit bancaire utilisant les permis fonciers comme garantie, ou encore de spéculation sur l’augmentation future de la valeur des terre. Virtuel ou réel, l’accaparement est par essence politique, étant donné que l’enjeu est le pouvoir de décider comment et à quelles fins la terre et l’eau peuvent être utilisées aujourd’hui et dans le futur. » [6]

Il existe de multiples formes de dépossession de la terre, l’artificialisation [7] et la concentration des terres sont les plus communs en Europe.

Au sud, des grandes multinationales, souvent soutenues par les états “achètent” des terres à très bas prix pour y implanter des monocultures d’exportation ou des exploitations minières, des projets de barrage hydro-électriques notamment. Avec ou sans titre de propriétés des paysan-nes sont chassés de leurs terres et la résistance est férocement réprimée.

La répartition inégales des terres fertiles est une des causes majeures de la faim et de la pauvreté dans le monde, les latifundia (grandes propriétés terriennes) sont un héritage de l’époque coloniale et existent dans de nombreux pays du sud, la concentration des terres est par exemple très forte au Brésil où 2% des propriétaires fonciers possèdent 56% de la totalité des terres privées. Le phénomène d’accaparement s’est accéléré depuis la crise alimentaire de 2008 et selon Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, l’accélération de ce processus d’accaparement est lié à :

« a) la course à la production d’agrocarburants comme solution de remplacement des combustibles fossiles, phénomène encouragé par des incitations fiscales et des subventions dans les pays développés; b) l’essor démographique et l’urbanisation, conjugués à l’épuisement des ressources naturelles dans certains pays qui de ce fait considèrent les acquisitions foncières à grande échelle comme un moyen d’assurer leur sécurité alimentaire à long terme; c) une préoccupation grandissante, dans certains pays, concernant la disponibilité d’eau douce, qui devient une ressource rare dans plusieurs régions; d) la demande croissante de certains produits de base provenant de pays tropicaux, en particulier les fibres et autres produits ligneux; e) les subventions escomptées pour
encourager le stockage du carbone par le reboisement et la lutte contre la déforestation f) et la spéculation, de la part des investisseurs privés plus particulièrement, sur les futures
augmentations du prix des terres arables ». [8 ]

Il ajoute qu’entre 2006 et 2009 « 15 à 20 millions d’hectares de terres agricoles dans les pays en développement ont fait l’objet de transactions ou de négociations avec des investisseurs étrangers » [8], dont l’Afrique subsaharienne serait la cible privilégiée, mais aussi certains pays d’Europe centrale, d’Asie et d’Amérique Latine.

Une grande partie de ces terres sont accaparées pour la production d’agro-carburants au détriment donc des cultures vivrières et de l’environnement. Selon J Ziegler

« non seulement les agrocarburants dévorent chaque année des centaines de millions de tonnes de maïs, de blé et autres aliments, non seulement leur production libère dans l’atmosphère des millions de tonnes de dioxyde de carbone, mais, en plus, ils provoquent des désastres sociaux dans les pays où les sociétés transcontinentales qui les fabriquent deviennent dominantes ». Il fait ensuite référence au cas du programme Pro-alcool au Brésil pour dénoncer l’esclavage dont sont victimes les coupeurs de canne à sucre.[9]

Il est courant de parler d’accaparement des terres en parlant des pays du sud, mais cet accaparement est aussi bel et bien réel en Europe, selon le Transnational Institute (TNI) qui a consacré plusieurs travaux sur le thème en partenariat avec ECVC, cet accaparement est multiformes.

Selon le rapport de TNI [10] La terre est accaparée dans toute l’Europe pour de multiples raisons : la production de matières premières pour l’industrie alimentaire dominée par des sociétés transnationales, l’industrie extractive, la bioénergie, les « accaparements verts » tels que les grandes serres solaires, l’expansion urbaine, les intérêts immobiliers, les enclaves touristiques et autres projets commerciaux. En France, par exemple, chaque année plus de 60 000 ha de terres agricoles sont perdus pour laisser la place à des routes, des supermarchés et à l’expansion urbaine ou à des parcs de loisirs. Il s’agit souvent de cas éparpillés concernant de petites transactions foncières. Mais ils participent au processus et ont tendance à empiéter sur les terres agricoles les plus fertiles et les plus productives.

Le phénomène de concentration des terres en Europe toujours plus grand a été encouragée par l’Union Européenne, notamment au travers des aides de la PAC, selon ce même rapport il y a une corrélation directe entre le contrôle de la terre et l’accès aux subsides de la PAC. En Espagne par exemple, en 2009, 75 pour cent des subsides ont été au bénéfice de seulement 16 pour cent des plus grandes exploitations. En Hongrie, en 2009, 8.6 pour cent des exploitations ont bénéficié de 72 pour cent du total des subsides agricoles. [10]

Le rapport détaille que outre la concentration foncière, de nouveaux acteurs se mettent à accaparer des terres, en particulier en Europe de l’Est. Le rapport souligne des cas impliquant des entreprises chinoises produisant du maïs à grande échelle en Bulgarie, des entreprises du Moyen Orient s’embarquant dans la production de céréales à grande échelle en Roumanie, et d’entreprises européennes s’emparant de terres dans de nombreux pays européens dans la poursuite d’objectifs divers, agricoles et non agricoles. Similairement à ce qui se passe en Éthiopie, au Cambodge ou au Paraguay, toutes ces transactions foncières ont été menées de manière obscure et non transparente. Comme ailleurs, les «accapareurs » sont des sociétés étrangères et nationales, qui bénéficient d’une participation apparente de capital européen régional, et qui incluent tant l’agrobusiness traditionnel contrôlant les chaînes de marchandises que le capital financier incluant des fonds de pension, comparable à ce qui se passe en Amérique latine et en Asie du Sud-est.

Les enjeux autour de la terre-et des ressources en général- sont cruciaux et pourtant ils ne sont pas considérés comme tels : les droits fonciers relatifs à la terre sont conçus sans tenir compte des droits humains or les droits fonciers (dans les modèles de la paysannerie traditionnelle) assurent l’accès à des ressources productives qui assurent à leur tour le droit à l’alimentation qui est un droit humain fondamental.
Il y a une majeure contradiction lorsque l’on sait qu’une grande partie de celleux qui sont concerné-es par la faim et l’accaparement des terres sont celleux qui produisent notre alimentation.

Face à ce grignotage des terres arables plusieurs instruments juridiques ont été pensés et travaillés par la Via Campesina, constituant la première pierre à l’édifice d’une longue bataille.

Vers une reconnaissance juridique du droit à la terre?

 

C’est donc dans un contexte – d’absence de réformes agraires, de pratiques de déplacements forcés, d’accaparements des terres à grande échelle, d’assassinats, de règles inéquitables du commerce, de spéculations boursières sur les produits alimentaires, de discriminations et d’exclusions à l’encontre des paysan-nes – constituant des violations graves et massives des droits humains qu’il faut considérer avec importance la revendication des paysan-ne-s concernant la reconnaisance du droit à la terre et du droit à l’alimentation.

Le droit à la terre n’est pas codifié en tant que tel dans le droit international et pourtant l’accès à la nourriture constitue une prérogative inaliénable, gravée dans le marbre de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée le 10 décembre 1948 à Paris par l’Assemblée générale des Nations Unies.

Selon Olivier de Schutter :

« l’adoption d’une Déclaration sur les Droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales augmenterait la visibilité sur les droits qui sont déjà reconnus en droit international, et aiderait à reconnaître de nouveaux droits, tels que les droits à la terre, aux semences, et à l’indemnisation pour les pertes dues à des subventions alimentaires accordées aux agriculteurs des autres pays. » [11]

La Via Campesina et ses alliés se sont engagé-e-s dans un processus de définition des droits paysans qui après sept ans de débats internes a été adoptée en 2008 [12], ce processus de définition, soutenu par une large coalition d’organisations paysannes de luttes intenses a été repris par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2012, mouliné par des experts pour être traduit en langage “accepté” en vue de la création d’une Déclaration du Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur les droits paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.

Cette déclaration est au stade de l’élaboration, et nécessite encore un travail intense de plaidoyer à tous les niveaux face aux refus répétés des Etats Unis et de certains pays européens qu’une telle déclaration existe et vienne renforcer les droits déjà existants dans le pacte économique, sociaux et culturels pour l’Union Européenne par exemple. Cette déclaration n’est pas, selon Diego Monton***, une fin en soi, mais un outil pour les luttes, afin de traduire ses principes dans les législations nationales, d’obtenir des politiques publiques puis de les faire appliquer sur le terrain. »

Ce projet reflète une vision holistique de l’identité paysanne, reconnait et revendique la fonction sociale de la terre. Il inclut entre autre le respect des travailleur-ses de la terre, de l’environnement, le droit aux semances, à un revenu digne et le droit aux ressources productives ainsi que la propriété collective ou communautaire des terres, et des territoires. Selon Diego Montón (de la Coordination latino-americana de organizaciones del campo) :

“la déclaration doit couvrir non seulement les paysans mais aussi les pêcheurs, les éleveurs, les travailleurs agricoles, les travailleurs sans terres, les peuples indigènes, c’est-à-dire toutes les personnes dont le travail permet la production d’aliments, on parle d’un ensemble très grand et important de population qui vit et travaille dans ce que l’on pourrait appeler l’ économie populaire, avec un objectif, derrière leur travail, qui n’est pas le profit et l’accumulation de capital, mais la reproduction sociale de leur famille, de leur communauté et de leur peuple dans le cadre d’une vie digne.” [13]

Le droit à la terre est un élément essentiel de cette déclaration qui concerne l’accès à la terre et aussi la sécurité et l’équité de l’occupation, l’article 4 alinéa 3 de ce dit projet consacre par exemple le droit “d’exploiter et de posséder des terres en friche dont les paysans dépendent pour subsister”, l’alinéa 4 prône la fonction sociale de la terre, bannit le latifundia face à la propriété privée absolutiste prône llla le droit d’occuper des terres improductives et le droit d’usage collectif ou communautaire de la terre. Aussi il est revendiqué le droit pour les paysans qui défendent la terre “de ne pas être pénalisé pour leurs revendications” et “le droit de résister à l’oppression et de recourir à l’action directe pacifique.”

Selon Federico Pacheco du SOC (sindicato obrero del campo)**,

“cette déclaration a pour objectif de garantir la survie des paysans et leur mode de vie avec les implications culturelles et sociales que cela signifie, et pour le bénéfice du reste de la société, de l’environnement et de la planète.” Elle fait émerger de nouveaux outils juridiques parce qu’il y a une “nouvelle réalité, une attaque et une offensive énorme contre le monde rural, inimaginable il y a quelques années, et qui nécessite de nouveaux instruments juridiques, de nouveaux droits et une nouvelle protection.” [13]

 

 

D’autre part ECVC et d’autres alliés travaillent avec d’autres acteur-trices de la “société civile” sur la mise en oeuvre des Directives sur le foncier adoptés par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale* qui contiennent d’importants outils qui pourraient également contribuer à renforcer les organisations dans leur combat global pour sécuriser l’usage et la gestion des ressources naturelles et des biens communs dans le but de produire davantage d’aliments de meilleure qualité, et de respecter ainsi les travailleur-ses de la terre. [14]

En 2012, les Etats membres de l’UE ont adopté des directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts en Europe et Asie centrale au sein du Comité pour la Sécurité Alimentaire.

“Les Directives ont pour objectif de promouvoir la gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts. Leur but ultime est de garantir la sécurité alimentaire pour tous et de promouvoir la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale. Les directives visent également à faire en sorte que les populations disposent de moyens de subsistance durables et à assurer la stabilité sociale, la sécurité en matière de logement, le développement rural, la protection de l’environnement, ainsi qu’un développement économique et social durable. Ils proposent aux États un cadre qu’ils pourront utiliser pour élaborer leurs propres stratégies, politiques, législations, programmes et activités. » [12]

Il s’agit d’une première prise en compte de la question de la terre dans la législation européenne et mondiale, le but étant de poser un cadre et des critères « non économiques » entourant l’acquisition d’une terre qui passeront par le respect de critères minimums basés sur la prise en compte de l’environnement social et culturel de la terre.

Ces directives sont pour l’instant volontairement appliquées par les états, et constituent une ligne directrice de conduite. Elles constituent une étape significative dans le déploiement de nouvelles règles relatives aux droits fonciers applicables aux terres agricoles pouvant constituer un outil de lutte contre l’accaparement et la concentration des terres mais aussi un outil permettant un meilleur accès à la terre pour les petits producteurs-trices.

Ces directives sont l’illustration d’un ré-équilibrage du rapport de force dans les institutions en faveur des luttes enracinés à la base, elles sont le fruit d’un combat pour que les acteur-trices concernés imposent leur vision autour de la table des négociations. La pression constante à l’échelle des institutions internationales a permi d’obtenir un outil qui sera la base pour mettre pression sur les états pour son application.

“Malgré ces limitations importantes, les mouvements sociaux disposent maintenant d’un nouvel outil international sur lequel ils peuvent s’appuyer au moment d’exiger de leurs gouvernements des mesures llocales ou nationales pour stopper les accaparements de terre. Un cap méthodologique important a été franchi, car les directives illustrent que la participation directe des personnes les plus concernées par un sujet à la rédaction des politiques sur celui-ci est possible et fructueuse. Ces directives volontaires sont un cadre politique international dans lequel ni la Banque mondiale, ni le FMI n’ont réussi à imposer leur vision des choses. Parvenir à extraire des mains de la Banque mondiale le monopole sur la définition des politiques en matière d’accès à la terre et de réforme agraire est un résultat non négligeable.”[15]

En janvier dernier, un avis du Conseil économique et social européen sur l’accaparement des terres a d’ailleurs été adopté, ce qui représente une avancée importante dans la reconnaissance de l’accaparement et de la concentration des terres qui était jusque là ignoré par les institutions européennes.

 

 

 

 

Photos Jean-Yves Leblon – www.facebook.com/Jyl.Photographer

 

[1] « Vous entendez ? C’est votre monde qui s’écroule… » Les seules paroles prononcées par le Sous-commandant insurgé Marcos qui ont accompagné vendredi 21 décembre 2012 l’impressionnante manifestation silencieuse de dizaines de milliers de bases d’appui de l’Ejercito Zapatista de Liberacion Nacional, qui ont envahi pendant plusieurs heures le centre des principales villes indigènes du Chiapas, Mexique. La suite a été une série de communiqués que je vous conseille de lire : http://enlacezapatista.ezln.org.mx/
http://espoirchiapas.blogspot.be/

[2]http://www.fao.org/nr/tenure/voluntary-guidelines/fr/

[3] http://nyeleni.org/spip.php?article286

[4] http://oecoumene.free.fr/IMG/pdf/Critique_Jean_Ziegler_Destruction_massive-_Geopolitique_de_la_faim1.pdf

[5] http://blogs.mediapart.fr/blog/fred-oberson/211211/destruction-massive-le-dernier-livre-de-jean-ziegler

[6] http://www.tni.org/sites/www.tni.org/files/download/laccaparement_des_terres_francais.pdf

Une autre définition de l’accaparement est proposé par Borras, dans le rapport de TNI « … l’accaparement de terres est la prise de contrôle sur des étendues relativement vastes de terres et sur d’autres ressources naturelles par le biais de divers mécanismes et formes impliquant des capitaux à grande échelle qui, souvent, transforment l’usage des ressources à l’extraction, tant à des fins internationales que nationales, en tant que réponse du capital à la convergence des crises alimentaire, énergétique et financière, des efforts d’atténuation du changement climatique et des demandes de ressources de la part de nouveaux noyaux du capital mondial. »

[7] L’artificialisation de la terre est un changement complet de l’usage des sols entraînant la perte de capacité agricole et de biodiversité. Gagnées sur des espaces naturels ou cultivés, ces surfaces artificielles regroupent l’habitat et les espaces verts associés, les zones industrielles et commerciales, les équipements sportifs ou de loisirs, ou encore les routes et parkings. Le processus d’artificialisation est le plus souvent irréversible.
http://www.natura-sciences.com/environnement/lartificialisation-des-sols-en-france-un-ravage-meconnu204.html

[8] http://www.oecd.org/fr/csao/45285650.pdf

[9] http://oecoumene.free.fr/IMG/pdf/Critique_Jean_Ziegler_Destruction_massive-_Geopolitique_de_la_faim1.pdf

[10] http://www.tni.org/sites/www.tni.org/files/download/laccaparement_des_terres_francais.pdf

[11] http://www.confederationpaysanne.fr/actu.php?id=2697&PHPSESSID=07nlfl98mjl7bqrjo87vippl92

[12] http://viacampesina.net/downloads/PDF/FR-3.pdf

[13] http://www.cetim.ch/blog/2014/11/26/des-dirigeants-de-la-via-campesina-a-geneve/

[14] http://www.fao.org/nr/tenure/voluntary-guidelines/fr/

[15] http://viacampesina.org/downloads/pdf/fr/report-no.4-FR-2012-comp.pdf

 

 

*Sur le Comité de Sécruité Alimentaire : http://viacampesina.org/downloads/pdf/fr/report-no.4-FR-2012-comp.pdf

** interview Federico Patcheco http://www.cetim.ch/blog/2015/04/07/entretien-avec-federico-pacheco-dirigeant-du-soc-sat-andalousie-espagne/

*** Intervention comité consultatif ONU Diego Monton Février 2015 ; https://www.youtube.com/watch?v=W6SJ_dp1SQk

Pour aller plus loin :

-Geneviève Savigny sur la Via Campesina : https://www.youtube.com/watch?v=nwW85kYqWWQ

-Grain : la souveraineté alimentaire pour les nuls. http://www.grain.org/fr/article/entries/5101-souverainete-alimentaire-5-etapes-pour-refroidir-la-planete-et-nourrir-sa-population

-Bon bouquin sur les stratégies et tactiques de grandes corporations qui contrôlent la production et la distribution des aliments. Hold up sur l’alimentation : http://www.grain.org/fr/article/entries/4612-hold-up-sur-l-alimentation-un-nouveau-livre-de-grain

-Un exemple d’accaparement au sud dans « somos viento », un petit documentaire de 35 minutes sur l’imposition du plus grand parc éolien d’Amérique Latine dans l’état de Oaxaca, au Mexique. https://www.youtube.com/watch?v=vtW69wG5aKQ

-Transnational institute : www.tni.org
-TNI sur le concept de souveraineté alimentaire : http://www.yale.edu/agrarianstudies/foodsovereignty/papers.html

-Interview susan george (attac) : https://www.youtube.com/watch?v=LCssMMpTatQ

-Sur l’accaparement des terres en Roumanie : http://www.forumcivique.org/fr/articles/roumaniele-paysan-roumain-conna%C3%AEt-il-ses-voisins

– Une chanson sur la privatisation de…. tout au Mexique: Se vende mi pais, Oscar Chavez https://www.youtube.com/watch?v=Tc1PHHmsN5Q