« Le département est en situation pré-fasciste »
« Je connais quelqu’un de Villeneuve, jamais vu personne d’aussi raciste ! »
« Une caisse entière de kalachnikovs a déjà été vendue dans le département »
« Y a que des Gitans là-bas ! »
« C’est trop chaud apparemment, j’ai un pote qui s’est fait casser la gueule par trois Arabes »

Je préparais donc mon départ pour Villeneuve-sur-Lot.
D’après Google Map, quelque part entre Agen et Marmande.

1323505-villeneuve-sur-lot-1-mort-lors-8289-hd

En ce début de février, direction Nord toute. Trois heures de voiture pour traverser le Sud-Ouest.

Impressions après un premier mois en terre inconnue – quelque peu différentes de ce qui m’avait été relaté :

L’accueil et la convivialité de la part des paysans. Repas de maître dès mon arrivée, « tu prendras bien une p’tite prune ? ».
Les invitations à la ferme : on parle Grèce, bio, Alzheimer, Israel, Gênes 2001, arboriculture, syndicats.
L’Assemblée Générale puis le moment partagé : contes en patois, Mamie à la guitare, solo a cappella du porte-parole, concert de violoncelle, jeune chanteur de cinq ans.

Les apéros en terrasse, soirées raclette, burgers, sorties au Black&White avec mon melting pot de voisins : Nicaraguayenne, Geeks, Gitanos, Landais, Métalleux. Des parcours de vie pas toujours faciles, un décalage sans doute. « Mais tu travailles où toi en fait ? Mais tu fais quoi ?? »

Le marché du samedi matin, plus besoin de s’interroger sur les fruits de saison ou l’origine des produits. La gentillesse des locaux, parler de la pluie et du beau temps – le small talk, ça je sais faire.

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

Les réunions ZAD, TAFTA, rassemblements devant la préfecture. Quelques dizaines de militants qui se retrouvent à chaque fois. « Mais il faut faire quelque chose, agir concrètement! »

Le racisme aussi, dans les discours et les manières de penser. Une travailleuse sociale du CHRS tentant de me convaincre. «On va donner les moyens de subvenir à leurs besoins à des personnes qui n’ont pas la nationalité française pendant que nos concitoyens restent à la rue ?! »
Beaucoup trop souvent sur mon chemin, le candidat d’extrême-droite, 25 ans, distribution de tracts et poignées de mains. Il n’est pas venu vers moi, soulagée de ne pas avoir l’apparence d’une électrice FN.

Peu de jeunes dans les bars du centre, ils sont partis «à la ville », Bordeaux ou Toulouse. Pour ceux qui restent, chômage, intérim, travail à l’usine ou dans les zones commerciales et industrielles qui encerclent la ville, grignotent les terres agricoles.

Des kilomètres à parcourir les départementales du Lot-et-Garonne, des Landes et de la Gironde. Lignes droites et plates – les routes du Pays sont plus funs. Je scrute les potentielles caravanes et tentes installées autour des serres, la couleur de peau des travailleurs dans les champs. Déformation professionnelle, et militante.

Encore trois mois d’observations et d’enquête, avant nos retrouvailles. Vous me parlerez de votre expérience totale à l’étranger, de la découverte d’une culture différente, de l’euphorie des capitales, des heures passées à sillonner un continent, des difficultés linguistiques.
Peut-être apprend-t-on tout autant à quelques dizaines de kilomètres de chez soi ?