A Rabat,

Le 01 avril 2015,

Messieurs hommes de partout et d’ailleurs,

Aujourd’hui, comme tous les jours depuis que je suis arrivée au Maroc, certains d’entre vous, hommes de tous âges, de toutes catégories sociales allez m’aborder dans la rue, en français, en anglais, en darija ou en espagnol. J’ai fait le calcul, sur un trajet moyen de trente minutes pour me rendre au travail (à pieds), en moyenne 5 d’entre vous m’interpellent. Environ chaque jour je marche une heure, donc 5 hommes toutes les demi-heures, ça fait 10 par jour. Mais il faut ajouter au moins le double d’interpellations durant les weekends. Allez, on va compter 20 par jour pendant les weekends. Alors, 8 semaines. 5 jours de travail par semaine : 5×10 = 50. 50×8= 400. 8 weekends. 8x2x20 = 320. 320 + 400 = 720. Je peux donc estimer que 720 fois, certains d’entre vous m’ont interpellé dans la rue depuis mon arrivée, il y a deux mois. Avec vos airs malicieux et contents, comme s’il y avait de quoi être fier. En m’invitant à prendre un café, en m’offrant une fleur ou simplement en me demandant comment je vais, des signes qui au premier abord pourraient paraître sympathiques. Mais derrière ces signes, se cache votre perversité, votre sentiment supérieur d’être un homme. Vous croyez que je suis flattée ? Vous pensez que ça me donne envie de vous connaître ?

Messieurs, ne vous méprenez pas, la galanterie ne nous séduit pas (toutes) et nous ne nous sentons pas (toutes) flattées par vos soit disant compliments.

Ce qui m’énerve encore plus (au-delà de me sentir comme un morceau de viande au milieu d’une meute de chiens affamés), c’est que lorsque je marche dans la rue, avec un des vôtres, un homme, alors là vous n’êtes plus du tout les mêmes ! Plus de regard pervers, plus de salutations, plus de sifflements. (Ah oui parce que vous aimez bien ça aussi, nous siffler). Comme si j’étais la propriété de l’homme avec lequel je suis, comme si vous ne me respectiez pas moi mais l’homme avec lequel je suis.

Messieurs marocains, ne vous méprenez pas, je ne vous mets pas tous dans le même panier. Vous n’êtes évidemment pas tous pareils. De la même façon, ne vous méprenez pas, cette lettre ne s’adresse pas uniquement à vous. Certes je suis furieuse contre vous car vous êtes en train de me gâcher mon séjour dans votre pays mais ce serait trop facile de croire que les machistes se trouvent uniquement au Maroc.

Votre machisme, votre sexisme, votre paternalisme, vos airs et sentiments supérieurs, vos activités quotidiennes de discrimination (comme si c’était un sport et que vous cherchiez à gagner une médaille) n’ont pas de nationalité. Marocains, français, togolais, espagnols, étasuniens, indiens, argentins, afghans, sénégalais, anglais, colombiens, russes, chinois, … bon je ne vais pas vous citer tous les pays où se trouvent des machistes car je devrais citer tous les pays du monde…

Votre plaisir à vous faire servir par les femmes, le droit que vous vous accordez à décider si une femme peut avoir le droit d’avorter ou pas, l’autorisation que vous vous donnez d’accuser une femme d’avoir provoqué et excité son violeur, le sentiment jouissif que avez à toucher un salaire plus élevé que votre collègue féminine qui exerce les mêmes fonctions que vous, le privilège que vous vous donnez à décider si une femme doit ou ne doit pas porter le voile, le droit que vous prenez à décider quand, comment, avec qui et pourquoi votre fille doit se marier, votre air paternaliste quand vous voulez soit disant protéger une femme mais que souhaitez simplement surveiller ses faits et gestes, le droit que vous prenez à décider si une femme peut ou ne peut pas préserver sa virginité, la permission que vous vous donnez à décider si une fille peut ou ne peut pas accéder à l’éducation, la droit que vous vous donnez à harceler moralement, physiquement ou sexuellement une femme, votre violence physique ou psychologique exercée envers vos épouses, vos filles, vos sœurs, vos voisines, toutes les femmes qui croisent votre chemin et même vos mères, … Uniquement parce que vous êtes des hommes. Cette liste de permissions, de droits et de privilèges est longue.

Messieurs, ne vous méprenez pas, je sais que votre sexisme n’a pas non plus de religion. On accuse souvent l’islam de discriminer la femme. Vous avez déjà vu un pape femme, vous ? De la même façon que votre misogynie n’a pas non plus de couleur politique.

Messieurs, ne vous méprenez pas, je sais également que vous n’êtes pas les seuls à discriminer les femmes, Marine qui rêve (pas vraiment secrètement) de devenir un jour présidente de la France n’est pas vraiment une grande féministe. Et elle n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de femmes sexistes.

Messieurs, ne vous méprenez pas, je sais que parmi vous, certains sont de grands féministes et que vous vous battez pour les droits de toutes les femmes. Vous n’êtes pas tous non plus des gros méchants et je ne prône pas un monde sans hommes, bien au contraire.

Messieurs, ne vous méprenez pas, je sais aussi que certains d’entre vous sont des victimes : viols, agressions homophobes et discriminations en tout genre.

Cependant, ces 720 interpellations depuis que je suis arrivée m’ont fait réfléchir aux conditions des femmes au Maroc mais aussi dans le monde entier. Je sais que j’ai de la chance d’être née dans une famille où je suis libre et respectée en tant que femme mais surtout simplement en tant qu’Etre humain. Cette lettre n’est donc pas une plainte personnelle.

Messieurs de toute nationalité, de toute confession religieuse, de toute couleur politique, de toute profession, de toute catégorie sociale, de tout âge, je ne vous demanderais pas de devenir des féministes du jour au lendemain, je ne suis pas utopiste et il y a bien longtemps que j’ai cessé de croire au Père-Noël (qui d’ailleurs n’avait pas l’air d’être un grand féministe). Mais je vous demande, de bien vouloir réfléchir aux comportements quotidiens que vous exercez vis-à-vis des femmes, celles qui vous entourent dans vos milieux sociaux, professionnels, personnels, familiaux, sexuels mais aussi vis-à-vis des femmes que vous ne connaissez pas mais que vous vous permettez de juger et de discriminer dans vos conversations entre mâles. Je vous demande de bien vouloir nous respecter et de nous considérer comme des Etres humains avec les mêmes droits, les mêmes libertés mais aussi les mêmes devoirs que vous. Je vous demande de bien vouloir nous considérer comme des personnes à part entière avec nos histoires personnelles, nos différences, nos choix de vie, nos libertés sexuelles et non pas comme un sexe homogène.

Je me tiens à votre disposition pour toute conversation ou tout débat.

Veuillez agréer, Messieurs, mes salutations respectueuses (oui parce que malgré tout je ne vous déteste pas, et je vous respecte).

Pauline