Vous trouvez ce titre bizarre ou absurde?

Moi, je me suis pourtant vite posée la question en regardant le programme de l’édition 2015 du Forum social mondial à Tunis.

Parmi les centaines d’ateliers, UN SEUL a abordé des luttes LGBTQI ++ (Lesbiennes Gays Bi-e-s Trans Queer Intersexe). Symbolique?

C’était mon premier FSM. Et c’est un des aspects qui m’a le plus questionnée.

Pourtant, avant d’y aller j’avais lu ça sur wikipedia :

Le Forum social mondial (ou FSM) est un forum international ayant pour but de faire se rencontrer des organisations citoyennes du monde entier sensibles à la cause altermondialiste (« Un autre monde est possible »). Traitant des principaux sujets de préoccupation de la société civile en rapport avec la mondialisation, cet événement se présente comme une alternative sociale au Forum économique mondial qui se déroule chaque année en janvier à Davos en Suisse.

La première édition du FSM s’est tenue en 2001 à Porto Alegre au Brésil. Depuis les réunions de 2002 et 2003, les forums sociaux à toutes les échelles sont régis par la Charte des principes du Forum social mondial, dont les principes les plus importants sont :

 

  • l’opposition à l’ordre « néo-libéral » caractérisant la mondialisation actuelle,
  • l’ouverture à tous les courants idéologiques pour les projets alternatifs,
  • l’absence des partis politiques en tant que tels.

« Un autre monde est possible », ça donne envie de penser à un évènement inclusif et non-discriminatoire.

Bon le monde est hétérocentré je le savais déjà avant d’aller au FSM, mais j’avais peut être un espoir dans cette rencontre « mondiale » d’ « altermondialistes ».

Bah non.

« Dignité et droits », dit le slogan de cette édition du forum… mais pour qui?  Apparemment au FSM de Tunis – je ne sais pas si c’était pareil aux précédentes éditions – un autre monde était possible mais plutôt entre hétéros.

Cela a même été violemment rappelé à la poignée de militants LGBTQI qui a osé sortir le drapeau arc en ciel. Des personnes ont voulu s’en prendre aux militant-e-s, heureusement d’autres se sont interposées pour que les choses ne tournent pas aussi mal que cela aurait pu.

Il y a eu par la suite une manifestation pour les droits des LGBTQI mais hors FSM.

 

Le FSM : un lieu pas « safe » pour les militants LGBTQI?

Un évènement sous-tendu par l’hétérosexisme?

Il me semble pourtant que tout individu impliqué dans les luttes pour un changement de paradigme social et sociétal devrait pouvoir participer, sereinement, au FSM.
Mais tel ne semble pas être le cas. Au FSM (et partout ailleurs en fait), progressisme ne rime pas systématiquement avec lutte contre le sexisme, la LGBTphobie, ou encore avec la lutte contre le racisme.

Il y a dans ce sens d’autres exemples, comme celui de démonstrations assurément antisémites. Non je ne fais pas l’amalgame avec l’antisionisme. Exemple en est, une grande affiche brandit pendant plusieurs jours dans un des lieux les plus passants du campus où se déroulait le FSM. À la vue de tou-te-s, était donc affiché fièrement (avec les selfies qui l’accompagnèrent) un dessin où avait été remplacé la croix gammée, par l’étoile juive, repris du visuel bien connu –>

(Heureusement j’ai pu me remonter le moral avec un super atelier organisé par l’UFJP, l’ATMF, Ismahane Chouder et l’UPJB sur la lutte conjointe d’assos juives et arabes contre l’islamophobie, l’antisémitisme et les discriminations.)

BREF, après avoir brisé ce second tabou, revenons au premier.

 

Faisons donc honneur au seul atelier ayant évoqué des luttes LGBTQI :

ASWAT – Palestinian gay women

C’est le collectif qui l’a organisé.

We are a group of lesbian, bisexual, transgender, intersex, questioning and queer Palestinian women. We came together in 2002 and established a home for Palestinian LBTQI women to allow safe, supportive and empowering spaces to express and address our personal, social and political struggles as a national indigenous minority living inside Israel; as women in a patriarchal society; and as LBTQI women in a wider hetro-normative culture.

 

Our Vision:

We envision a Palestinian Arab society that is capable of accepting and respecting the sexual and gender diversity of all its members in general and the LGBTQI people in particular;

 

Our mission
•    To empower Palestinian LBTQI women on the personal and social level;
•    To raise awareness of sexual orientations within the Arab and Palestinian society;
•    To change stereotypes regarding sexual orientation and gender identity;
•    To promote an alternative sexual and gender discourse within the Palestinian Arab community.

 

What we do
•    To Build capacities with our group members through training, empowerment courses and social activism;
•    To promote a better understanding of LGBTQI issues through education, advocacy, alternative media outreach, our publications and website;
•    To strengthen and consolidate cooperation with activists, community leaders and social change organizations to create spaces for mutual cooperation;
•    To build a Palestinian community with sexual diversity that is an integral part of the Palestinian society; one that is actively promoting the social and political struggle for equality and freedom.

Cet atelier était hyper intéressant car il mêlait les questions d’hétérosexisme, de racisme et de colonialisme.
Ainsi les militantes présentes ont abordé la situation des LGBTQI et les luttes féministes au sein de la population palestinienne mais également au sein de l’État militaire israélien, puisque toutes avaient un passeport israélien.

Elles ont souligné l’importance de l’intersectionnalité des luttes.

Je ne parlerai pas à leur place, elles ont écrit des tas d’articles et font des tas de projets passionnants, allez voir sur leur site : http://www.aswatgroup.org/en/content/information-publication

 

RACISME, HÉTÉROSEXISME, CLASSISME, BATTONS-NOUS CONTRE TOUS LES ESSENTIALISMES.

Le capitalisme, le colonialisme, sont des systèmes de division qui utilisent stratégiquement la « race », le sexe et la classe pour mieux assoir leurs règnes destructeurs.

 

Trêve de ismes.

À part ça, c’était quand même un peu sympa ce FSM. À côté des travers énoncés, j’ai pu participer à des ateliers très intéressants, rencontrer des gens passionnants.

Je me dis juste que je n’ai pas envie de passer sous silence les choses qui m’ont choquées. Je refuse un militantisme par intermittence, un militantisme à plusieurs vitesses. Soyons cohérent-e-s.

Dignité et droits pour TOU-TE-S. Ou rien.

 

En rentrant sur Rabat, un pote marocain membre d’un collectif de jeunes LGBTQI aussi dénommée ASWAT, m’a raconté son expérience de Tunis :

Il y a eu des moments durs au FSM, des gens ont voulu s’en prendre à nous. On a du partir du campus. Mais lors de la manif qu’on a faite dans la ville avec les camarades tunisien-ne-s, et bien c’était la première fois que je pouvais crier pour revendiquer mes droits dans la rue! C’était incroyable! Là je retourne dans mon pays et j’espère qu’un jour proche, je pourrais faire la même chose.

Cet ami avait subi une agression homophobe violente dans les rues de Rabat quelques semaines auparavant. Lors de son dépôt de plainte à la police, les agents présents lui ont fait la morale et ont refusé d’évoquer le vrai motif de l’agression dans le PV.
Au Maroc, comme en Tunisie, l’homosexualité est passible de trois ans de prison ferme, et est largement stigmatisée et considérée immorale au sein de la société.

Un autre monde n’est sûrement pas possible sans les militant-e-s LGBTQI, souvent à l’avant-garde de la pensée critique de nos sociétés actuelles et porteur-se-s de projets alternatifs, au croisement de toutes les luttes sociales.

 

UN article sur le sujet :

Yagg : « Se battre contre l’homophobie au forum social mondial de Tunis : pas évident. »

Aussi :

Le courrier de l’Atlas : « Tunisie. Première manifestation gay, en marge du FSM. »

 

Un conseil de lecture, parmi d’autres bien sûr, pour les organisateur-rice-s des FSM, leurs participant-e-s, en fait pour tout le monde, y compris hors FSM :

La pensée straight, de Monique Wittig, 1992 (quatrième de couverture) :

En 1978, Monique Wittig clôt sa conférence sur « La Pensée straight » par ces mots : « Les lesbiennes ne sont pas des femmes. » L’onde de choc provoquée par cet énoncé n’en finit pas de se faire ressentir, aujourd’hui encore, dans la théorie féministe et au-delà. En analysant l’aspect fondateur de la « naturalité » supposée de l’hétérosexualité au sein de nos structures de pensées, que ce soit par exemple dans l’anthropologie structurale ou la psychanalyse, Monique Wittig met au jour le fait que l’hétérosexualité n’est ni naturelle, ni un donné : l’hétérosexualité est un régime politique. Il importe donc, pour instaurer la lutte des « classes », de dépasser les catégories « hommes »/« femmes », catégories normatives et aliénantes. Dans ces conditions, le fait d’être lesbienne, c’est-à-dire hors-la-loi de la structure hétérosexuelle, aussi bien sociale que conceptuelle, est comme une brèche, une fissure permettant enfin de penser ce qui est « toujours déjà là ».