Chez Kebe,

Chez Kebe, médina de Tanger

Chez Kebe n’est pas une simple restaurant.

D’abord, c’est un restaurant sénégalais au Maroc, plutôt rare comme truc.

En plus, Chez Kebe c’est en plein coeur de la médina de Tanger, près du petit Socco.

C’est un bout de terrasse loué au café d’à côté où les hommes boivent le thé et regardent le foot.

 

Chez Kebe, c’est un projet solidaire, plat unique de mafé/yassa/thiep (paraît même que parfois il y a du couscous sénégalais!) à prix unique de 25 dirhams.

Le système de « plat en attente » est fait pour que ceux/celles qui sont plus à l’aise achètent des plats en avance pour ceux/celles qui arrivent avec la faim au ventre mais wallou dans les poches.

Kebe, on le voit partout sur les murs, sur des photos/articles de journaux. Mais ce n’est pas lui qui concocte ces délicieux plats, à la cuisine et aux commandes du resto ce sont plusieurs femmes sénégalaises qui mènent la baguette et régalent les papilles de tou-te-s.

 

Alors Kebe, c’est qui? Il est où, il fait quoi?

 

photo par Julianna Nagy

Kebe Amadou dans la médina – photo par Julianna Nagy

 

Kebe Amadou est un ancien joueur de foot professionnel.

Venu jouer dans l’équipe d’Agadir, il est ensuite allé à Tanger. C’est dans les rues de la ville du nord qu’il a commencé à prendre conscience des difficultés de ses confrères sénégalais et autres ouest-africains en transit au Maroc.

C’est pour créer un petit havre de paix et de solidarité, un endroit où l’on puisse manger un bon gros plat chaud et se réunir, que Kebe a lancé son idée.

On peut encore voir la page du projet sur kisskissbankbank avec lequel il a pu pérenniser le restaurant.

Deux ans après son ouverture, chez Kebe c’est un peu une enseigne, tout le monde connait et vient s’y retrouver. C’est un lieu de rencontre et d’échange.

Kebe, l’homme, a lui depuis laissé le ballon rond pour devenir médiateur interculturel et social dans un centre d’accueil pour migrant-e-s. Le midi, il vient avaler son mafé et papoter avec les anciens et les nouveaux visiteurs-mangeurs.

photo par Julianna Nagy

photo par Julianna Nagy

Chez Kebe, est un de ces lieux, si petit et modeste, qu’on passerait à côté sans faire attention. Mais il est en fait d’une importance colossale du fait-même des idéaux qu’il diffuse et des rencontres qu’il permet de se réaliser, dans un Maroc et notamment une ville, celle de Tanger, où les tensions raciales restent palpables.

 

Dimanche dernier, dans le quartier périphérique de Boukhalef, des manifestations contre la présence des Subsaharien-ne-s retentissaient. Ce n’était pas la première fois.

Ce quartier marginalisé, où de nombreux logements vides sont occupés par des migrant-e-s subsaharien-ne-s, a été pendant longtemps le théâtre de rafles et d’arrestations violentes (passages à tabac, viols, racket…). L’année passée, en 2014, l’affaire de Charles Ndour, étudiant sénégalais assassiné à Boukhalef déclencha la révolte des migrant-e-s y vivant et plus largement dans tout le Maroc.

 

Les manifestations furent durement réprimée, avec des arrestations massives et la tentative de déportation de plusieurs subsahariens dont des témoins du meurtre. Parmi eux, le grand militant sénégalais Arona Samba, agent de terrain pour l’association ARMID depuis 2009, à Boukhalef.

Photo par Julianna Nagy

Arona Samba à Boukhalef – photo par Julianna Nagy

Avec le soutien de nombreuses organisations de défense des droits de l’Homme, Arona fut libéré, tandis que d’autres n’eurent pas cette chance et furent déportés vers leur pays d’origine, hors de tout cadre légal.

Depuis quelques temps, les arrestations et les agressions sont moins nombreuses, toutefois, la vie des migrant-e-s et des Subsaharien-ne-s en général reste une épreuve quotidienne. Mais des héros ordinaires qui luttent au quotidien pour les droits des Subsaharien-ne-s comme Arona Samba ou des espaces comme Chez Kebe constituent des espoirs vers une avancée des droits des migrant-e-s et des étranger-e-s au Maroc.

Kebe comme Arona contribuent également depuis quelques mois, bénévolement, en plus de toutes leurs activités, au projet Alarm Phone de Watch the Med pour la sécurité des migrant-e-s en mer.

Mais Arona, bien avant le lancement du projet était déjà un « numéro d’alarme » pour beaucoup de migrant-e-s qui tentaient les passages par la mer. « Mes amis m’appelaient et moi j’alertais les secours, le salvamento maritimo. »

Le projet d’Alarm phone entend justement venir en soutien de personnes qui, comme Arona (ou encore le père Zeraï ou la militante Helena Maleno), viennent individuellement, depuis longtemps, en soutien des personnes en détresse en mer, pour faire pression sur les autorités de sauvetage.

 

Il y en a d’autres encore, qu’il faudra rencontrer. Pour l’heure, ce qui est sûr, c’est qu’un vent de luttes souffle sur Tanger.