3 – Halte aux déguerpissements et à la politique du Bulldozer 

Parmi les milliers de participants, je repère assez rapidement le gang du droit au logement. En effet, nous disposons d’un « aimant naturel » qui nous rassemble autours de débats et activités communes : nous nous croisons lors des visites de quartiers, lors des réunions d’organisation interne des réseaux, lors de nos ateliers respectifs ou encore dans les couloirs de l’université. Etant donné que le monde est à présent peuplé de plus 50% d’individus bien urbains, le droit au logement va être amené à devenir l’une des problématiques mondiales les plus en vogue dans les années à venir. Voici une immersion exclusive au cœur de ces réseaux…

 

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En premier lieux, nous avons les réseaux internationaux

HIC « Habitat International Coalition » fédère un très large réseau constitué de : petites associations, plus grosses ONG, banques de développement, autres coalitions, plateformes, unions, fondations, instituts de recherche etc. HIC est le réseau global le plus « en place » (le plus ancien, le plus institutionnalisé) et fait office de relais auprès des grandes instances internationales telle qu’ONU-Hab. Il appui également la production de nombreuses études et publications portant par exemple sur la fonction sociale de la terre, l’évaluation du degré de participation de la société civile dans la préparation de la conférence Internationale qui se tiendra à Quito l’année prochaine : Habitat III et de multiples problématiques qui permettent de faire avancer le droit à la ville et le droit au logement à une échelle internationale.

IAI « International Assembly of Inhabitants», est l’équivalent d’HIC mais ses réseaux membres ne sont pas tout à fait les mêmes (question d’affinité avec leurs modes de fonctionnement interne, objectifs et finalités) et ils ne portent pas les mêmes projets. Ce réseau est à l’origine du Tribunal International des Expulsions qui permet de répertorier et dénoncer les expulsions massives et illégales qui ont lieu à travers le monde et, ainsi, demander expressément aux gouvernements et aux institutions internationales de mettre fin à ces violations extrêmes des droits humains fondamentaux.

No Vox est le mouvement des sans voix (pas seulement des victimes de mal-logement ou des personnes menacées d’expulsion, mais également des travailleurs précaires, des petits agriculteurs expropriés de leurs terres etc.) et lutte contre l’injustice sociale dans sa globalité. Elle est l’organisation la plus proche du peuple, celle dont les luttes sont les plus diverses, et également celle qui est la plus présente sur le continent africain (en particulier en Afrique de l’Ouest).

Ces réseaux internationaux sont à l’initiative d’un agenda global qui doit permettre aux mouvements d’exprimer la force de la société civile face aux autorités publiques; Notamment à travers l’organisation d’événements internationaux majeurs tels que : la Journée Mondiale de l’Habitat (le 6 octobre) ; les forums Urbains Mondiaux (les derniers en date se sont déroulés à Naples et à Medellin en 2012 et 2014); Habita III, la conférence des Nations Unies pour le logement et pour un développement urbain durable (qui se déroulera à Quito en 2016); Parallèlement sont organisés de nombreux colloques et workshops internationaux et régionaux pour faire avancer les débats, montrer les avancées en termes de politiques publiques ou encore mettre en lumière les projets fructueux développés autours de ces thématiques.

L’objectif de ces réseaux est de pouvoir initier un changement sur le long-terme et de lutter contre les politiques en faveur des propriétés privées individuelles, de la spéculation foncière, et des méga-projets et ainsi contribuer à plus large échelle à la protection de nos territoires. Ils contribuent à la reconnaissance, à la défense et l’application du droit à la ville.

De nombreux autres réseaux internationaux ont bourgeonné : Habitat for Humanity, Slum Dwellers International, Via Campesina (d’avantage focalisé sur les problématiques foncières rurales), UCLG (Villes et Gouvernements Locaux Unis, qui représentent les acteurs institutionnels) … pour n’en citer que quelques-uns.

En second lieu nous avons les réseaux régionaux

Ils peuvent être issus de subdivisions des réseaux internationaux. Par exemple HIC a des représentants régionaux qui sont en charge de la coordination des pays de leurs régions respectives; ce qui leur permet d’adapter leurs modes d’intervention en fonction de problématiques régionales ciblées.

Ils sont aussi constitués de groupements de mouvements qui souhaitent mener des actions communes et se renforcer à travers l’appartenance à un réseau régional. Ils se retrouvent alors sur différents combats. La Coalition des mouvements européens pour le Droit au logement et à la Ville en fait parti. Elle est née de l’envie de renforcer les interactions entre les réseaux européens qui luttaient, dans leurs pays respectifs pour le droit au logement; de faire en sorte que les mouvements puissent s’accomplir et se fortifier à travers l’appartenance à ce réseau et ainsi faire échos à leurs actions de terrain (actions anti-MIPIM, anti-Blackstone, contre l’accord TAFTA). Elle encourage l’ensemble des mouvements membres à prendre part aux luttes des autres mouvements par la rédaction d’articles, de communiqués, la mise en œuvre de différentes stratégies pour renforcer le poids de la contestation et faire pression sur les autorités locales en cas de violation de ces droits fondamentaux.

L’exemple de la Coalition des mouvements européens pour le Droit à la Ville et au Logement nous montre que, malgré leur diversité et leurs divergences (en termes de politiques de logement, stratégies organisationnelles et moyens d’actions), les mouvements parviendront toujours à se retrouver autours de luttes communes : l’antilibéralisme, la financiarisation du parc de logement et des villes en général, la privatisations des équipements  et terrains publics, la lutte contre la crise et les politiques d’austérités etc.

Puis individuellement

Parallèlement, les mouvements sont moteurs d’études et de projets pilotes, à une échelle locale, nationale, européenne ou globale, portant sur : la production sociale de l’habitat, les dynamiques de mobilisation citoyenne, la participation habitante à la prise de décision et à la proposition de projets alternatifs de rénovation urbaine, le travail de conscientisation publique. Ils engagent des rapports de force contre les autorités publiques et les décideurs pour faire tomber les œillères capitalistes dont ils disposent lorsqu’il est question de développement urbain et exiger des alternatives, basées sur le respect de la fonction sociale de la ville. Plus ces contre-pouvoirs seront organisés et influents, plus leurs marges de manœuvre seront importantes.

Voici quelques exemples des belles initiatives :

 « Prenons la ville »

Des mouvements des quatre coins du monde sont venus au FSM 2015 pour se rencontrer, échanger, consolider des projets communs ou tout simplement se greffer aux réseaux.

Tout droit venus du Japon, de Taiwan, d’Inde, de Colombie, du Brésil, de Tunisie, du Maroc, de France, du Portugal, de Suède, d’Angleterre, du Mexique, du Pérou, du Mali, du Togo, du Sénégal, du Burkina Faso ou encore du Zimbabwe (en dehors de l’Océanie, tous les continents sont représentés), les mouvements ratissent ensemble les sujets de fond : fonction sociale de la terre (urbaine ou rurale), production sociale de l’habitat, sécurité alimentaire, justice spatiale, enjeux fonciers en périphéries, leviers de défense de nos quartiers populaires, des peuples sous l’occupation, vision de l’urbanisme comme arme cachée du capitalisme, participation, financiarisation des villes, rachat massifs de quartiers par des fonds d’investissements internationaux, homogénéisation des villes, « touristification », invention de nouveaux espaces de démocratie, dimension politique et sociale de la transformation urbaine …

Ça discute à bâtons rompus, ça échange des expériences, ça se questionne : Comment recenser les expulsions pour pouvoir ensuite exiger le relogement digne et adéquat de TOUTES les familles ? Comment lutter contre la financiarisation du parcs immobilier, soit l’achat massif de logements par des fonds d’investissements internationaux ? Comment mettre en oeuvre un contrôle de loyers ? Comment faire respecter les droits des locataires ? Comment parvenir à l’annulation des dettes des hypothéqués ?

Quelles alternatives à la ville capitaliste ? Comment mettre fin au triptyque gagnant : financiers, investisseurs et propriétaires qui gambadent allègrement sur leur plateau de Monopoly alors que ceux que l’on appelle les « urban poors » subissent de plein fouet la troïka, qui se charge de les accabler encore davantage.

Quel positionnement adopter face à l’organisation d’Habitat III ? Les mouvements sociaux représentent en effet la société civile, grande absente du processus de consultation mis en oeuvre dans le cadre de la préparation de la conférence. Faut-il contester l’organisation de cette conférence ou faire en sorte de pouvoir s’y exprimer librement ? Cette question ne sera pas tranchée pendant le forum. Certain mouvements sont dors et déjà impliqués dans le processus d’organisation alors que d’autres aspirent d’avantage à lancer une contre-conférence.

En réalité, aucune question ne sera tranchée. La grande richesse du FSM se passe en dehors des temps formels de débat. Elle se fait en « off », par des rencontres, des énergies qui se croisent et de là naît l’envie de mener une lutte commune, de développer une étude, de lancer un projet… Ces actions diverses sont le fuel du Droit au Logement, qui émane avant tout d’initiatives locales. Le fait de fédérer en réseaux les mouvements du monde entier doit avant tout permettre à ces luttes de gagner en visibilité et de renforcer leur crédibilité face aux autorités publiques.

Vient alors de temps des convergences : on fait le bilan, on résume les points fondamentaux des différents ateliers qui se sont déroulés pendant le forum et on rédige un énième texte qui permet d’affirmer les positions communes qui ont été prises. Ce manifeste me laisse comme une impression de déjà vu. Mais peu importe, du moment que, par cet acte fédérateur, les mouvements se sentent regonflés à bloc pour continuer le combat !

HASTA LA VICTORIA SIEMPRE