Il est 7H30.

Je me lève tranquillement. J’ouvre la fenêtre de ma grande chambre milanaise. Le temps vire au gris, l’air est frais et humide…

Je me dirige calmement vers la cuisine, heureuse de commencer une nouvelle journée, cette expérience de volontaire me plait bien. Je prépare la moka pour un bon café noir…Elle siffle déjà alors que je rêvasse devant la vitre sale en regardant la cour de cet endroit si particulier : l’ Espace de Secours Mutuel où l’on m’accueille à bras ouverts chaque jour un peu mieux..

Je verse le café dans une petite tasse, à l’italienne…Ce nectar matinal me remplit de joie et mes papilles s’éveillent peu à peu elles aussi.

Il est assez tôt, je souris, je pense à toutes les choses que vais pouvoir faire ce matin, ce midi et après. Tout à coup, brisant ce doux silence particulier, j’entends ma colloc’ se diriger rapidement vers la cuisine et, succédant son bienveillant « Buongiorno » à mon égard, elle me prévient d’une énième expulsion dans notre quartier…

Nous sautons dans nos jeans, brossons nos dents, et commençons la tournée des appartements voisins pour appeler les habitants…le café à moitié bu reste lui, sur la table de la cuisine…

Nous nous dirigeons vers la rue du quartier gardée de plusieurs camionnettes de police, et rejoignons au pas de course les habitants et les copains déjà mobilisés en face du logement où est en train de se dérouler l’expulsion…

Une famille avec deux enfants mineurs sont laissée à la rue, sous l’œil aux aguets des dizaines de CRS agglutinés devant le portail d’un ensemble de logements sociaux.

Nous sommes en face, unis, solidaires contre ces expulsions à répétition. De plus en plus dernièrement, l’Expo universelle de Milan approchant, les forces de police ont l’ordre de nettoyer ces quartiers suintant de pauvreté et de misère…

Le groupe ne faiblit pas devant l’intimidation implicite des casques bleus, et brandit banderoles rouges « stop sfratti e sgomberi ». Une femme à la voix imposante à coté de moi lance les chœurs habituels, on la surnomme le mégaphone vivant !

Nous sommes désormais une vingtaine, jeunes révoltés désireux d’une ville plus juste, habitants précaires italiens, immigrés, espérant une vie plus tranquille, bambins dans des poussettes dormant calmement…

Je pose un instant mon regard sur la situation, comme le spectateur externe d’une scène de vie. J’y vois de tout alors : violence, uniforme, pauvreté, grisaille, quartier délabré, entraide, jeunesse, sourires, volonté.

J’y vois surtout deux mondes opposés, celui de ceux qui agissent consciemment et celui de ceux qui suivent sans questions.

Devenir acteur de sa vie et de sa ville, être convaincu d’une juste cause pour aller la défendre dans la rue, cette rue qui appartient à tout un chacun. Voilà ce que j’apprends chaque jour différemment.

Demain, à 7H nous iront devant chez H. pour crier de nouveau stop aux expulsions, dans l’espoir de rendre la dignité à ceux qui ont besoin de soutien.