banner-food otherwise

Les 21 et 22 février prochain se tiendra la conférence « Food Otherwise : Towards Fair and Sustainable Food and Agriculture Systems », dans l’enceinte de l’Université de Wageningen. Dans le cadre de ces thèmes, plusieurs sujets sont à l’honneur tel que les réseaux d’alimentation locale, l’agro-écologie, les semences et la biodiversité, mais aussi la permaculture, l’agriculture urbaine, sans bien sûr oublier le droit à la terre et les politiques agricoles et commerciales équitables.

 

« Explorer le potentiel de la nature afin d’améliorer la qualité de vie » (Wageningen University)

 

Le lieu de la conférence n’est peut-être pas anodin, comme on pourrait le penser a priori. En effet, l’université de Wageningen a dans l’enseignement agricole néerlandais la renommée que pouvait avoir (et c’est surement toujours le cas) la Sorbonne dans l’enseignement des sciences sociales en France. Outre sa position prestigieuse, c’est aussi son positionnement et sa conception de l’agriculture qu’il est intéressant de mettre en parallèle avec la conférence.

Bien que celle-ci ne soit pas ouvertement affirmée, cette université étroitement reliée au gouvernement et à l’agro-business néerlandais comme elle l’affirme[i], possède une vision de l’agriculture en accord avec le modèle industriel et ultra-intensif, particulièrement présent aux Pays-Bas selon les acteurs rencontrés jusqu’à présent. Il est d’ailleurs aisé de le deviner en regardant la position des Pays-Bas dans l’agro-exportation, au deuxième rang mondial après les Etats-Unis, alors que ce pays est une des zones les plus densément peuplées du monde[ii] et possède une superficie presque égale à celle de la région Rhône-Alpes. L’agriculture et l’alimentation sont ainsi avant tout envisagées comme des industries, c’est-à-dire des activités économiques, voire lucratives : « L’Académie de Wageningen développe et organise des formations et cursus pour professionnels dans les domaines industriels suivants: agriculture, alimentation et pharmacie » (site web de l’université).

En outre, leur vision de l’agriculture et des voies de résolution des problèmes globaux (faim, pauvreté, changement climatique, paix …) semble s’inscrire dans ce que la littérature académique rattache à une conception faible de la soutenabilité. En effet, il est considéré que ces « problèmes » peuvent être réglés via des investissements financiers croissants, de nouveaux développements technologiques, et d’une confirmation de la position économique des Pays-Bas dans l’agriculture, et donc que toute forme de capital est substituable à une autre: « A competitive economy is essential if countries are to function well in an open global economy. In this respect, the Netherlands has a good starting position and the ambition to do even better in the years ahead. The agrifood sector is a major economic sector that holds a top position internationally. Investments in innovation and increasing sustainability are crucial to retain this leading position and provide answers to global challenges related to food security, poverty, energy, water, climate, peace and stability » (page 15 du rapport stratégique 2011-2014 de l’Université)[iii]. Il serait même envisageable de qualifier cette institution particulière en tant que réformiste dans la mesure où son objectif est certes de corriger les effets négatifs d’un système, en l’occurrence ici le système agricole et alimentaire (si on prend le cas de l’insécurité alimentaire par exemple), mais en vue de perpétuer celui-ci alors qu’il est à l’origine même de ces complications (l’insécurité alimentaire ici).

 

Un brin de provocation ?

 

Bien sûr, cette vision n’est sans doute pas partagée par l’ensemble du personnel de l’Université. Mais le fait que la conférence « Food Otherwise »[iv] prenne place au sein de l’université de Wageningen relève donc quelque peu de la provocation. En effet, elle vise plus précisément à proposer un temps de réflexion et d’échange entre agriculteurs, consommateurs, scientifiques et société civile sur les voies à suivre pour la promotion d’une agriculture et d’une alimentation soutenable et équitable, et donc quelque peu en rupture avec le modèle conventionnel prôné par les dirigeants européens et appuyés par les différents lobbys de l’agro-industrie.

Les contributions proposées s’inscrivent donc dans cette perspective. Ce sera notamment l’occasion d’assister à des interventions concernant l’agro-écologie aux Pays-Bas, des réflexions sur le land grabbing (phénomène d’accaparements des terres) en Europe, mais aussi sur le cadre légal européen concernant les semences et qui est actuellement en train de prendre un virage nettement en faveur des monopoles semenciers, alors que la tendance jusqu’à présent était plutôt à la réserve dans ce domaine. Se retrouveront aussi des interventions sur la mise en pratique du concept de souveraineté alimentaire, développé par la Via Campesina et basé sur « le droit d’avoir des droits », ainsi que sur le concept de démocratie alimentaire définit par Neva Hassanein comme « the idea that people can and should be actively participating in shaping the food system, rather than remaining passive spectators on the sidelines » (Hassanein 2003: 79)[v]. La conférence semble donc plutôt s’inscrire dans une tendance dite progressiste dans la mesure où elle se positionne dans le cadre d’une vision alternative au modèle agricole et alimentaire conventionnel.

Outre la pertinence des ateliers de travail proposés pour tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin aux alternatives du modèle agricole et alimentaire conventionnel, l’intérêt de cette conférence réside également dans la présence de sommités engagées dans de telles réflexions. Seront notamment présents Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation (successeur de Jean Ziegler), et Vandana Shiva, scientifique et activiste indienne célèbre pour son implication dans la lutte contre l’ingénierie génétique et l’implantation des OGM en Inde, et parallèlement pour la défense de l’agriculture paysanne indienne.

 

Un atelier sur les travailleurs migrants dans l’agriculture néerlandaise

 

Une partie du dernier atelier de travail de la conférence sera consacré aux travailleurs agricoles migrants et saisonniers dans l’agriculture des Pays-Bas, suivie d’une réflexion commune qui prendra l’orientation des politiques à mettre en place en Europe pour une agriculture soutenable et une alimentation équitable[vi]. Car en effet, si les produits alimentaires sont si « bon marché », c’est en partie parce que les salaires versés (une partie du coût de production) sont extrêmement bas. L’agriculture néerlandaise n’est d’ailleurs pas en reste par rapport à ces voisins européens en termes d’exploitation de main d’œuvre migrante saisonnière. D’après Mohamed Dahmani, responsable du travail dans l’agriculture au FNV Bondgenoten[vii], le plus important syndicat indépendant de travailleurs aux Pays-Bas, « s’il n’y avait pas de travailleurs migrants dans l’agriculture néerlandaise, le pays ne serait pas le 2ème exportateur mondial de produits agricoles, mais plutôt le quatorzième ». Les saisonniers agricoles sont employés pour 6 semaines maximum, voire 8 mais de manière exceptionnelle. Après cela, les travailleurs doivent retourner dans leur pays pour une certaine période, avant de pouvoir obtenir un nouveau contrat saisonnier. Cependant, si l’employeur souhaite garder son ouvrier pour une période plus longue, il doit lui offrir un contrat à durée déterminée. Même si pour toute personne de plus de 23 ans travaillant aux Pays-Bas le revenu minimum est un droit, dans la pratique le travail « gris » et « au noir » sont fréquents.

En outre, il semblerait d’après Mohamed Dahmani que le phénomène de l’intermédiation, s’apparentant à de la « sous-traitance du travail », soit aussi particulièrement développé aux Pays-Bas, notamment par le biais « d’entreprise » de travail temporaire. Certaines d’entre elles sont, comme ailleurs en Europe, spécialisées dans cette sous-traitance du travail pour les agriculteurs et organisent l’ensemble du séjour des migrants, du travail à l’assurance, en passant par le logement. Et c’est selon Mohamed ce qui caractérise particulièrement le travail migrant saisonniers aux Pays-Bas aujourd’hui, et permet à ces « entreprises » de travail temporaire d’être profitable : « les ouvriers gagnent 275 euros par semaines. Mais 120 euros sont retirés pour le logement, ainsi que de 20 à 35 euros pour l’assurance néerlandaise qui est obligatoire pour travailler aux Pays-Bas. À cela s’ajoute encore la nourriture, qui est souvent achetée dans « les camps » de séjour des migrants. Au final, ils ne touchent que 65 euros par semaine environ ».

Si en termes d’exportation les Pays-Bas sont en tête de liste par rapport à ses voisins européens, ils ne semblent cependant pas vraiment s’en démarquer au niveau de l’exploitation des migrants saisonniers dans l’agriculture.

 


[i] “This [la position des Pays-Bas dans l’agriculture et le développement des connaissances agricoles pour faire face au défi alimentaire de 2050 (comment nourrir 9 milliards d’individus)] will be achieved in close cooperation with government and industry (the ‘golden triangle’)” (Strategic Plan 2011-2014).

 

[vi] Pour le détail des workshops, vous pouvez vous référer au site de la conférence.