Bruxelles, le 22 mars 2015. Ce matin, j’observe pour une dernière fois la grisaille bruxelloise à travers la fenêtre de ma chambre avant de me diriger vers un tout autre horizon. Une joie sans équivoque s’empare de moi : c’est l’heure d’aller au Forum social mondial (FSM), à Tunis !

Le sac à dos enfilé, mes pensées sont d’ores et déjà tournées vers les multiples rencontres que je vais pouvoir y nouer, ainsi que les débats et autres conférences auxquelles je vais participer.

Malgré l’ambiance quelque peu morose et lourde provoquée par les derniers évènements de la capitale tunisienne, les organisateurs du FSM, ainsi que les dizaines de milliers de participants attendus ont décidé d’affirmer leur volonté à maintenir ce rassemblement international.

Ce rendez-vous me paraît d’une importance majeure puisqu’il permettra, je l’espère, de donner davantage de substance à la cause climatique. À mes yeux, le climat doit rompre avec le discours injonctif tel que « il faut réduire sa consommation d’électricité » ou encore « il convient de ne pas dépasser le taux de concentration de 450ppm de CO2 dans l’atmosphère si nous voulons éviter la catastrophe ». Ces paroles qui peuvent paraître bien souvent ésotériques, mais surtout loin des préoccupations du quotidien de tout un chacun, n’ont jamais apporté la puissance fédératrice ainsi que la prise de conscience nécessaires à la lutte contre le changement climatique. Le climat doit être la « cause parapluie » qui permette de créer des convergences entre les luttes sociales et environnementales. Ainsi, j’attends que ce FSM se présente en véritable tremplin afin de concrétiser ces coopérations entre les mouvements sociaux et les ceux dits environnementaux.

Tunis, le 23 mars 2014 2015. Pas le temps de se pavaner au soleil, la réunion internationale organisée par la Coalition Climat 21 sur le campus de l’Université El Manar débute aujourd’hui. Plus d’une centaine de participants sont présents. L’Europe occidentale demeure en surnombre, mais quelques représentants des autres continents ont également fait le déplacement.

Je m’arrêterai en particulier sur un atelier qui tentait de définir un « narratif », anglicisme à la mode ces derniers temps, que l’on souhaite construire pour inviter des dizaines de milliers de citoyens à se joindre à la grande mobilisation qui aura lieu lors de la COP 21.

Ce narratif doit bien évidemment émergé d’un consensus entre les différents participants de ce rassemblement. Au sein de cet atelier, une certaine diversité était de mise, et la parole à d’ailleurs été, dans un premier temps, donnée aux représentants des pays du Sud.

Une participante kenyane souligne tout d’abord l’importance de l’adaptation, et de la résilience des populations locales, deux sujets bien souvent délaissés dans l’ombre des objectifs de mitigation gaz à effets de serre.

Une voix brésilienne, du mouvement social Fase, s’élève ensuite afin de mettre en exergue l’importance des droits des peuples autochtones et traditionnels, et de la reconnaissance de leurs usages, respectueux, de la nature ainsi que de leur connaissance de cette dernière, bien plus avancée d’un point de vue écologiquement responsable que les cultures occidentales. Elle nous attire également l’attention sur l’importance de donner un coup d’arrêt à la marchandisation du monde et de la nature. Je retrouve dans ses dires quelques préceptes clefs du concept latino-américain Buen Vivir qui esquisse une alternative à l’idéologie et aux pratiques du développement, et qui s’inspire notamment des pratiques des communautés indigènes, en particulier dans sa version équatorienne Sumak Kawsay.

Une chercheuse asiatique du réseau Asia-Pacific Research Network décide de mettre l’accent sur la question des communautés les plus vulnérables ou frontline communities, c’est à dire les populations qui subissent d’ores et déjà de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique. Selon elle, ces communautés ne font pas souvenant le lien entre leurs difficultés quotidiennes  (accès à l’eau et au logement, terres incultivables, etc.) et le changement climatique. Elle identifie alors l' »éducation » comme principale solution, le but n’étant pas d’éduquer ces peuples, en adoptant la posture éducative habituelle de l’occidental éthnocentré qui vient sensibiliser les régions du Sud. Mais c’est plutôt de leur permettre de faire ce lien entre problématiques sociales, auxquelles ils font face chaque jour, et les problématiques climatiques.

Ce trait d’union entre le social et l’environnemental est à juste titre rappelé par une colombienne du Transnational Institue. Enfin ! Je dois avouer que je suis content d’entendre ces différentes interpellations qui posent les bonnes questions, en particulier cet effort de traduire la question climatique en termes sociaux.

La suite des discussions autour de la construction de ce narratif n’est pas aisée. Suite aux interventions des différentes voix des pays du Sud, les projecteurs ont été déplacés non plus sur le contenu mais sur la définition-même d’un narratif. La première réponse tarde, après un long silence à travers toute la salle, et c’est au facilitateur d’avouer que c’est un « échec », puisque lui-même, n’est pas capable de répondre à une telle question. Qu’appelle-t-on un narratif ? À quels besoins répond-t-il ?

Tadzio, activiste dans les mines de charbon allemandes, est très pragmatique. Il déclare qu’il est vital d’écrire une histoire qui permette d’ « expliquer aux individus que l’on souhaite mobiliser pourquoi ils doivent le faire »,et ainsi les convaincre de se joindre à la mobilisation.

D’autres participants répètent avec ardeur qu’il ne faut absolument pas refaire l’erreur de Copenhague : le sommet onusien ne sera en aucun cas la solution, et ne « fixera pas le climat ».

Un autre slogan qui semble faire consensus refait surface : « system change, not climate change ». Certes. Quelqu’un d’autre prend la parole et ajoute, à juste titre, qu’il convient dès lors de définir concrètement nos stratégies de transition vers ce changement systémique. Décidemment, je me réjouis d’être venu assisté à un tel débat, la plupart de mes questionnements sont ressorties de cette assemblée. Seul bémol : personne n’a de réponse à apporter. À cet égard, une indienne s’exclame : « mais quel type de modèle économique voulons-nous ?! ».

Nous sortons quelque peu du sujet de cet atelier qui tentait de définir un « narratif » qui nous permette de légitimer et de promouvoir notre Grand Rassemblement. Car, ce projet de mobilisation qui émane des citoyens, ce processus dit « bottom-up », ne doit pas s’essouffler, comme il l’a fait à Copenhague en 2009. Il doit pour ce faire venir se raccrocher à un projet plus global, un projet dit « top-down », complémentaire à la mobilisation, et qui permette d’unifier, de fédérer les alternatives existantes ainsi que les différents mouvements sociaux.

Que voulons-nous ? Nous voulons un changement paradigmatique, une issue au capitalisme. C’est d’ailleurs cette même conclusion qui est apparue à l’issue de chacun des ateliers du forum auxquels j’ai pu participé : un atelier sur le féminisme, un atelier sur l’histoire du mouvement altermondialiste, un autre sur l’islamophobie et l’antisémitisme, ou encore sur le droit universel de déplacement et d’installation. Chacun s’accorde pour dire que le réformisme ça ne marche pas, il convient ainsi d’être « radical », c’est à dire de revenir à la racine du problème : le système économique et social – pour reprendre les paroles d’une spécialiste belge sur les migrations présente au FSM.

Quid de ce projet global ? Celui-ci sera mondial mais il devra impérativement tenir compte des spécificités locales, de la diversité des peuples : l’on parle souvent à cet effet « d’unité dans la diversité ». Comment allier les alternatives locales et la Révolution globale ? Le climat peut remplir cette fonction de cause unificatrice, qui permettra de mailler les différentes luttes sociales et de porter un projet (politique ?) global, qui reste ainsi à définir.