Il est 6h et quelques minutes, le train arrive à Nador.
Après un premier café nas-nas (avec un peu de lait), nous allons voir le lever du soleil au bord de l’eau.

Avant de passer la frontière :Nador, lever de soleil.

Avant de passer la frontière : Nador, lever de soleil.

Sans tarder, nous prenons un deuxième café nas-nas, accompagné de msemen (crèpe marocaine) cette fois. Ça y est, il est l’heure de notre premier rendez-vous, nous allons voir une association espagnole pour discuter des évènements récents (rafles massives des migrant-e-s dans la région).

Presque tous les campements ont été brûlés. Depuis les libérations des différents endroits, environ 150-200 personnes sont revenues. Mais la présence policière et militaire est continue. Gourougou est bouclée.

Maintenant les migrant-e-s reconstruisent petit à petit des campements dans les forêts alentours, vers Afra, Selouane, Bolingo… Mais les arrestations continuent.

C’est notre deuxième rendez-vous, avec des militants de l’AMDH Nador, qui nous racontent qu’il y a eu beaucoup d’arrestations de femmes ces derniers jours.

Déclaration de l’AMDH Nador sur les réseaux sociaux :

Ce matin 13 mars 2015 vers 6h les forces marocaines ont attaqué les campements de fortune des migrants subsahariens à Afrah; Boulingo et Bakouya. Bilan provisoire arrestation de 6 femmes dont trois mères d’enfants; 2 femmes enceintes et une célibataires à Bekouya, à Boulingo arrestation de 7 femmes. Les membres de l’AMDH Nador sont à la recherche de leurs lieux de détention.

C’est dans un orphelinat à Nador, que la police et la gendarmerie enferment régulièrement des femmes subsahariennes arrêtées dans les forêts. Après quelques jours, des militants arrivent à les faire sortir.

Encore quelques kawa et nous prenons un grand taxi pour Beni Ansar, porte d’entrée principale de l’enclave (« préside occupé » – dirait les Marocain-e-s) de Melilla (ou Mliliya).

 

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Graff dans Melilla, non loin de la frontière

 

À la frontière, c’est un peu le bordel. On passe un premier barrage de flics marocains. « C’est nouveau ça » dit une collègue en montrant la structure bleue formant le premier point de passage marocain. « C’est les Espagnols qui ont du financer ça, c’est exactement la même que la leur! ».
Deuxième barrage, contrôle passeport, on remplit le formulaire de sortie du territoire marocain. Ça va plutôt vite.
Puis troisième et dernier barrage, l’espagnol. À gauche, pour les Européen-ne-s, à droite pour les Marocain-e-s. La Policía regarde nos passeports et nous passons la porte cernée – de façon absurde – de barbelés (Ça sert à quoi là? À faire peur?).

Nous entrons, donc, dans le confetti espagnol.

 

  • FASCIST TOUR , CAÑAS & TAPAS
"Fachist tour", 1er arrêt, monument fachiste en plein centre ville de Melilla.

« Fascist tour« , 1er arrêt, monument fasciste en plein centre ville de Melilla.

 

 

Une amie qui connaît bien le coin nous fait faire la visite. Il fait beau. Après avoir bu quelques cañas (comprenez bières) et avalé quelques tapas, celle-ci nous propose de commencer le « fascist tour« .

 

 

 

 

"Fachist tour", 2e arrêt, mais qui est-ce?

« Fachist tour », 2e arrêt, mais qui est-ce?

Quand j’ai pris ma première photo du Commandant, un cycliste a crié en passant
à côté de moi :

i Viva España !

(Non, je vous assure, je n’en rajoute pas.)

Cette statue est en si bonne état qu’on penserait qu’elle date de 2014.

Melilla est la dernière ville espagnole possédant une statue de l’ancien dictateur debout.

 

Oui oui, c'est bien lui. Parfois, on voit même des couronnes de fleurs déposées à ces pieds.

Oui oui, c’est bien lui : le dictateur Franco

 

El « Generalísimo Francisco Franco, Caudillo de España por la Gracia de Dios » militaire, chef d’État et chef de gouvernement espagnol. De 1939 à 1975 il dirige un régime politique autoritaire et dictatorial (État franquiste).
Notre guide nous a racontés que lorsqu’elle vivait à Melilla, elle voyait régulièrement des couronnes de fleurs aux pieds de la statue…

 

 

Franco vous souhaite la bienvenue à Melilla

Franco vous souhaite la bienvenue à Melilla

Ce plaisant tour terminé, nous arpentons les rues du centre ville, les immeubles sont colorés et garnis comme des meringues, il y a plein de boutiques Duty free, c’est très propre (trop propre). Nous faisons connaissance avec la population locale : la police nationale, la police locale, la Guardia Civil (spéciale frontière, il y a les verts et les noirs), les militaires, la légion étrangère… À Melilla, on se sent… en sécurité! (??!!)
Les Espagnol-e-s et les Marocain-e-s semblent ne pas se mélanger, les migrant-e-s n’en parlons pas, où sont-ils/elles? (Tou-te-s au CETI, voir plus bas.)

 

Le soir, nous rencontrons des militant-e-s, au bar-QG du centre ville.
On échange sur la situation la frontière nord (du Maroc), la frontera sur (de l’Espagne).
Rapidement, la conversation va se concentrer sur la question des nouveaux bureaux d’asile placés aux frontières de Ceuta et Melilla.

 

  • EXTERNALISATION DES FRONTIÈRES DE L’UNION EUROPÉENNE ET POLITIQUES D’AFFICHAGE

On le savait, que ces bureaux étaient à l’essai depuis plusieurs mois, depuis septembre précisément.
En janvier, El Diario publiait un article dans lequel il reprenait les chiffres provisoires d’ACNUR Espagne qui annonçait que sur les 400 demandes d’asile qui avaient été déposées depuis que fonctionnaient les bureaux aux frontières de Ceuta et Melilla, AUCUNE demande ne concernait des personnes subsahariennes – mais en très grande majorité des Syrien-ne-s.

ACNUR, qu’est-ce donc? C’est l’acronyme espagnol pour dire UNHCR, soit le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies.

Généralement, l’UNHCR n’envoie des agent-e-s sur le terrain que dans les pays dits du « Sud ». Exception faite à Ceuta et Melilla, où sont en place deux personnes depuis le mois de juillet. Symbolique non?
Ce sont ces mêmes personnes et les militant-e-s qui dénoncent la supercherie que constituent ces nouveaux bureaux d’asile, bien que s’agissant d’une avancée, il est évident que pour le moment les personnes subsahariennes soit les Noir-e-s, ne peuvent pas accéder à ce droit. La raison est simple : ces personnes ne peuvent tout simplement PAS accéder à la frontière, elles seraient tout de suite arrêtées par les autorités marocaines. D’où les campements dans les montagnes de Gourougou et les tentatives quotidiennes d’assaut de la barrière, à haut risques (d’un côté, les forces auxiliaires marocaines, de l’autre, la Guardia Civil attendent les candidats pris en flagrant délit avec leurs poings, matraques et autres accessoires dont ils n’hésitent pas à faire usage, comme le racontent tous les migrants ayant tenté l’expérience).

Décomposition, de droite à gauche : la barrière marocaine, puis une tranchée, puis les trois barrières espagnoles (7 mètres pour les plus hautes). Barbelés partout. Droits humains nulle part. De petites portes insérés sur les barrières espagnoles permettent les "refoulements à chaud" tout juste légalisés.

Décomposition, de droite à gauche : la barrière marocaine, puis une tranchée, puis les trois barrières espagnoles (7 mètres pour les plus hautes). Barbelés partout. Droits humains nulle part. De petites portes insérées sur les barrières espagnoles permettent les « refoulements à chaud » bientôt légalisés.

 

Selon le militant José Palazón (association PRODEIN) – seule voix forte dénonçant les politiques migratoires et leurs conséquences depuis Melilla -, « La oficina de asilo solo sirve para callar bocas » (le bureau d’asile sert seulement à faire taire).

Une belle vitrine donc, pour le gouvernement espagnol qui procédait à l’inauguration officielle de ces nouveaux bureaux d’asile lundi 16 mars à Ceuta et mardi 17 mars à Melilla, alors quil va bientôt rendre légal l’illégal : les « devoluciones en caliente » (les refoulements à chaud) si pratiques pour renvoyer directement au Maroc les migrants subsahariens ayant réussi à sauter la barrière, sans avoir besoin de respecter la procédure légale qui oblige les autorités à faire des examens individuels des situations (Et si quelqu’un nécessitait d’une protection internationale/voulait demander l’asile?) puis d’envisager l’autorisation sur le territoire/la déportation.
Mais pourquoi s’encombrer de toutes ces complications quand on peut tout régler en deux temps trois mouvements en faisant passer les « assaillants » par la petite porte nichée dans la barrière.
Cela est complétement illégal, et dans la loi espagnole et dans la loi européenne. (Voir les craintes et critiques formulées par ACNUR et le commissaire des droits humains du Conseil de l’Europe). Qu’à cela ne tienne, rendons ça légal, se dit le ministre de l’Intérieur. L’amendement proposé dans ce sens a été approuvé par le Sénat, reste à obtenir son adoption définitive au Congrès. Affaire à suivre, mais revenons à nos bureaux d’asile-vitrine.

 

Photo issue du site du Ministère de l'Intérieur espagnol

Photo issue du site du Ministère de l’Intérieur espagnol

Mardi dernier donc, était inauguré officiellement le bureau d’asile à la frontière de Melilla. Ça tombe bien, j’y étais!
Accompagnée de plusieurs militantes, je tentais donc d’observer la cérémonie.
Évidemment, cela n’allait pas être du gâteau. Si un premier barrage policier nous dit « pas de problème, c’est public », nous eûmes des problèmes au deuxième barrage situé juste devant le nouveau bureau – il s’agit en fait d’un pré-fabriqué en plastic blanc de peut être 30 mètres carrés – où posaient le ministre de l’Intérieur Jorge Fernández Díaz et ses accompagnateur-rice-s.
Trois policiers espagnols nous tombèrent dessus, et sans pouvoir formuler trois mots on nous prit nos passeports et un flic mal caché nous prit en photo…
Bon bah, encore fichée…

Il me fallut donc lire les journaux pour avoir enfin la chance d’entendre les propos officiels quant à cette formidable avancée du droit d’asile à Melilla.

Le lendemain, le journal Melilla hoy (appelé communément par les militant-e-s Mentira hoy, soit Mensonge aujourd’hui) relatait les dire du Ministre de l’Intérieur : l’ouverture de ces nouveaux bureaux d’asile représente un nouvel « élan » pour le respect et la protection des droits humains aux frontières des deux villes autonomes.

Nouvel élan ou nouvel alibi pour faire passer les pires politiques en douceur?

L’externalisation des politiques migratoires de l’Union européenne va bon train. (Et oui, ça arrange bien qu’on fasse un tri des personnes demandeuses d’asile – pour le peu qui y arrivent – bien en amont des frontières de la forteresse Europe).

Mais cela suscite aussi beaucoup de questions côté marocain, comme l’écrit le journaliste Hassan Bentaleb dans un récent article :

Les ONG marocaines se demandent si l’ouverture d’un tel bureau a reçu l’aval du Royaume.  Et si la réponse est affirmative, est ce que cela suppose qu’il y a eu arrangement entre les deux pays ?  Y aura-t-il aussi coordination entre eux dans le traitement du dossier d’asile puisqu’ils  sont signataires de la Convention de Genève de 1951 ?
D’autres questions et non des moindres s’imposent : Quel sort sera-t-il réservé aux personnes déboutées ? Vont-elles demeurer en territoire marocain ou être refoulées vers leurs pays d’origine ? Le Maroc va-t-il se charger de leur refoulement ? Et qu’en est-il des  personnes en attente de dépôt de leurs dossiers ? Seront-elles sous protection marocaine et espagnole ?  Et qui sera chargé de leur fournir un toit et de la nourriture ?
Et least but last, le Royaume va-t-il accepter de jouer le rôle de concierge pour l’Espagne en ouvrant ses frontières devant les personnes qui cherchent une protection internationale sous les cieux européens ? Y aura-t-il davantage de contrôles et de pressions sur les migrants ?

Ces questions restent pour le moment sans réponse. Pendant ce temps-là, les migrant-e-s subsaharien-ne-s (et les autres d’ailleurs) croupissent au CETI (Centro de Estancia Temporal de Inmigrantes).

 

  •  » BOZA!!!  »  » Pero cuando salida…? « 

Après le « fascist tour », le « fence tour ».

Souvent partis des forêts de Gourougou, dans la nuit, ils ont couru jusqu’à l’un des pans de cette barrière. Vers 4-5h du matin, ils essayent de grimper à l’aide de crochets et de clous plantés dans les semelles de leurs chaussures.

Et parfois… BOZAAAAAA!

Boza, c’est un mot d’Afrique de l’Ouest qui signifie « victoire ». S’ils passent la barrière et que ni les forces marocaines ni la Guardia Civil n’est là alors les migrants, sans savoir où il se situe, courent encore avec leurs dernières forces jusqu’au CETI. C’est sûrement leur détermination sans limite qui leur permet de réaliser cet exploit physique.

CETI (Centro de Estancia Temporal de Inmigrantes)de Melilla

CETI de Melilla (à côté d’un beau terrain de golf)

Le CETI, c’est un centre de rétention mais « ouvert », dans le sens où les migrant-e-s peuvent circuler dehors la journée.

S’il était fait pour accueillir 480 migrant-e-s, il est actuellement saturé, aujourd’hui ce sont plus de 2000 personnes qui y sont résident-e-s. Syrien-ne-s en grande majorité, les Subsaharien-ne-s ne sont plus qu’une petite centaine.

Je fais la connaissance de plusieurs d’entre eux, certains sont là depuis presque sept mois. Ah oui un détail, dans les CETI (à Ceuta aussi donc), la rétention des migrant-e-s est à durée… illimitée.

Une question les obsède et chaque fois que le micro du centre retentit elle se pose :  » C‘est quand la salida?  » La salida, c’est le passage vers la « grande Espagne », la péninsule. Tous les jours ce sont des dizaines de Syrien-ne-s qui partent, mais des Subsaharien-ne-s peut être 3 ou 4… L’attente est insupportable.

 

Vue du CETI

Vue de près du CETI

Nous jouons aux cartes devant le CETI, j’ai appris un jeu malien, le 151. Un « nouveau boza » (arrivé il y a deux jours) demande, « c’est quand la salida? », les autres bloqués depuis des mois le regarde, dépités.

Quand on leur parle du nouveau bureau d’asile à la frontière, ils soufflent, « mais nous les Blacks on ne peut pas aller à la frontière ».
L’asile, on ne leur a pas expliqués ce que c’était, ils ont trop peur de le demander, trop peur de rester bloqués, encore et encore.

 

 

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Pour le militant José Palazón :  » Melilla, c’est une prison avec un beau balcon sur la mer « .

 

 

 

 

 

 

 

Quand je suis revenue de mission, tout le monde m’a demandé :  » Alors c’était comment Melilla? « .
Melilla, c’était à la fois passionnant et… horrifiant.

 

  • BIBLIOGRAPHIE, POUR EN SAVOIR PLUS

Quelques articles de presse sur l’actualité de Melilla, les nouveaux bureaux d’asile frontières et la prochaine légalisation des « refoulements à chaud » :

El Faro (journal de Melilla) : « La oficina de asilo solo sirve para callar bocas« 

Libération (journal marocain) : « L’Espagne entame la délocalisation de l’accueil de ses demandeurs d’asile »

El País : « Guiá rápida para entender lo que está pasando en Melilla »

EuropaPress : »Más de 1.300 peticiones de asilo en Melilla y ninguna de subsaharianos »

El Diario : Fernández Díaz inaugura las salas de asilo fronterizas antes de legalizar las expulsiones inmediatas

El Diario : Europa denuncia la ambigüedad de la enmienda que pretende legalizar las devoluciones en caliente

El Diario « Gráfico : Así es la valla de Melilla » (pour comprendre comment est composée la barrière qui entoure Melilla et quel exploit est celui de ceux qui font « BOZA »!).

Pour plus d’articles concernant la barrière de Melilla, un dossier consacré sur le blog Desalambre du journal El Diario : http://www.eldiario.es/desalambre/valla_de_melilla/

Voir aussi (ou surtout) le blog de Prodein et les vidéos et photos réalisées par José Palazón:

http://melillafronterasur.blogspot.com/

Article parlant d’une de ses photos ayant récemment fait le tour du monde : http://www.huffingtonpost.fr/2014/10/24/melilla-photo-migrants-golf-espagne-maroc_n_6041284.html

Pour aller plus loin, datant de 2005, un livre écrit par des membres du réseau Migreurop, téléchargeable en pdf :
Guerre aux migrants. Le livre noir de Ceuta et Melilla