Quatre ans déjà me séparent de ma première expérience de Forum Social Mondial, haut lieu de convergence, que dis-je, d’ « agglutinement » [1] de l’ensemble des mouvements sociaux internationaux qui œuvrent pour la construction d’un monde meilleur. De Dakar à Tunis, de la teranga à la terre insoumise, d’étudiante à jeune urbaniste je poursuis ma conquête du droit à la ville. Alors que la période 2011-2015 fut personnellement marquée par quatre années de construction professionnelle, l’Histoire de la Tunisie, a, quand à elle, connu le Printemps Arabe. La révolution, la chute de Ben Ali, vous connaissez la chanson !

 

I. Séance d’échauffement

Même si on connait la chanson et malgré mon expérience récente à Sfax la traditionaliste, il m’a quand même paru nécessaire de faire un petit point sur la question tunisienne avant de partir. Je me suis donc arrêtée sur l’interrogation qui battait tout les records d’audience concernant l’organisation de ce forum : Pourquoi, deux ans après l’organisation du précédent forum à Tunis (2013, NDLR), réitérer l’expérience ?

En 2013, la Tunisie ouvrait la voix aux Printemps Arabes : le Forum Social Mondial s’était alors déroulé au cœur du tournant de sa vie politique et citoyenne. Près de 50 000 personnes, 4000 organisations et 127 pays avaient répondu à l’appel. L’organisation du Forum à Tunis, espace vital pour les mouvements sociaux qui luttent pour que les peuples restent maîtres de leur destinée, devait permettre de renforcer la transition des régimes autoritaires de cette région-brasier.

Quatre ans plus tard, alors que la Tunisie entre dans sa dernière phase de transition institutionnelle (élections législatives et présidentielles) les brèches révolutionnaires du monde Arabe se referment progressivement : en Algérie (théâtre d’une crise de succession) les protestations ont été tuées dans l’œuf ; En Libye, de nombreuses tribus rivales s’affrontent pour la rentre pétrolière (le pays doit faire face tant aux conflits idéologiques internes qu’à l’ingérence internationale) ; La Syrie est mise à feu et à sang par une Guerre Civile qui apparaît, pour le moment, sans issue ; Au Maroc la protestation a été contenue par le régime monarchique surpuissant (Yes my Lord, on ne badine pas avec le Roi).

Les révolutions ont été un terreau fertile pour l’expansion des mouvements islamistes dans la région. Elles ont marqué l’apparition d’un nouvel ordre Islamiste, soit une heureuse alchimie entre l’islam politique et la démocratie.

Les différents mouvements ont cherché à convaincre qu’ils ne sont pas les ennemis de la démocratie mais qu’ils sont capables de partager le pouvoir et que les opinions nationales et internationales n’ont pas à s’inquiéter de leurs victoires aux élections qui succèdent les révoltes du Monde arabe. Ennahdha en Tunisie, le PJD [2] marocain, les Frères musulmans en Egypte : adoptent plus ou moins les mêmes stratégies. Pendant ce temps là, des groupes armés islamistes (nettement plus radicaux) continuent leur expansion par les armes et la violence dans l’ensemble de la région…

groupesarmés

Source : Agence IDE

 

En Tunisie, l’islamo-banditisme est marqué par la présence à l’ouest de la Brigade Okba Ibn Nafâa de sacrés bandits qui fricotent avec la frontière algérienne et ont adopté les mêmes techniques d’intervention qu’AQMI. Mieux vaut ne pas s’aventurer par plaisir de grand air dans les hauts-reliefs tunisiens.

 

perilsauxfrontières

Source : Le Monde

 

Peut-on dire que le modèle de transition Tunisien est freiné par la présence d’un islamisme radical?

Depuis décembre dernier, Béji Caid Essebsi (88 ans et toutes ses dents) s’impose comme le grand manitou de la transition tunisienne. Il est le fondateur du parti Nidaa Tounes [3], qu’il mènera à la victoire lors des élections législatives de 2014. Il s’agit d’un parti progressiste qui revendique un héritage « made in Bourguiba » (père de l’indépendance Tunisienne) : État de droit, Démocratie, émancipation de la femme, Education sur la base des valeurs universelles, Islam tolérant, sortie de crise progressive, renouvellement du modèle de développement (développement régional et politiques sectorielles, développer l’emploi), Nidaa Tounes  possède 85 sièges sur 217 au sein du nouveau parlement. Cependant, dans les circonscriptions [4] électorales du sud du pays, Ennahdha (mouvement de la renaissance, de tendance islamiste) reste majoritaire, ce qui peut créer certaines tensions et est à l’origine d’une polarisation politique.

Nouvelle constitution, check ! Il ne reste plus qu’à aligner sur cette dernière (qui a soufflé sa première bougie il y a peu de temps) pas moins de 450 lois, une broutille ! La météo de l’économie nationale n’est pas au beau fixe : elle doit  braver la crise structurelle des banques publiques et privées, se délester d’une bureaucratie ultra-centralisée qui bloque son développement et conquérir les investisseurs avides de réformes libérales qui souhaitent venir prendre leur part du gâteau. La Révolution OUI mais à quel prix ? Petit bilan de la Tunisie actuelle : le pays s’enfonce dans la crise, l’endettement s’enlise, les populations précaires se paupérisent, la corruption mène bon train, les économies parallèles foisonnent aux frontières Syriennes et Algériennes et la menace de contagion de la crise Libyenne est importante. Malgré tout, l’esprit post-révolutionnaire persiste, et la Tunisie semble plus que jamais tournée vers le changement.

Je me souviens de Sfax, capitale du Sud, protectionniste et tournée vers le monde Arabe. Et j’imagine Tunis en capitale de la révolution et foyer de la transition démocratique. Les idéaux progressistes pourront-ils définitivement prendre racine dans une région qui abrite de nombreuses menaces ?

Visiblement la balance commence à pencher, pas forcément dans le sens espéré …

 

[1] vocabulaire utilisé par les FSMistes les plus aguerris !

[2] Parti de la Justice et du Développement, de référentiel Islamique

[3] Le parti Nidaa Tounes, né en 2012, à pour but de rassembler l’opposition face à Ennahdha

[4] La Tunisie compte 27 circonscriptions éléctorales