Yo decido si aborto

Trois mois à Séville et un mouvement féministe plus que présent. Après la chute du franquisme, les Espagnoles réussissent à récupérer quelques droits. Aujourd’hui, trente ans après, on assiste à un retour en arrière. Le gouvernement actuel de droite (Partido Popular), conservateur et attaché aux valeurs catholiques mène une politique, bafouant la liberté des femmes.

En se promenant à Séville, ce n’est pas rare de lire sur les murs ou aux fenêtres des slogans, tels que « Aborto Libre, yo decido » (Avortement libre, je décide), « Agresor sexual, cuidemonos vecinos » (Agresseur sexuel, voisins, faisons attention ), « Tijeras para todas » (Des ciseaux pour toutes) etc. Les assemblées et concentrations de collectifs féministes sont très fréquentes.

La semaine passée, dans plusieurs villes espagnoles, ont eu lieu des manifestations en soutien aux nombreuses victimes d’agression sexuelle qu’il y a eu ce mois d’aout. Cette indignation ne porte pas uniquement sur ces cas de violence, mais sur la politique menée et les méthodes employées qu’utilisent le gouvernement pour encourager un système patriarcal, bafouant ainsi la libertés des femmes.

La loi régressive sur le droit à l’avortement

« Avortement légal pour ne pas mourir », « La Vierge Marie l’aurait aussi fait » (Concentration du 15 Juin de l’Assemblée des Diverses Femmes à Séville)

Décembre 2013, trente après que l’avortement soit dépénalisé en Espagne, le ministre de la Justice Alberto Luiz-Gallardon approuve un projet de loi interdisant l’avortement. Seuls deux cas de figures pourront autoriser l’IVG : le viol (accompagné d’un dépôt de plainte) et le cas « où la santé physique et psychologique de la femme encourt des risques ». La présence de malformations foetales ne sera pas une raison valable. Cette loi interdirait alors l’IVG pour la majorité des cas, sans rappeler le recours à des méthodes d’avortement illégales et à risque que cela entraînerait.

Ce projet appelé « Loi pour la protection de la vie du Nouveau Né et droit de la femme enceinte » devrait d’après le Ministre être approuvée avant la fin de l’été par le Conseil des Ministres.

Face à cette menace, les collectifs féministes espagnoles et internationaux sont plus que jamais actifs, programmant des manifestations ou concentrations pour dénoncer cette atteinte à la liberté de la femme de décider. A Séville, les différents collectifs de féministes se sont unis pour protester contre ce projet de loi, mais sont régulièrement réprimandés (procès, contrôle d’identité à la sortie des assemblées etc.).

Elles n’ont qu’à bien se tenir !

Pour beaucoup d’espagnoles, ce projet de loi ne fait que renforcer « un retour en arrière » sur l’acquisition des droits des femmes, offrant plus de légitimité aux mouvements machistes très présents en Espagne. Ce projet de loi va de pair avec la publication sur le site du Ministère de la Justice d’une liste de recommandations face au viol[1]. Au début, on pense y trouver une « campagne de sensibilisation » destiné à un public masculin, mais non ! Alors, on pense y lire des techniques et conseils d’auto-défense ? Non plus ! Voici un extrait :

« Si vous vous voyez obligée de passer habituellement par des zones obscures et vides, pensez à changer d’itinéraires. Dans d’autres pays, le sifflet est utilisé pour faire fuir le délinquant. Vous pouvez penser à en acquérir un.

Ne passez pas par des terrains vagues, ni des rues vides, surtout de nuit, pas seule et pas accompagnée.

Si vous vivez seule, ne mettez pas votre nom sur votre boîte aux lettres, seulement les initiales (…) Fermez vos rideaux lorsque la nuit tombe pour éviter les regards indiscrets. Laissez les lumières allumées d’au moins deux pièces pour faire croire qu’il y a au moins 2 personnes à votre domicile.

Évitez d’entrer dans l’ascenseur quand il y a un inconnu à l’intérieur, surtout dans un immeuble avec des habitations. Dans tous les cas, restez le plus proche possible de l’alarme. »

Oui oui, nous sommes bien en 2014, dans un pays européen et ces conseils sont publiés sur le site du gouvernement espagnol. Le message est clair : elles n’ont qu’à bien se tenir ! Destinées à être sujette aux agressions, la femme garde sa position de victime, elle n’a qu’à s’adapter. Et cela sans parler de la peur de l’autre que ces recommandations alimentent. Voilà comment le gouvernement espagnol réagit face à la multiplication d’agressions sexuelles ces derniers mois.

Malgré que la répression que subit le mouvement féministe, un document appuyé par 250 organisations et collectifs de la société civile dénonçant cette atteinte à la liberté des femmes devra être présenté en 2015 aux Nations Unies, lorsque l’Espagne sera examinée par le CEDAW (Comité de la Convention sur l’Élimination de toutes formes de discrimination sur les femmes).

Alors que la question de l’égalité des sexes est encore loin d’être résolue en Europe, pour le moment en Espagne, la revendication principale est « Mi cuerpo no se toca, no se viola, no se mata » (Mon corps ne se touche pas, ne se viole pas, ne se tue pas).


[1] http://www.interior.gob.es/web/servicios-al-ciudadano/seguridad/consejos-para-su-seguridad/prevencion-de-la-violaci%C3%B3n