Rabat, le 8 mars 2015 : journée de lutte, de contrôle, d’allégeance ou de récupération politique des droits des femmes?
D’habitude le 8 mars, c’est dans l’Est parisien, du côté de Belleville, qu’on me trouve, pour la marche – jouissive – de lutte pour les droits des femmes, TOUTES les femmes. Manif alternative à celle appelée par les « gros » partis politiques et institutions.
Cette année, le collectif 8 Mars pour TouTEs, renouvelait son appel (je sais pas vous, moi, ça me parle vraiment) :
Nos corps, nos identités et nos histoires nous appartiennent. Ils n’appartiennent ni aux hommes, ni à l’Etat, nous ne leur laisserons pas.
Contrôle policier, contrôle judiciaire, contrôle médical, contrôle politique, contrôle économique, contrôle social, contrôle moral.
A l’image de nos vies, nos corps de femmes sont des champs de bataille.
Nous ne céderons pas, et surtout pas aux sirènes de l’union sacrée qui hurlent pour réveiller un autre corps, celui de la nation française. Ce corps n’est pas le nôtre : il sent la mort et la guerre alors que les nôtres se (dé)battent pour vivre.
En nous privant de libertés et de notre autonomie, notamment économique, les hommes et l’Etat ont fait de nous des guerrières.
Nous ne nous battons pas par romantisme mais pour vivre.
Nous ne nous battons pas avec des armes de guerre mais chaque jour porte son lot d’obstacles à franchir. Chacune d’entre nous a développé ses propres stratégies et ses propres armes, seule ou collectivement.
Ce combat est quotidien, ce combat est familier : ce combat est notre force.Nous le menons parce que ce sont nos vies qui sont en jeu.
Pour les femmes, vivre c’est combattre et nous avons décidé de vivre.
Pour la dignité de chacune et pour la justice pour toutes et tous.
Pour que soient respectés aujourd’hui et toujours : nos choix, nos désirs, nos besoins.
Dimanche je n’étais pas à Panam mais à Rabat, ma nouvelle ville, depuis un mois.
Loin de prétendre à une analyse critique de la manifestation qui s’y est déroulée – en darija, langue que je ne comprends quasiment pas – le 8 mars 2015, c’est un regard curieux et plein d’interrogations que je veux partager.
D’abord impressionnée par la masse présente à la manifestation qui commençait à Bab El Had à 10h, je fus ensuite étonnée par le nombre d’hommes présents. Premièrement car on m’avait toujours dit « À Rabat, aux manifs, il y a toujours 100 péquenauds ». Deuxièmement parce que… bon, en général, il n’y a pas foule niveau individus masculins à ce genre de rassemblement.
Je vous propose ainsi des photos qui illustrent des coups d’œil sur la manifestation avec ce que j’y ai trouvé d’impressionnant, intrigant, déroutant ou encore énervant voire écœurant.
Il s’agit donc de quelque chose de tout à fait subjectif, un point de vue complètement situé, biaisé par mon regard de féministe française blanche agnostique.
En tout cas, à Rabat-Maroc, le mot d’ordre de « la journée de LA femme » (là c’est pas juste marocain, tous les ans, on a droit aux mêmes conneries sémantiques essentialisantes en France…) était surtout « la parité« .
Trêve de mots, voici les images :
Après deux heures et demi de marche dans les rues de la capitale, c’est avec un sentiment étrange que je quittais la manif.
S’il est certain que ma non-maîtrise du darija n’avait pas facilité ma compréhension des slogans et banderoles, il était aisé de présumer que tou-te-s ces manifestant-e-s n’étaient pas là pour les mêmes raisons… Qui était vraiment là au nom de la lutte pour les droits des femmes?
Je ne sais pas, en tout cas ce fourre-tout de 8 mars m’a donné envie de me pencher sur ça :
Dans un contexte marqué par les luttes politiques qui ont jalonné l’histoire du Maroc de la période post indépendance, un certain nombre d’organisations de défense des droits humains des femmes ont vu le jour. Ayant articulé le combat pour la réforme du code du statut personnel au combat démocratique, les féministes marocaines ont réussi à positionner la cause des femmes comme enjeu important dans la scène publique. En un peu plus de deux décennies, ce mouvement a connu des évolutions importantes aussi bien en termes de formes organisationnelles et de modalités d’action, qu’en ce qui concerne la stratégie d’intervention et le référentiel prônée pour défendre les revendications. Les succès qui prouvé la légitimité d’un et l’efficacité d’une lutte n’ont pas été sans entraves aussi bien internes au mouvement qu’externes. Une trajectoire collective dont les témoignages recueillis permettent de saisir ses différents aspects.
Présentation de la conférence intitulée » La lutte pour les droits des femmes racontée par les féministes » dictée le 10 mars dernier par Latifa El Bouhsini, historienne et féministe marocaine. (Ici un article d’elle sur : « Le mouvement féministe au Maroc, quelques repères historiques. »)
Pour en savoir plus, quelques articles de la presse marocaine à propos de la manifestation :
TelQuel : – 8 mars : 15 000 manifestants demandent la parité au gouvernement
– 8 mars : une marche pour se révolter contre Benkirane
Media 24 : Un 8 mars pré-électoral, avec une nouvelle génération de revendications
Afrik.com : Maroc : manifestation massive contre les inégalités hommes-femmes à Rabat
360.ma : Manifestation du 8 mars à Rabat : Chabat et Lachgar se font rabrouer
L’actuelle campagne pour l’amendement de l’article 453 qui criminalise et pénalise l’avortement :http://www.huffpostmaghreb.com/2015/02/17/avortement-maroc-article-453-mobilisation_n_6692816.html
et un article sur le Docteur Chraïbi, président de l’AMLAC récemment démis de ses fonctions dans une maternité de la capitale :http://www.huffpostmaghreb.com/2015/02/10/chafik-chraibi_n_6652216.html?ncid=fcbklnkfrhpmg00000007
Pour aller plus loin, à propos des féminismes islamiques :
Un livre super intéressant :
« Féminismes islamiques » (2012, éd. La Fabrique), de la sociologue et féministe Zahra Ali
Féminismes islamiques : un titre qui en fera sursauter beaucoup, y compris parmi celles et ceux qui se pensent à l’abri de tout préjugé. C’est que le stéréotype « islam = oppression de la femme » croise partout comme un sous-marin, tantôt en surface et pavillon haut, tantôt dans les profondeurs de l’inconscient.
Ce que montre ce livre, le plus souvent on ne le sait pas : que dans les pays où l’islam est la religion dominante, des croyantes puissent lutter pour l’égalité, retourner les textes sacrés contre le patriarcat, s’élever contre les autorités politiques et religieuses qui bafouent les droits des femmes.
De l’Égypte à l’Iran, du Maroc à la Syrie, en France, aux États-Unis et jusqu’en Malaisie, des intellectuelles, des chercheuses et des militantes sont engagées dans une démarche féministe à l’intérieur du cadre religieux musulman. Zahra Ali nous fait entendre leurs voix et propose ainsi de décoloniser le féminisme hégémonique.
Et une émission là-dessus :