Lorsque l’on arrive dans le quartier de la Baixada da Olaria à Resende (RJ, Brésil), il n’y a pas de doute, on sent tout de suite qu’on ne va pas y déambuler seul la nuit. Mecs musclés le torse nu bondés de tatouages, jeunes femmes rendues anorexiques par la drogue, dents pourries par le crack et ventres d’adolescentes gonflées par les grossesses précoces … De quoi faire pâlir à première vue n’importe quelle ménagère avide d’images de délinquance que procurent à volonté les grandes chaînes de télévision.

  On commence par vous prévenir gentiment de ne jamais vous aventurer seul dans le quartier, sous aucun prétexte. Puis, on vous raconte que le dernier assassinat, a eu lieu il y a deux semaines, à quelques dizaines de mètres de là où vous dormez. Un jeune de 17 ans, un règlement de comptes dû à la drogue, arme automatique. Un scénario d’une banalité que l’on ne prend pas la peine de vous en raconter les détails. La principale préoccupation ici est désormais d’éviter d’autres représailles car les menaces de mort fusent dans le quartier. Un jeune a d’ailleurs échappé à des tirs à son domicile la nuit dernière. Ceci n’est qu’une bribe de ce que vit le quartier et déjà on peut sentir à quel point le quotidien peut être pesant pour ces familles. J’ai entendu en quelques jours tellement d’histoires de drogues, viols, prostitution, prison, meurtres que j’en ai perdu le compte… Toutes les familles ont connu au moins un de ces fléaux et la plupart les collectionnent. Il est difficile de parler de la réalité de ce quartier sans craindre que l’on vous accuse de vouloir faire du sensationnalisme. J’ai donc choisi de détailler un phénomène étrange qui se développe dans ce quartier et en dit beaucoup sur sa réalité sociale.

L’action se déroule sur un terrain vague situé en face de la rue la plus fréquentée. Sur l’herbe qui pousse de façon anarchique sont disposés deux ou trois rondins de bois faisant office de fauteuils, un sofa crasseux et une table bancale qui supporte tant bien que mal les bouteilles de cachaça. De grands arbres font de l’ombre rendant cet endroit bien plus agréable que les abris de 20m² où l’on vit à huit sous des tôles amplifiant une chaleur déjà insupportable. C’est ici que tous les perdus, les alcooliques, les sans-espoir passent leurs jours et leurs nuits aux yeux de tous. Les voisins appellent cet endroit « Big Brother », en référence à cette émission mère de toutes les télé-réalités (ayant inspiré la création de Loft Story en France). Pour eux, c’est la « maison la plus surveillée du quartier ». Sauf qu’au lieu de se dérouler dans une villa avec piscine, truffée de caméras et remplie de têtes à claques avec de faux problèmes ; les protagonistes sont pour la plupart des SDFs avec bien moins pour survivre que le non moins célèbre « Koh Lanta ».

L’interactivité avec les téléspectateurs tant recherchée par ces émissions est bien plus forte dans notre cas puisque « les participants » vous saluent à chaque fois que vous passez et discutent volontiers avec qui veut bien s’arrêter. Ils sont à peu près toujours les mêmes, donc le « public » (comprendre les voisins) les connaît bien. Parfois, ils vous mettront même à contribution pour payer la prochaine tournée de pinga (nom populaire de la cachaça). Vous pouvez vous approcher sans crainte, il n’y a jamais plus de violence qu’une petite altercation après avoir trop bu, dit-on. Pas d’armes, pas de couteaux, ni de trafiquants, l’endroit étant trop visible et trop désuet pour ces derniers. Globalement, on y passe un bon moment : on mange, on joue, on boit, on dort… Rien de bien différent finalement.

Les « pics d’audience » ont lieu lors des engueulades aux hautes heures de la nuit, des pleurs au souvenir de la perte d’un être aimé ou encore lorsque un candidat trop ivre se fait reverser par une voiture qui essayait de se frayer un chemin. On raconte même que certains matins, on peut observer des scènes derrière certains bosquets rappelant celle de la piscine avec Jean-Edouard et Loana (Si vous ne savez pas de quoi je parle, cherchez sur internet et ensuite crevez-vous les yeux).

Le « Big Brother » de la Baixada est un lieu d’une certaine solidarité. Entre les candidats d’abord, on dit que tous, indépendamment de leur parcours de vie, sont acceptés de bon cœur dans cette antichambre de la mort, où la plupart ont tout perdu. L’acceptation dans la « maison » offre une épaule quand les chagrins de sa vie antérieure prennent le dessus, une main qui vous guide lorsque les tournants se font trop nombreux dans cette fichue ligne droite jusqu’au bar et une oreille qui ne juge pas vos histoires de vie. Le reste, les voisins le procurent : les restes de nourriture du churrasco (Barbecue à la brésilienne) de la veille, les soupes populaires du quartier, et quelques vêtements provenant des églises évangélistes du coin. Quant au divertissement, il est procuré par les enceintes géantes du bar d’en face, crachant un rythme de baile funk à toute heure de la journée. A cette constante, se rajoute la musique de toutes les voitures de trafiquants stationnées dans les rues, toutes les radios sortant des fenêtres ouvertes. Le tout, forme une symphonie unique composant le pouls de cette « maison » sans pareille.

Big Brother joue un autre rôle crucial dans la rue principale : celui de réseau social ancienne génération. Lorsqu’on veut se mettre à jour sur les derniers ragots ou les dernières rumeurs d’affrontements entre quadrilhas (gangs), c’est là qu’il faut se diriger, car si Big Brother est visible, Big Brother est aussi un poste d’observation et un lieu de passage privilégié. Paraît-il que lorsqu’il n’y a pas un chat dans la « maison », c’est qu’ils sont au courant qu’il va se passer quelque chose de grave d’ici peu. Lors de ces moments de « publicité », il est préférable de vous abriter vous aussi. Et pendant un instant, c’est toute la rue qui patiente nerveusement.

Mais, parlons sérieusement, il existe aussi les moments tristes, où le jeu se durcit et certains participants se retrouvent « éliminés », poussant la métaphore à son comble. En effet, lorsque la malnutrition, les abus d’alcool et de crack vont trop loin, certains disparaissent pour de bon. Les voisins font le compte, et vous diront, partagés entre amusement et résignation sur la réalité du quartier : « Déjà 5 éliminés dans la maison de Big Brother…».

Étrangement, on les envie presque dans le quartier. Ils sont heureux affirme-t-on. Pas d’obligation, pas d’effort à faire, pas de famille à laquelle rendre compte. Une forme de pré-retraite en quelque sorte. La légende dit que ces veinards n’attrapent pas la dengue car aucun moustique ne serait assez fou pour tremper son dard dans autant d’alcool…

Voilà comment, dans la Baixada, on tente tant bien que mal de rire de sa propre misère, et de celle des autres. Hormis les questions évidentes que cela pose sur la défection des pouvoirs publics dans ces quartiers et les ravages causés par le trafic de drogues dans la région, cela nous interpelle aussi sur notre propre réalité. Le parallèle flagrant entre la réalité du quartier de la Baixada et les scénarios de certaines télé-réalités en dit beaucoup sur le sens profond de ce genre d’émission, qui attire tant de monde sans que l’on n’en sache toujours réellement la raison. Nous aussi, aurions-nous besoin de rire de la misère (intellectuelle, dans notre cas) des autres pour mieux vivre la nôtre ?

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