Mardi 10 février, nous sommes en réunion d’équipe au GADEM. Je découvre un peu les modes de fonctionnement, chacun-e parle de ses avancements et de ses objectifs pour la période à venir. Moi je suis arrivée il y a quatre jours à peine, avec un week end entre Ceuta et Tanger. Je me présente et parle un peu de ma mission aux salarié-e-s que je n’avais pas encore rencontré-e-s.

Là, coup de téléphone, la nouvelle tombe: « Il y a eu une rafle massive à Gourougou, plus de 1000 personnes ont été arrêtées. Les migrants ont été transférés dans un camp près de Nador, on ne sait pas ce qui va se passer. »

 

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La réunion s’arrête, il faut partir en urgence à Nador. « Elsa, ça va être ta première mission d’enquête sur le terrain! ». Partir, quand? Ce soir? Demain? Finalement ce sera demain, avec le train de nuit depuis Rabat.
« Nador ce n’est pas facile comme endroit, on restera en contact, peut être que tu ne feras pas certaines choses » me prévient ma référente à l’asso.

Cet évènement intervient à un moment très spécial : la veille, le gouvernement marocain tenait une conférence officielle clôturant une « opération exceptionnelle de régularisation » de migrants irréguliers sur le territoire marocain.
Mais la conclusion après une année 2014 spécialement « humaine » en termes de politiques migratoires était claire: maintenant nous allons opérer au au nettoyage de la frontière Nord.

Les militant-e-s le savaient, que la répression allait reprendre de plus belle, mais là le gouvernement à fait fort : la rafle massive a commencé seulement quelques heures après la fin de la conférence officielle…

Hicham Rachidi, secrétaire général du GADEM parle ainsi de « L’art de tout rater » quant à la politique menée par le gouvernement marocain.

Mehdi Alioua sociologue et membre fondateur du GADEM évoque lui « L’irresponsabilité des responsables de la politique migratoire » :

Ce lundi 9 février, nous avons assisté au redéploiement inexorable de la logique sécuritaire qui définit la migration comme un problème. C’est un coup d’arrêt brutal à la nouvelle politique. Les responsables, qui se réclament volontiers de la raison d’État, nous ont dévoilés au moins une chose : ils sont irresponsables car incapables de mesurer la portée de leurs actes et de leurs propos.

Retournement de situation et départ en mission

Le lendemain, je viens avec mon sac, prête à partir à la fin de la journée pour Nador. Mais de nouvelles informations allaient modifier notre destination de mission : 24 bus emmenaient les migrant-e-s dans différentes villes du pays. Des témoignages de migrant-e-s, souvent joints par téléphones dans les bus, évoquèrent plusieurs endroits.
Au fur et à mesure, on apprit que les migrant-e-s étaient détenu-e-s de façon arbitraire dans des lieux plutôt inattendus: des écoles, des centres d’accueil, des complexes sportifs ou sociaux…
Changement de direction donc, nous n’irons pas à Nador mais louerons une voiture pour pouvoir partir sur les traces des migrant-e-s enfermé-e-s dans plusieurs villes du sud du pays.

Après avoir formé une petite délégation avec plusieurs personnes de l’association et un représentant d’un collectif de migrants, nous sommes partis l’après-midi même pour El Jadida, ville la plus proche de Rabat dont nous avions confirmation qu’il y avait un groupe de migrants arrivés et détenus dans un centre.


Une enquête sous tension

El Jadida, Youssoufia, Chichaoua, Tiznit, Agadir, autant de lieux où nous nous sommes rendus et avons été interdits – de façon plus ou moins « cordiale » d’accès aux lieux d’enfermement de migrants.

Il n’y a que dans une ville que nous parvenons à parler à des migrants car ils sont en « semi-liberté ». La rencontre sera brève car nous seront vite rattrapés par les autorités locales qui nous interdiront – texto – de « parler aux subsahariens de la ville » car nous n’avons pas d’autorisation.. (Heu… Il faut une autorisation pour parler à des gens dans l’espace public? -> Surtout, ne pas chercher à comprendre. Non c’est non.)

Des mots percutants ressortent de ces témoignages:

À Gourougou, ils ont commencé avec les militaires à 2h du matin, jusqu’à 5h-6h. Ils sont venus en surprise. Ils ont entouré tous les gens. Policiers, militaires, forces spéciales, toute l’armée du Maroc est venue. Toutes les forces de l’ordre.

C’était violent parce qu’ils sont venus à 2h du matin, nous on dormait, on ne savait rien.

 

Ils ont rassemblé tous les gens, même avec le fusil. Ils sont venus avec les fusils bien qu’ils n’aient pas tiré avec, mais ils ont obligé les gens, ils nous ont mis dans les bus.

 Certains ont tenté de s’échapper, il y en a qui tombaient, ils ont été blessés là-bas. Certains ont voulu se cacher.

De Gourougou sans s’arrêter on est allés jusqu’à Nador. C’était pas Nador-même, c’était à côté. On nous a pris les empruntes, les photos.

 Après ils nous ont embarqués là-bas aussi et divisés dans plusieurs bus. Le bus qui va jusqu’à Casa, à Oujda, Tiznit, Agadir… Parce que nous-même on ne savait pas où on allait.

 

Depuis qu’on est arrivés, on n’a pas de brosse à dent, on n’a pas de savon. Rien. On ne peut pas se laver. Il y a une seule douche, une seule toilette pour 84 personnes. Aussi l’eau là-bas c’est de l’eau glacée. On n’est pas bien traités.

 

On est là, pour quel motif ? On ne sait pas ! Quand on demande, on nous dit « il n’y a pas le chef ici, il n’y a pas le chef ici ».
Depuis qu’on est arrivés ici on a demandé : qu’est ce qu’on fait ici ? Pourquoi ? On nous répond pas, on nous enferme là-bas, on nous donne notre petit pain chaque jour, comme des animaux.

Ce matin on a dit on mange pas, on a fait la grève. On a dit on n’est pas des animaux, on est des êtres humains.

Au terme de cet entretien écourté, les autorités nous forceront à effacer nos enregistrements et arracheront un carnet où des notes  avaient été prises. Nous seront ensuite chassés de la ville et menacés en cas de retour. Notre collègue marocain est pris à parti en darija : « Toi, on retient ta tête, fais attention. »

 

Pendant près d’une semaine, nous avons été contrôlés, suivis, observés, surveillés, partout où nous allions.
À la fin, on finissait par en rire car parfois les personnes chargées de nous surveiller étaient d’une indiscrétion totale!

« Bienvenue au Maroc » me dit un collègue marocain de l’association. « Ici, tout le monde est surveillé, tout se sait ».

Des migrant-e-s enfermé-e-s partout

Les jours passant, nous apprenions que de nouveaux lieux de détention avaient été identifiés. Au total près de vingt villes à l’heure où je décidais de réaliser une carte – réflexe Migreuropien – pour illustrer cet enfermement massif mais diffus d’étranger-e-s, à l’abris du regard de la société civile.

 

VERSION FINALE-carte-detention-migrants-Maroc-fevrier2015

 

De retour de mission, à Rabat, la pression baisse.
Le lendemain je retourne à l’asso, les collègues me disent: « Tu as vu? La boite aux lettres a été taguée à la bombe ». Je redescends du 3e étage pour aller voir :  des gouttes rouges, façon sang, semblent couler de l’auto-collant de l’association.

Décidément, les militant-e-s pro-droits des migrant-e-s ne semblent pas être très apprécié-e-s au Maroc…

 

Incertitude et détention arbitraire

Dix jours après la première grande rafle, les migrant-e-s sont toujours détenu-e-s arbitrairement.
Dans ces lieux d’enfermement, l’incertitude devient insupportable, la colère monte:

 

Que va-t-il se passer avec nous?

Pourquoi les marocains nous traitent comme ça? Sommes-nous leurs esclaves?

 

 NOUS RÉCLAMONS NOTRE LIBERTÉ

 

Affaire à suivre…

 

Le communiqué et la note d’information du GADEM publiés à la suite de la mission d’enquête :

http://www.gadem-asso.org/Detentions-arbitraires-de-migrants

http://www.gadem-asso.org/NOTE-D-INFORMATION-CONJOINTE-CCSM

 

Une interview sur le sujet au journal Afrique de RFI:
http://www.rfi.fr/emission/20150223-elsa-tyszler-expulsions-collectives-sont-totalement-illegales/

 

Le communiqué de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH) :

http://www.amdh.org.ma/fr/communiques/amdh-solidaire-migrants-17-2-15

 

Le communiqué du Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH) :

http://www.euromedrights.org/fra/2015/02/19/rafles-de-migrants-au-maroc-est-ce-la-fin-dune-politique-prometteuse/